Pérou : analyse des élections parlementaires anticipées

Les élections anticipées du 26 janvier 2020 ont confirmé la volatilité de l’électorat et de l’offre politique péruviennes, générant depuis la fin de l’autoritarisme du président Alberto Fujimori (1992-2000) une instabilité quasi structurelle de la vie politique, qui se résume à des querelles politiques centrées sur les individus et est mise en scène par des médias puissants et conservateurs. La dissolution du Congrès le 30 septembre 2019, par Martin Vizcarra – nommé à la présidence suite à la démission de son prédécesseur, menacé de destitution –, sans parti politique et sans majorité parlementaire, s’inscrit dans ce contexte. Le consultant politique péruvien Carlos Gonzalez Palacios analyse les résultats de ce scrutin.

Effondrement du parti fujimoriste

Après la dissolution du Parlement par le président de la République le 30 septembre 2019, le discrédit des différents groupes politiques présents dans l’hémicycle sortant s’est cristallisé lors des élections du dimanche 26 janvier 2020. Les Péruviens ont dû élire 130 parlementaires pour terminer le mandat législatif écourté de leurs prédécesseurs. Le premier événement marquant de cette élection est la chute du parti de Keiko Fujimori – fille de l’ancien président de la République Alberto Fujimori – Fuerza Popular. Il a vu sa représentation passer de 72 à 12 parlementaires, recueillant près de 7% des suffrages au niveau national avec une présence encore marquée dans le nord du Pérou, dans les zones rurales et dans la périphérie de Lima. Pourtant, les Péruviens s’attendaient à un tel résultat étant donné le caractère obstructionniste de ce groupe parlementaire qui, semble-t-il, avait abusé du pouvoir conféré par une forte majorité. Il contrôlait toutes les commissions du Parlement dissous. En ce sens, si tous les analystes politiques sont d’accord pour estimer que les résultats électoraux ont été surprenants, ce n’est pas tant à cause du score des Fujimori qu’à cause d’une fragmentation du vote des électeurs.

Fragmentation de la représentation parlementaire

En effet, sur les dix-neuf partis participant à l’élection, neuf ont dépassé le seuil de 5% établi pour avoir des représentants. Seul Acción Popular a dépassé le seuil symbolique des 10% des suffrages exprimés en obtenant 11% et 25 parlementaires. Autre élément marquant : sur les neuf partis qui composeront le nouveau Parlement à partir d’avril 2020, cinq n’avaient pas de représentation au Parlement dissous, ce qui pourrait refléter un changement de stratégie des électeurs, se tournant vers de nouveaux programmes ou du moins de nouveaux discours plutôt que vers d’anciens partis – à l’image de l’APRA, qui a toujours eu des parlementaires depuis le retour à la démocratie en 1980 et s’est vu réduit à un maigre 2,8% des votes, sans possibilité d’obtenir un seul siège.

Quant à la gauche républicaine, elle s’est présentée divisée en deux partis : le Frente Amplio, 6%, et Juntos por el Perú, de l’ancienne candidate à l’élection présidentielle Verónika Mendoza, qui a obtenu 4,8% des voix. Le Frente Amplio a obtenu 12 parlementaires, consolidant une présence à Lima et dans la région minière de Cajamarca ; Juntos por el Perú s’est vu privé de groupe parlementaire pour quelques milliers de votes qui auraient pu être gagnés via des alliances électorales avec des groupes politiques régionaux de gauche. Captés par des partis sans idéologie – des « coquilles vides » selon les politologues péruviens –, ces leaders régionaux très populaires ont notamment permis à l’Unión por el Perú de ravir à la gauche toutes les régions du sud du Pérou qui avaient voté massivement pour Verónika Mendoza lors de l’élection présidentielle de 2016.

Du côté de la droite, la stratégie de campagne qui consiste à se proclamer du centre tout en défendant le système économique néolibéral, leur a permis de maintenir une forte présence à Lima et dans certaines grandes villes de la côte. Il n’en demeure pas moins que ce qui jadis fut le plus grand parti de droite, le Parti populaire chrétien, a été remplacé par le tout nouveau Partido Morado (7% et 9 parlementaires) dont le leader est Julio Guzman, jeune candidat présidentiel bénéficiant d’une forte popularité.

Le Partido Morado et Acción Popular ont attiré l’électorat du secteur plus aisé de Lima ainsi que les classes moyennes de la capitale, tandis que les secteurs populaires de Lima et de plusieurs villes du Pérou ont été séduits par le discours ultra-sécuritaire et de confrontation de Daniel Urresti, tête de liste du tout jeune parti Podemos (près de 8% des suffrages nationaux et 10 sièges), le plaçant comme le candidat ayant recueilli le plus de votes du Pérou, avec près d’un demi-million de voix. Ancien ministre de l’Intérieur du gouvernement d’Ollanta Humala (2011-2016), Urresti est imprévisible et surtout peu compétent sur des sujets qui débordent du champ de la sécurité. Alors que ce nouveau Parlement a un calendrier raccourci pour mener des réformes institutionnelles de fond comme le mode de nomination des magistrats de la Cour constitutionnelle ou le retour à un parlement bicaméral, il semble, au moins à première vue, qu’Urresti n’apportera pas de solutions à ces sujets.

Pour l’extrême droite péruvienne et pour les groupes ultra-conservateurs comme Con mis hijos no te metas (équivalent péruvien de La Manif pour tous), cette élection constitue un revers, puisqu’aucun de leurs candidats, placés sur plusieurs listes, n’ont été élus. Surtout, le parti Solidaridad Nacional, homophobe, xénophobe, favorable à la peine de mort, misogyne et dont le leader se proclame admirateur du président brésilien Bolsonaro, a subi un sévère échec, se plaçant avant-dernier parmi les dix-neuf listes participantes.

Sens de la forte poussée du parti religieux Frepap

Bien qu’on ne puisse pas parler de grands gagnants de l’élection, puisqu’avec une telle fragmentation il sera très difficile de former une majorité, un parti aura vécu une très bonne soirée électorale : le Frepap, parti politique syncrétique fondé par des évangéliques israélites, avec une présence forte depuis des décennies dans l’Amazonie mais qui n’était pas suffisante pour les porter à plus de 2% des suffrages au niveau national. Plus qu’un parti, ce groupe est religieux et la plupart des électeurs ne connaît pas leurs idées. Loin de l’idée des prédicateurs brésiliens ou des pasteurs évangéliques étatsuniens, les « frères » du Frepap sont plutôt réservés, les femmes portent le voile, et les hommes des longues barbes, prônant un modèle imitant les conditions de vie en Judée il y a deux mille ans. Face aux responsables politiques de carrière qui ont grandement déçu, l’électorat semble avoir exprimé son mécontentement en choisissant de voter pour le poisson, le symbole de campagne du Frepap. Sonnant comme un signe de protestation à l’encontre du système de partis, alors que le pourcentage d’indécis a baissé, les votes pour le Frepap ont augmenté jusqu’à 8%, leur donnant la deuxième place du scrutin au niveau national. Avec un tel résultat, seize « frères » du Frepap, tous inconnus du grand public, feront leur entrée en politique en tant que parlementaires.

Interrogations

De nombreuses interrogations se posent alors en guise de bilan de cette élection, qui se solde par une fragmentation du vote et l’émergence de partis peu connus et peu habitués à faire de la politique. Le tout avec une forte pression pour ce nouveau Parlement, puisque les députés n’auront que vingt mois pour mener à terme des réformes proposées par un président de la République qui n’a pas de parti politique en soutien et qui ne peut s’appuyer sur aucun groupe parlementaire pour donner un élan à ses projets au Parlement.

Les résultats provisoires en sièges au 31 janvier 2020 :
Droite 
Action Populaire : 25 sièges
Alliance pour le progrès : 18 sièges
Fuerza Popular : 15 sièges (fujimoriste)
Podemos Perú : 11 sièges
Partido Morado : 9 sièges
Somos Perú : 11 sièges
Gauche 
Frente Amplio : 9 sièges
Juntos por el Perú : 5 sièges (sous réserve de passer le 5% des votes exprimés)
Anti-système 
Unión por el Perú : 13 sièges (nationaliste andin)
Frepap : 15 sièges (parti religieux)

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