En ce jour de débat télévisé, et à moins de trois semaines du vote, où en sont les Français ? Revue de verbatims par l’Observatoire de l’opinion.
Où en sont les Français à moins de trois semaines du vote ? Dans le suivi qualitatif de la campagne mené notamment à travers la communauté POP2017 de BVA-Salesforce pour la Presse régionale et Orange, le premier débat avait amorcé quelque chose : enfin, la campagne allait pouvoir commencer, laisser là la chronique des affaires et des jeux d’alliance, et parler du fond, des choix à faire pour le pays. Le débat avait globalement tenu ses promesses : on en avait tiré un début d’explication sur les projets, et quelques impressions sur les personnalités. « On a pu voir les forces et faiblesses de chacun ».
Emmanuel Macron, que beaucoup attendaient de juger sur pièce, s’en était bien tiré. « Il apporte de la fraîcheur », « s’en est bien sorti dans ce marigot ». Jean-Luc Mélenchon a marqué : « un érudit » qui « parle haut et clair », secoue le système, « rentre dedans mais de manière intelligente ». Le tribun, apprécié, « mais il y a quand même des choses irréalistes » : peut-il faire président ? Marine Le Pen s’est appuyée sur un ressort fort, l’appel au peuple, ce qui n’échappa pas aux Français : « elle parlait de donner la voix au peuple français, que ce soit lui qui agisse, et les autres n’ont pas parlé du tout de ça. Ça lui a donné une crédibilité qu’elle ne devrait pas avoir ». François Fillon a rassuré et encouragé les siens – « son programme est cohérent, je trouve que c’est le président le plus réaliste » – assez peu au-delà. Benoît Hamon a été vu comme davantage décalé et surtout beaucoup trop polémique : « les candidats doivent parler aux Français et non pas régler leurs comptes entre eux ! ».
Après cet exercice réussi, les jugements sur la qualité de la campagne s’étaient nettement améliorés. Las, la semaine qui a suivi a refermé bien vite cette parenthèse : les accusations de cabinet noir, les rebondissements de l’affaire des costumes, la démission de Bruno Le Roux sont venus polluer à nouveau la semaine. « Ça me décourage… ». « La campagne, elle est déprimante ». Et les jugements sur la qualité de la campagne ont replongé : retour au niveau d’il y a quinze jours…
Pourtant, les Français savent qu’il va bien falloir faire un choix, et le temps presse. Mais sur la base de quoi se décider face à ce « spectacle désolant », ou « l’on n’aborde pas les sujets essentiels parce qu’il n’y en a que pour les scandales et les foires aux alliances ? ». Alors, avant le second débat, les attentes deviennent plus aigües encore : « J’attends que l’on nous parle de la France qui va mal, du chômage qui monte, de la délinquance qui monte, du ras-le-bol qui monte, de l’Europe qui va mal aussi. En un mot, que les candidats parlent aux Français de ce qui fait leur quotidien ».
Beaucoup des propos sont durs, plus encore qu’avant le premier débat. « C’est la première fois que j’assiste à une campagne aussi décousue ! ». « Nous vivons et supportons une élection présidentielle minable, une guerre d’égos qui ne dit rien sur les valeurs républicaines et démocratique ». Ces Français qui s’expriment veulent « de la franchise, qu’ils arrêtent de nous mener en bateau », « de la clarté », « qu’ils arrêtent de vendre du rêve, qu’ils voient la réalité en face en nous proposant des solutions possibles et réalisables ». Ils regarderont attentivement « les petits candidats », « les oubliés de la campagne » : peut-être auront-ils « quelques bonnes idées » ? Même si la possibilité même d’un débat à 11 laisse dubitatif : « déjà à 5, ils n’ont pas beaucoup de temps, alors à 11… ». « Ils sont trop nombreux, ce ne sera pas un débat mais un échange de petites phrases ».
Alors en attendant, dans cette atmosphère saturée d’attentes et de frustration, dans cette répétition ad nauseam d’espoirs levés et brutalement déçus, se poursuit la polarisation autour des candidats « anti-système » : Marine Le Pen, Emmanuel Macron et, de plus en plus, Jean-Luc Mélenchon qui réussit à capter une part de cette aspiration. Comme si, plus la campagne était difficile à suivre, plus on se sentait « dépassé par ce qu’il se passe », par « toute cette politique, on n’a jamais eu une telle pagaille », plus l’envie de « renouveler » tout ce monde politique auquel on ne peut « plus faire confiance » apparaissait comme le seul remède au mal dont souffre le pays.
Sans contresens : ce n’est pas la volonté de tout détruire qui attire, mais bien celle de tout reconstruire. Une manière de « remise en ordre ». « Comment garantir l’avenir des jeunes ? Que feront-ils pour la santé ? La ruralité ? La sécurité ? La formation ? La baisse des dépenses publiques ? Le développement économique ? La valeur travail ? Le niveau de vie augmente, les prix augmentent, mais certains ne sont pas payés plus… Comment faire ? ». Qui saura y répondre ? Avec « des réponses claires, et surtout, sans animosité ». Car, gare, beaucoup de Français préviennent déjà : « s’ils continuent à nous prendre pour des lanternes… ». Comme un dernier avertissement.
On peut résumer les enjeux pour chaque candidat. Pour Emmanuel Macron, continuer à apparaître « différent », « hors système » malgré les ralliements qui s’accumulent, et préciser encore son projet sur le fond pour capter à la fois les aspirations des électeurs de gauche orphelins et conserver un électorat pour qui rigueur budgétaire et fermeté régalienne sont importants. Pour Marine Le Pen, maintenir la mobilisation de son électorat et tenter d’imposer un face-à-face idéologique avec son adversaire préféré. Pour François Fillon, s’émanciper des affaires, faire oublier l’impression de « déconnexion » et d’incapacité de dialogue qui s’est installée depuis des semaines, et galvaniser sa base pour qui il n’existe pas d’autre choix possible pour porter les valeurs de la droite. Pour Jean-Luc Mélenchon, consolider son assise dans un électorat plus au centre gauche, sans rien perdre de sa radicalité mais en limant ses emportements – quadrature du cercle. Pour Benoît Hamon enfin, revenir dans le jeu, lui qui n’existe plus depuis quelques jours que par le feuilleton des défections et trahisons.
Et pour chacun, parler aux Français dans cette dernière ligne droite, pour répondre à leur attente du moment : être en mesure de faire un choix un peu plus éclairé, de se décider un peu plus sereinement. Car, dans tout cela, c’est rien moins que l’avenir du pays qui est en jeu – et la capacité à retrouver espoir en l’avenir et confiance dans les politiques.