Plaidoyer pour un Parlement renforcé. 25 propositions concrètes pour rééquilibrer les pouvoirs

Si le Parlement est le lieu du débat démocratique, un carcan de règles l’empêche pourtant de jouer pleinement son rôle. Convaincue que les citoyens veulent un renforcement de la démocratie représentative, Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale, formule des propositions pour lui redonner souffle.

Préfacé par le président de l’Assemblée nationale, ce rapport ouvre un cycle de publications qui ont vocation à proposer des pistes d’amélioration des institutions de la Ve République.

Présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Yaël Braun-Pivet joue un rôle stratégique dans le fonctionnement de notre vie parlementaire, dont elle connaît bien les formes et les subtilités.

Comme députée, pourtant, elle n’en conserve pas moins un regard lucide sur les lenteurs, langueurs et lourdeurs de la mécanique législative. Aussi ce rapport ne se lit-il pas comme un simple manuel technique de la procédure parlementaire : il explore les voies et moyens de l’améliorer, pour combattre les maux qui nourrissent l’antiparlementarisme.

« Litanie, liturgie, léthargie », déplorait déjà mon prédécesseur Edgar Faure quand il présidait l’Assemblée nationale, il y aura bientôt un demi-siècle. Depuis, les réformes n’ont pas manqué pourtant, comme le passage à la session ordinaire unique de neuf mois en 1995, ou la révision constitutionnelle de 2008 : partage de l’ordre du jour, augmentation du nombre des commissions permanentes, examen en séance du texte adopté en commission, autant d’innovations qui ont indéniablement amélioré le fonctionnement parlementaire. 

Aujourd’hui, force est de constater que le Parlement français travaille beaucoup : il légifère, contrôle, évalue, siégeant deux à trois fois plus que sous le régime parlementaire de la IIIeRépublique. Pourtant, cette situation n’est pas satisfaisante et les statistiques records – en durée cumulée de séance publique, en nombre de textes ou d’amendements examinés – ne doivent pas forcément nous réjouir, car le rôle du Parlement doit s’apprécier en termes qualitatifs plutôt que quantitatifs. C’est justement ce que fait Yaël Braun-Pivet.

Son rapport n’est ni un traité, ni un pamphlet. C’est le témoignage éclairé, objectif et argumenté d’une députée qui, examinant avec recul la fabrique de la loi, en identifie les points de blocage et les archaïsmes. Ce retour d’expérience ne vise qu’à renforcer le Parlement, ses droits, ses moyens d’action, pour que les 577 députés, qu’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition, puissent jouer pleinement le rôle que leur ont confié les électeurs.

Les vingt-cinq propositions qu’on découvrira dans cet ouvrage constituent donc autant d’invitations à la réflexion. Certaines mesures, inspirées de la pratique, se trouvaient déjà dans nos amendements au projet de révision constitutionnelle dont j’étais le rapporteur général en 2018 et qui ne put malheureusement aboutir. D’autres idées ouvrent la voie à des innovations dont il faudra étudier minutieusement les effets possibles. Toutes ces propositions ont en tout cas le mérite d’ouvrir le débat public, en nous conduisant à nous poser une question cruciale : quel Parlement voulons-nous, comment doit-il fonctionner ?

Cette question n’a rien de théorique : c’est concrètement qu’elle se pose aux députés, en termes de calendrier, de définition de l’ordre du jour, de temps de parole, d’accès aux documents officiels et aux informations. Oui, il est possible de simplifier la tâche des parlementaires, pour qu’ils puissent mieux exercer leur mandat et, ainsi, traduire plus facilement dans les textes les attentes des citoyens. 

En cette fin de législature, il n’est plus temps de réviser la Constitution. Mais je ne doute pas que le renforcement des droits du Parlement, dans le cadre du régime de la Ve République, constitue l’un des enjeux des prochaines échéances électorales et je remercie Yaël Braun-Pivet de nous ouvrir, dans un foisonnement d’idées audacieuses, autant de pistes prometteuses.

Les propositions

Une gestion du temps permettant le plein exercice des missions parlementaires

01_ Consécration d’une session ordinaire unique, du 15 septembre au 30 juillet de l’année suivante
02_ Adoption par l’Assemblée, au mois de juin, du calendrier de la session à venir
03_ Obligation pour les ministres de présenter leur feuille de route annuelle devant la commission compétente à l’ouverture de la session
04_ Création de trois procédures de « navette parlementaire » avec des délais d’examen des textes incompressibles

Un travail recentré permettant une délibération de qualité et une action plus lisible

05_ Présentation de projets de lois circonscrits et concis
06_ Interdiction des amendements additionnels déposés par le gouvernement
07_ Alignement du délai de dépôt des amendements du gouvernement sur celui des parlementaires
08_ Recevabilité des amendements en séance publique conditionnée à un seuil minimum de co-signatures pour les textes à procédure renforcée (tels que les projets de loi constitutionnelle)
09_ Figer le périmètre du texte au stade de son examen en commission en première lecture en appliquant la règle de « l’entonnoir » avant l’examen en séance publique
10_ Facilitation du recours à la procédure de législation en commission par un durcissement des règles d’opposition
11_ Création d’une instance centralisée et pluraliste chargée de l’examen de la recevabilité des amendements
12_ Votes des textes regroupés sur un créneau dédié, avec quorum fixé à la moitié des membres de l’Assemblée (et possibilité d’ouverture du vote à distance)

Une initiative parlementaire enrichie et libérée permettant de faire vivre la démocratie représentative

13_ Création de règles de majorité qualifiée au sein de la Conférence des présidents pour la prise de certaines décisions (visées aux propositions 14 à 19)
14_ Attribution à la Conférence des présidents du pouvoir de saisine du Conseil d’État sur les propositions de loi
15_ Maîtrise par le Parlement du rythme de la procédure d’examen des propositions de loi
16_ Facilitation de la possibilité de convoquer une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
17_ Inscription de droit d’une proposition de loi cosignée par une majorité qualifiée de députés sur l’ordre du jour de la semaine de contrôle
18_ Établissement par la Conférence des présidents de chaque assemblée d’une liste de propositions de loi jugées prioritaires transmise à l’autre chambre
19_ Inscription, lors de la semaine de contrôle, de propositions de loi issues des travaux parlementaires d’évaluation
20_ Des journées réservées réparties plus équitablement en fonction de l’importance des groupes et des possibilités accrues de répartition des journées réservées dans le temps

Une volonté du législateur respectée, une évaluation approfondie, un contrôle démocratique accru permettant de renforcer le Parlement dans ses prérogatives

21_ Ouverture d’un recours en nom collectif devant le Conseil d’État, pour remédier à la carence du gouvernement à appliquer la loi ou contrôler la conformité d’un acte réglementaire à cette dernière
22_ Élaboration d’un programme commun d’évaluation des lois par les présidents des commissions permanentes de chaque assemblée
23_ Création d’un pôle parlementaire d’évaluation
24_ Suivi de la mise en oeuvre des habilitations à légiférer par ordonnance par les commissions permanentes, avec possibilité pour la Conférence des présidents d’organiser un débat en séance publique ou d’inscrire un texte de ratification à l’ordre du jour sur le temps gouvernemental
25_ Élargir la liste des fonctions et emplois dont la nomination est soumise à l’avis des commissions parlementaires en vertu de l’article 13 de la Constitution et soumettre ces nominations à un vote positif des trois cinquièmes des suffrages exprimés

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