Pourquoi les Français veulent amplifier la victoire d’Emmanuel Macron ?

Après l’élection présidentielle, selon les sondages, Emmanuel Macron devrait, lors des élections législatives des 11 et 18 juin, confirmer et même amplifier son succès. Chloé Morin, directrice de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, analyse les verbatims de Français régulièrement interrogés par l’institut OpinionWay.

Au soir du second tour de l’élection présidentielle, une part des électeurs d’Emmanuel Macron avait exprimé un certain nombre de doutes, ou déclarait avoir voté pour lui « par défaut », « en attendant de voir ». Tiraillés entre leur envie d’y croire et l’expérience douloureuse des échecs, promesses non tenues et affaires accumulés depuis des années, ils avaient décidé de lui accorder le bénéfice du doute, résolus à juger « sur pièces ».

Au terme de la campagne des élections législatives, les intentions de vote publiées promettent désormais une large majorité à Emmanuel Macron. Malgré les pronostics, ces élections ne dérogeront donc probablement pas à la règle : c’est bien une logique de confirmation et d’amplification qui est à l’œuvre, y compris chez certains électeurs qui n’avaient pas choisi Emmanuel Macron dès le premier tour de la présidentielle. Afin de mieux comprendre comment une partie de l’opinion est passée du « faute de mieux » à l’envie de « voir la suite », l’institut OpinionWay a interrogé les Français à travers son dispositif « Opinionlive ».

Saturation politique

Premier enseignement de cette enquête : la plupart des Français interrogés jugent cette élection importante, car elle vise à confirmer ou infirmer le changement choisi par une majorité d’entre eux à la présidentielle. Or, et c’est là un élément central dans le raisonnement que la plupart des Français semblent tenir aujourd’hui, le choix offert ce dimanche 11 juin n’est pas entre la politique du président et une politique alternative – que ce soit celle des Républicains, des socialistes, ou encore de La France insoumise ou du Front national. C’est un choix entre la politique d’Emmanuel Macron et « le blocage », c’est-à-dire pas de politique du tout. Ils ne semblent jamais envisager de cohabitation « constructive » pour le pays.

Cette élection est même pour certains plus importante que les précédentes législatives, car pour la première fois et à leur grande surprise, ils perçoivent que « quelque chose se passe » depuis quelques semaines… Et ce, même si beaucoup expriment en parallèle un sentiment de « saturation politique » et l’envie d’en finir le plus vite possible avec ces campagnes interminables.

  • « Maintenant que Emmanuel Macron est président, il faut lui laisser une chance et lui donner la majorité sinon ça servirait à quoi ? Il faut être logique »
  • « Elle est nettement plus importante que la présidentielle car il faut absolument ne pas donner les pleins pouvoirs à notre dirigeant actuel, sinon je pense qu’il va finir droit dans le mur »
  • « J’avoue que je suis en overdose de tous ces politiques, mais je vais aller voter quand même. Dernière ligne droite enfin… »

Pourtant, c’est une élection brouillonne et « furtive », dont beaucoup ont l’impression de n’avoir que très peu entendu parler. L’absence de thématique centrale et de débat polarisant, le brouillage des clivages, des postures et étiquettes ne font qu’accroître la sensation d’illisibilité et de confusion. Ils indiquent en effet souvent ne pas connaître les candidats de leur circonscription, et ne pas avoir entendu les propositions de fond sur lesquelles se déterminer. Du coup, le seul message clair qui ait été entendu par tous est celui d’En Marche ! : « donnez une majorité au président ».

  • « Je pense que cette élection est importante, mais à quelques jours du premier tour nous ne savons toujours pas qui se présente chez nous »
  • « Je suis consternée d’avoir eu si peu d’échos à ce sujet… comme si les jeux étaient déjà faits. Où faut il voter, et surtout pour qui ? On ne sait même pas qui se présente. Confusion totale »

Pour l’immense majorité, la victoire d’En Marche ! ne fait aucun doute. Le sentiment que « tout est joué d’avance » contribue d’ailleurs à décourager les plus opposés à Emmanuel Macron et à démobiliser un certain nombre de Français qui, sans plébisciter les premiers pas du président, souhaitent juste « attendre de voir ».

  • « Dans la mesure où les axes de travail du gouvernement actuel sont conformes au programme de monsieur Macron, pas de surprise »
  • « Une élection sans suspense car on sait que le président va obtenir la majorité »

L’attrait du renouveau est intact

Second enseignement : l’essentiel de la dynamique de la campagne repose sur l’attrait – intact après quelques semaines d’exercice du pouvoir – du renouveau, l’envie de «tenter autre chose». Certains s’étonnent même que ce pays, que beaucoup jugeaient sclérosé et irréformable, se soit donné un président qui bouscule enfin les appareils politiques, et tente «l’union des meilleurs» espérée depuis si longtemps. Un président qui leur redonne, à leurs propres yeux et à ceux du monde, une certaine fierté. Tout se passe comme si, surpris de leur propre audace, les Français souhaitaient voir jusqu’où leur élan les portera. Et ce, même si leur appétit d’audace et de nouveauté ne va pas sans soulever, chez certains, des craintes. Le renouveau répondra-t-il aux espérances ? Les nouveaux arrivants seront-ils à la hauteur ? Des questions qui restent à ce stade en suspens.

  • « Surprenant ! Les dinosaures des partis politiques sont bousculés, les Français veulent du neuf »
  • « Le renouveau politique ! Fini le classique droite-gauche! Le pluralisme, le changement ! »
  • « Enfin une élection digne de ce nom, avec des candidats qui souhaitent vraiment réformer la France en profondeur, sans basculer dans les extrêmes. Les Français ont désigné un président qui leur donne les moyens de changer la façon dont les étrangers voient la France »
  • « Un grand renouvellement va avoir lieu, espérons qu’un nouveau vent de fraîcheur souffle sur nos institutions »
  • « Nous verrons aussi si le paysage politique change avec la non réélection des députés installés depuis trop longtemps et l’élection de candidats d’En Marche ! n’ayant aucune expérience de la politique »
  • « Avec quel risque? Les candidats de En Marche ! ont pour la plupart aucune expérience politique, et ce sont eux qui vont voter les lois qui engagent l’avenir de notre pays! C’est comme si une entreprise licenciait tout son personnel et réembauchait des débutants, pleins de bonne volonté mais sans véritable bagage professionnel. Très risqué pour l’avenir de l’entreprise, surréaliste pour une Nation ! »

Pas d’impact pour la réforme du code du travail

Troisième enseignement : le terrorisme, très présent dans l’actualité, n’est pas vécu comme un enjeu de campagne. Et les deux sujets qui ont fait débat ces derniers jours, à savoir la moralisation de la vie politique et la loi travail, ne paraissent à ce stade pas être en mesure de bousculer la logique de confirmation de l’élection à venir.

En effet, l’impact de l’affaire Ferrand semble – au moins temporairement – avoir été neutralisé par la perspective de la loi portée par François Bayrou. Quant au débat sur le code du travail, il commence à soulever des interrogations et inquiétudes réelles. Mais la plupart des Français peinent encore à prendre position, faute d’informations ou de mesures précises sur lesquelles fixer leurs craintes. La majorité de ceux qui manifestent leur inquiétude quant aux conséquences que la loi pourra avoir sur leur vie quotidienne restent donc dans l’expectative, en attente d’être rassurés par un gouvernement auquel ils sont enclins à accorder leur confiance.

Par conséquent, en dehors des plus politisés – notamment au Front de gauche –, ils ne semblent à ce stade pas décidés à transformer les législatives en référendum sur la réforme du code du travail.

  • « Le résultat de la présidentielle ne me convenait pas et je commence à voir que l’on est mal partis avec cette nouvelle réforme du code du travail. Mais de toute façon on ne peut pas faire pire, tant qu’à être dans la m… autant y être jusqu’au cou »
  • « Je trouve qu’il aurait été intéressant de connaître les positions du gouvernement sur la réforme du travail avant les législatives, et permettre un vrai débat de société. Le seul débat qui existe c’est de donner ou pas une majorité au président… »
  • « La réforme du code du travail me fait froid dans le dos (…) mais pour l’instant en bon stratège, le gouvernement attend la fin des élections législatives pour enfoncer le clou »
  • « Je pense que la loi travail va déterminer mon vote, et celui de beaucoup, ce qui explique peut être que le gouvernement n’en parle pas en profondeur… »

Pas envie de « repêcher » les partis d’opposition

Quatrième enseignement : en dehors de «donner une majorité au président pour agir», les arguments de campagne, et notamment ceux invoqués par le Parti socialiste, Les Républicains, La France insoumise ou le Front national… – risque d’hégémonie d’un seul parti, de dérives libérales, de matraquage fiscal… –, ne semblent pas avoir marqué les esprits. Plus que leur projet pour la France, on retient essentiellement des partis d’opposition leur volonté de survie, soit une démarche autocentrée qui ne donne guère envie de les repêcher.

Par ailleurs, les rares arguments de fond qui ont réussi à percer sont essentiellement mobilisés par les électeurs qui sont restés, depuis la présidentielle, dans une logique d’opposition ferme à Emmanuel Macron. C’est-à-dire, pour l’essentiel, des sympathisants de La France insoumise ou du Front national, qui voient en cette élection la dernière chance de s’opposer au président.

Au terme d’une campagne des législatives déroutante et frustrante à bien des égards, il semble donc que rien ni personne – ni les affaires, ni les polémiques, ni les tentatives des partis traditionnels de réintroduire du clivage gauche-droite ou d’imposer leurs thèmes comme la fiscalité ou la loi travail – n’ait réussi à faire dérailler le mouvement enclenché le 7 mai dernier. Le scrutin de ce dimanche 11 juin est donc selon toute vraisemblance en passe de s’inscrire dans le droit fil de la présidentielle : un choix entre la continuité, c’est-à-dire l’enlisement, et le changement que le président est parvenu à incarner contre l’ensemble des appareils politiques existants. Le choix semble évident : «il faut savoir ce que l’on veut : continuité, ou changement, avec comme risque que cela fonctionne». On va donc, en majorité, voter pour que le président ait les mains libres, «lui permettre d’avancer». Ou bien s’abstenir, «attendre de voir ce qui se passe» et lui laisser ainsi une chance de prouver de quoi il est capable. Certains préviennent déjà : après cela, il n’aurait «plus d’excuse en cas d’échec».

Cette tribune a également été publiée dans Paris Match (9 juin 2017).

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