Partis, PAC, Super PAC : le financement des campagnes électorales aux États-Unis

À un an et demi de la prochaine élection présidentielle aux États-Unis, et à quelques mois du début des primaires, Roman Vinadia, docteur en géographie (IFG-Lab) et analyste (Cassini Conseil), décrypte en quoi consistent les différents modes de financement des campagnes électorales, élément décisif quant à l’issue du scrutin, alors que les vagues de dérégulation de ce financement ont conduit à une course perpétuelle aux levées de fonds.

Les élections de 2020 aux États-Unis ont coûté environ 16,4 milliards de dollars, soit plus de deux fois le coût de celles de 2016. Les sommes dépensées pour la seule élection présidentielle ont atteint 6,5 milliards, soit à peine 300 millions de moins que le PIB du Liechtenstein ou de Monaco la même année. C’est, à ce jour, l’élection la plus chère de l’histoire du pays.

Alors que la campagne pour les élections de 2024 s’amorce, cette note présente les bases du fonctionnement du financement des campagnes électorales aux États-Unis : quels sont ses mécanismes, les canaux par lesquels l’argent peut (ou ne peut pas) passer, qui donne, comment, et qui sont les principaux bénéficiaires ?

Par financement de campagne, on entend tout argent collecté et dépensé afin de promouvoir un candidat, un parti politique ou des politiques spécifiques lors d’une élection, d’un référendum ou d’un événement organisé par un parti.

L’objectif du financement de campagne est multiple, il sert à financer les activités de campagne des candidats et des partis, qu’il s’agisse d’événements de campagne, de publicité, de location de bureaux, d’achat de base de données d’électeurs ou encore de gestion des équipes de campagne.

Principes de base

La législation fédérale distingue plusieurs types d’acteurs qui ont la possibilité de participer au financement de campagne : les individus, les candidats, les Political Action Committees (PAC, des entités créées avec pour seul but de participer financièrement à une élection), les partis politiques, les organisations à but non lucratif et les Super PAC, sur lesquels nous reviendrons plus loin.

La source des fonds

Chaque type d’acteur est soumis à des règles propres pour être autorisé à accepter des contributions.

Les PAC et les partis politiques ne peuvent accepter que des sommes limitées provenant d’individus, d’autres PAC ou de partis politiques. Ces limites sont indexées sur l’inflation et augmentent régulièrement. Par exemple, pour les élections de 2023 et 2024, un individu peut donner 3 330 dollars à un candidat par cycle (primaire, puis élection générale) ainsi que 5 000 dollars à un PAC et 10 000 dollars à un parti politique par an. Par contraste, les Super PAC et autres groupes d’intérêt peuvent accepter des sommes illimitées.

Dépenser les fonds

La manière dont chaque type d’acteur peut dépenser l’argent récolté dépend une fois de plus de son statut, mais également du type de dépenses. On distingue les dépenses directes et les dépenses indépendantes (independent expenditures).

Les dépenses directes sont celles effectuées directement en coordination avec les candidats. On considère comme dépenses directes toutes celles effectuées par les candidats et leur comité de campagne ainsi que par des PAC alliés. Par exemple, une publicité diffusée à la télévision en soutien à ou attaquant un candidat et qui se termine par « Je suis le candidat X et j’approuve ce message » indique une dépense directe.

À l’inverse, les dépenses indépendantes sont celles effectuées sans coordination avec les candidats ou les partis politiques. Dans ce cas, une publicité financée par des dépenses indépendantes se terminerait par « Le groupe X est responsable du contenu de cette publicité » et elle n’obtiendrait pas le soutien affiché et explicite du candidat en question. D’une manière générale, les dépenses indépendantes sont effectuées par les Super PAC et les organisations à but non lucratif, qui n’ont légalement pas le droit de coordonner leurs activités avec les candidats ou les partis politiques.

L’explosion des dépenses indépendantes dans les élections américaines

Depuis maintenant une dizaine d’années, on note une explosion du recours aux dépenses indépendantes lors des élections américaines. Elles sont les principales responsables de l’augmentation exponentielle du coût des élections. Alors qu’en 2010 elles ne représentaient que 4% du total dépensé, elles atteignaient 23% en 2022.

Cette explosion est principalement due à deux décisions de la Cour suprême prises en 2010 : Citizens United v. FEC et SpeechNow.org v. FEC. Arguant que les limites imposées par la loi sur les dépenses indépendantes étaient une violation du premier amendement de la Constitution, la Cour suprême ouvrit la voie à la création des Super PAC. Ces nouveaux acteurs ont la possibilité de lever et de dépenser des sommes illimitées dans le cadre d’une élection, avec pour seules exigences l’interdiction de financer directement ou de se coordonner avec les candidats et l’obligation de publier la source des contributions qu’ils reçoivent.

Dans les faits en revanche, le principe de non-coordination est extrêmement difficile à appliquer1Marian Wang, « Uncoordinated Coordination: Six reasons limits on Super PAC are barely limits at al », Pro Publica, 21 novembre 2011.. Par exemple, un directeur de campagne a légalement le droit de rencontrer un responsable de Super PAC tant qu’ils ne discutent pas de stratégie de campagne. Or, dans de nombreux cas, ces personnes ont fait partie des mêmes équipes de campagne par le passé. Par exemple, en 2015-2016, le Super PAC Right to Rise, destiné à promouvoir la campagne de Jeb Bush, était dirigé par son ancien conseiller2Matea Gold, « It’s bold, but legal: How campaigns and their super PAC backer work together », Washington Post, 6 juillet 2015.. Dans d’autres cas, des Super PAC ont été créés pour l’enrichissement personnel de leurs dirigeants : ces Super PAC effectuent de vastes levées de fonds et dépensent la majorité de leurs revenus en salaires et dans d’autres levées de fonds, sans réellement s’engager en politique3Kenneth P. Vogel, « The rise of ‘Scam PACs’ »4, Politico, 26 janvier 2015.. Enfin, la coordination se fait parfois de manière indirecte entre les équipes de campagne d’un candidat et le Super PAC. Par exemple, un candidat peut faire un discours ou diffuser un communiqué de presse insistant sur une problématique particulière que le Super PAC allié pourra reprendre comme élément de langage dans ses propres communications.

L’opacification du financement de campagne

L’émergence des Super PAC a aussi contribué au développement d’un réseau opaque de financement de campagne.

Avant les décisions de la Cour suprême citées plus haut, un autre type d’organisation était habilité à effectuer des dépenses indépendantes dans le cadre d’une élection : les organisations à but non lucratif, dites organisations 501(c). Quelques-unes des plus connues sont les organisations syndicales (telles que l’AFL-CIO), la National Rifle Association (lobby des armes à feu), ou encore le think tank conservateur Heritage Foundation. Elles bénéficient aussi de deux avantages considérables : les contributions qui leur sont faites sont exemptées d’impôt et, contrairement aux candidats ou aux Super PAC, ces organisations n’ont pas à déclarer la provenance de leurs fonds. Cette liberté en fait donc des canaux privilégiés pour le financement opaque de campagne. Néanmoins, pour préserver leur statut auprès de l’Internal Revenue Service (IRS) – l’équivalent de notre Trésor public –, elles doivent prouver que l’activisme politique n’est pas leur activité principale. Ce qui de prime abord limite grandement leur capacité d’action.

Or depuis les décisions de la Cour suprême sur ce sujet, ces organisations peuvent créer leur propre Super PAC, qui est quant à lui autorisé à consacrer 100% de son activité au financement de campagne. On a ainsi vu depuis 2010 l’émergence de nombreux Super PAC affiliés à des organisations à but non lucratif, telles que Heritage Action, le Super PAC de la Heritage Foundation, ou le Club for Growth Action, le SuperPAC du Club for Growth, une organisation conservatrice.

Ce type de montage est avantageux sur plusieurs plans et permet la création d’un réel système de financement de campagne opaque, comme le montre le schéma suivant. Prenons le cas d’un individu ou d’une entreprise souhaitant participer au financement de campagne sans être contraint par les limites de contributions directes et sans que le public ne le sache. Il peut alors donner des fonds à l’organisation à but non lucratif, qui ne révèlera pas la source de la donation. Cette contribution peut ensuite être transférée au Super PAC, qui quant à lui doit révéler la source. Or, dans ce cas de figure, la source apparaîtra comme l’organisation à but non lucratif, et non le donateur original. Il deviendra alors impossible de retracer la source de cette contribution et le Super PAC pourra utiliser 100% de la somme pour de l’activisme politique.

Ce montage a l’avantage de masquer les donateurs originaux et de permettre aux organisations à but non lucratif de participer activement au financement de campagne sans mettre leur statut en péril auprès de l’IRS. Elles peuvent donc lever et dépenser des sommes illimitées dédiées à l’activisme politique sans avoir à déclarer leurs donateurs et sans être limitées par leur statut d’organisation à but non lucratif.

De fait, il est donc difficile d’évaluer l’ampleur de la circulation du financement opaque dans les élections américaines. Néanmoins, des investigations ont permis de révéler certains de ces réseaux et d’obtenir un aperçu de leur fonctionnement et des sommes qui ont circulé dans les élections récentes5Kim Barber et Meyer Theodoric, « The Dark Money Man: How Sean Noble moved the Koch’s Cash into politics and made millions », ProPublica, 14 février 2014 ; www.alecexposed.org.. En 2012, sur les 1,4 milliard de dollars dépensés pendant la campagne, 312 millions provenaient de ces réseaux, soit 22%. En 2020, une analyse ne recensait pas moins d’un milliard de dollars dépensés de manière opaque6Anna Massoglia et Karl Evers-Hillstrom, « ‘Dark money’ topped $1 billion in 2020, largely boosting Democrats », Open Secrets, 17 mars 2021..

Pendant les premiers cycles d’élection de l’ère post-Citizens United, les conservateurs bénéficiaient d’un avantage considérable dans le domaine du financement opaque, notamment grâce à des réseaux bien établis. Le plus connu est certainement celui des frères Koch, qui compte des dizaines d’organisations à but non lucratif, de Super PAC et de think tanks dédiés à promouvoir la cause conservatrice7Ed Pilkington, « The Kochtopus: sprawling network keeps David Koch’s legacy thriving », The Guardian, 23 août 2019.. À partir de 2016, en revanche, les intérêts prodémocrates sont parvenus à constituer leur propre réseau, plaçant les deux partis sur un pied d’égalité8Anna Massoglia et Karl Evers-Hillstrom, « ‘Dark money’ topped $1 billion in 2020, largely boosting Democrats », Open Secrets, 17 mars 2021..

Qui donne et qui bénéficie ?

Deux constats s’imposent lorsqu’on analyse l’évolution des sommes dépensées pour les élections aux États-Unis.

D’une part, l’augmentation du coût des élections est quasi constante depuis plus de vingt ans. Cette augmentation est poussée à la fois par le coût croissant des élections présidentielles et des élections pour le Congrès.

Par exemple, le coût total de l’élection de 2020 (présidentielle et Congrès) a atteint un record de 16,4 milliards, soit plus de trois fois plus que les 5 milliards dépensés lors de l’élection de 2000. Si l’on ne prend que les dépenses directes, Joe Biden a dépensé un peu plus d’un milliard de dollars pour son élection en 2020, contre 810 millions pour Donald Trump, soit un total de 1,81 milliard dépensés par les deux candidats principaux. Par comparaison, lors de l’élection présidentielle de 2000, le total de l’argent dépensé directement par l’ensemble des candidats (y compris aux primaires) atteint à peine 613 millions, dont 385 millions pour tous les candidats républicains et 176 millions pour tous les candidats démocrates. En France, le plafond légal des dépenses par candidat pour l’élection présidentielle de 2022 était de seulement 39 millions d’euros, soit un peu moins de 43 millions de dollars, pour le premier et second tour cumulé.

Les élections pour le Congrès coûtent aussi de plus en plus cher : la somme moyenne dépensée par les candidats ayant gagné leur siège à la Chambre des représentants est passée de 543 000 dollars en 1992 à presque 2,8 millions en 2022. De même pour le Sénat où le coût moyen a été multiplié par presque sept, passant de 3,9 millions en 1992 à 26,5 millions en 2022.

D’autre part, démocrates et républicains sont à égalité dans la course au financement de campagne. L’augmentation continue des sommes dépensées au cours des dernières décennies ne bénéficie que marginalement à un parti par rapport à l’autre, et la tendance change selon les cycles électoraux, comme le montre le schéma suivant. Au début des années 2000, les républicains avaient un léger avantage sur les démocrates, particulièrement lors des élections de mi-mandat, mais en 2008, puis depuis 2016, le Parti démocrate a renversé la situation.

Les différences entre les partis émergent quand on se concentre sur les types de contributeurs.

Une parité relative qui masque la polarisation du paysage politique américain

Le secteur le plus dépensier dans les cycles électoraux est celui du monde économique. En 2022, plus de 60% des contributions et dépenses provenaient de ce secteur, contre seulement 4% pour les organisations syndicales et 13% pour les groupes d’intérêts idéologiques.

Démocrates et républicains sont sur un pied d’égalité concernant les contributions du secteur économique. De même, aucun parti n’a davantage dans le soutien obtenu par les groupes idéologiques. La plus grosse différence partisane apparaît dans le biais démocrate évident des syndicats : en 2022, les candidats démocrates obtinrent sept fois plus de contributions syndicales que les républicains.

Malgré une équivalence relative des partis dans les contributions reçues du secteur économique, la polarisation du paysage politique américain se reflète dans les préférences des différentes industries. Par exemple, plus de 80% des contributions provenant du secteur du divertissement ou des hautes technologies sont allés aux candidats démocrates en 2022. À l’inverse, les candidats républicains ont bénéficié de plus de 80% des contributions de secteurs tels que le transport, l’agriculture, ou encore le secteur minier.

On retrouve naturellement cette polarisation dans les contributions des groupes d’intérêts idéologiques : les démocrates obtiennent un large soutien de la part des organisations défendant le droit à l’avortement (100%), le contrôle des armes à feu (98,6%) et de l’environnement (87,1%). Par contraste, les républicains ont pu compter sur le soutien des organisations défendant le port d’arme (99,7%) et anti-avortement (98,6%).

On retrouve la même dynamique dans le cas des dépenses indépendantes. Par exemple, en 2022, les groupes d’intérêt conservateurs étaient responsables de 55% des sommes dépensées, contre 41% pour les groupes d’intérêt progressistes. En 2020, la tendance était inverse, avec un avantage de 8 points pour les groupes d’intérêts progressistes (53% contre 45%). Aucun camp ne semble donc bénéficier plus que l’autre des dépenses indépendantes.

Les vagues de dérégulation du financement de campagne aux États-Unis ont conduit à une course perpétuelle aux levées de fonds. Les différentes tentatives pour limiter et encadrer les sommes, ou augmenter la transparence en matière de financement de campagne, ne semblent pas avoir endigué cette course. Au contraire, plusieurs réformes visant à limiter la corruption au sein des partis en matière de financement de campagne et à augmenter la transparence dans les années 1970 et 2000 ont eu l’effet inattendu d’ouvrir le champ à de nouveaux acteurs, notamment les groupes d’intérêts, et ont permis l’émergence d’un système de financement opaque difficile à tracer. Ces effets ont été décuplés à la suite des décisions de la Cour suprême des années 2010. Aujourd’hui, le champ politique est investi par une myriade de nouveaux acteurs constituant des réseaux parallèles, parfois soutenant et parfois en compétition avec les structures partisanes traditionnelles. La formation de ces réseaux contribue en grande partie à l’exacerbation du phénomène de polarisation des partis politiques aux États-Unis : ces groupes d’activistes disposent de moyens financiers conséquents pour influencer l’orientation idéologique des candidats, particulièrement lors des primaires. Ils les poussent à adopter des positions toujours plus radicales sous peine de voir leur financement s’assécher et leur campagne torpillée par des publicités financées par des dépenses indépendantes de groupes dont les sources financières sont parfois difficilement identifiables.

  • 1
    Marian Wang, « Uncoordinated Coordination: Six reasons limits on Super PAC are barely limits at al », Pro Publica, 21 novembre 2011.
  • 2
    Matea Gold, « It’s bold, but legal: How campaigns and their super PAC backer work together », Washington Post, 6 juillet 2015.
  • 3
    Kenneth P. Vogel, « The rise of ‘Scam PACs’
  • 4
    , Politico, 26 janvier 2015.
  • 5
    Kim Barber et Meyer Theodoric, « The Dark Money Man: How Sean Noble moved the Koch’s Cash into politics and made millions », ProPublica, 14 février 2014 ; www.alecexposed.org.
  • 6
    Anna Massoglia et Karl Evers-Hillstrom, « ‘Dark money’ topped $1 billion in 2020, largely boosting Democrats », Open Secrets, 17 mars 2021.
  • 7
    Ed Pilkington, « The Kochtopus: sprawling network keeps David Koch’s legacy thriving », The Guardian, 23 août 2019.
  • 8
    Anna Massoglia et Karl Evers-Hillstrom, « ‘Dark money’ topped $1 billion in 2020, largely boosting Democrats », Open Secrets, 17 mars 2021.

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