Dans cette note de la série Mexique : d’une présidence à une autre, quel héritage d’AMLO pour Claudia Sheinbaum ?, Arturo Huerta González, professeur d’économie à l’UNAM (Université nationale autonome de Mexico), propose une analyse détaillée de la politique économique menée au Mexique par la présidence d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO).
Depuis les années 1980, la politique économique adoptée a privilégié l’ouverture commerciale (1986), la libre circulation des capitaux (1989) et des politiques macroéconomiques axées sur l’excédent primaire, en excluant le paiement du service de la dette publique (1983). Ces orientations se sont accompagnées de taux d’intérêt élevés et d’une stabilité des taux de change (à partir de la fin de 1987), autant de facteurs qui ont progressivement affaibli les capacités endogènes d’accumulation et de croissance. L’économie est entrée dans une phase de décroissance (graphique 1) marquée par des pressions croissantes sur le secteur externe et une dépendance de plus en plus prononcée vis-à-vis des flux de capitaux étrangers.
Graphique 1
Graphique élaboré par l’auteur à partir de données de Banxico, Banca Comercial, 2023.
La croissance du PIB par habitant qui s’élevait en moyenne à 3,5% entre 1950 à 1981 et a chuté à une moyenne annuelle de 0,36% de 1982 à 2000, et de 0,64% de 2001 à 2021. Pour faire face à la crise liée à la pandémie de Covid-19 en 2020, de nombreux pays ont adopté des mesures pragmatiques, en réduisant les taux d’intérêt et augmentant les dépenses publiques. En revanche, le Mexique a maintenu sa politique néolibérale prédominante. Il n’a ni abaissé les taux d’intérêt, ni renforcé les dépenses publiques. La politique fiscale n’a pas rempli sa fonction de compenser la brèche de la demande, à l’origine de la chute des exportations, comme de celle de la consommation et de l’investissement privé. Il en a résulté un grand décrochage de 8,2% de l’activité économique. Cette chute a été plus prononcée que dans la majorité des pays latino-américains, du fait de la non-adoption de mesures économiques contracycliques.
Le gouvernement de la période 2018-2024 a poursuivi les politiques néolibérales de ses prédécesseurs : maintien d’une politique d’austérité fiscale, de taux d’intérêts élevés et de la stabilité des taux de change, limitant ainsi l’implication directe de l’État dans l’économie. Ces orientations ont renforcé le rôle du secteur privé, en laissant aux forces du marché et à l’économie ouverte, via la libre circulation des marchandises et des capitaux, la conduite de l’économie. Entre la fin de 2018 et le deuxième trimestre de 2023, le taux de croissance annuel moyen était de 0,4% (tableau 1).
Tableau 1
PIB de México en prix constants de 2018 (2018 – 2023) | ||
Année | PIB | TCPA |
4T 2018 | 24632360.5 | |
2T 2023 | 25146771,2 | 0,40% |
Graphique de l’auteur à partir de données de Banxico, Banca Comercial, 2023.
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Abonnez-vousQui sont les bénéficiaires de l’austérité fiscale ?
La politique d’austérité fiscale vise à assurer l’équilibre des comptes de l’État, en veillant à ce que les dépenses soient couvertes par les recettes afin d’éviter une augmentation de la dette. Cette approche a empêché toute mise en œuvre de politiques fiscales de nature procyclique, permettant d’enrayer la chute des exportations, de résorber le déficit du commerce extérieur et d’atténuer la chute de la consommation et de l’investissement privé. Il en résulte une croissance économique nationale particulièrement faible.
En dépit de dépenses réduites afin de ne pas s’endetter, il convient de signaler que la dette n’est pas honorée car, en ne dépensant plus, l’activité économique se contracte, comme les revenus des entreprises et des personnes. En conséquence, les impôts rentrent moins, ce qui perpétue le déficit fiscal, l’accroissement de la dette et le cycle de l’endettement.
La dette se rembourse et se réduit grâce à une augmentation des dépenses publiques, qui permet de relancer l’économie nationale. Ce dynamisme stimule alors les revenus des entreprises et des particuliers, ce qui entraîne une amélioration des recettes fiscales. Ainsi, c’est bien l’investissement public qui génère les ressources nécessaires.
Le gouvernement 2018-2024 a initié des projets voués à l’échec, qui n’ont eu qu’un impact limité à l’échelle régionale, tels que le train Maya et Interocéanique. Le premier profitera surtout à l’hôtellerie internationale, qui s’installera dans la région en important les intrants nécessaires, tout en offrant des emplois locaux peu qualifiés. Quant au projet du train Interocéanique, il cherche à attirer des entreprises exportatrices internationales, dans un contexte de contraction du commerce mondial, liée non seulement au ralentissement économique global, mais également à l’adoption par de nombreux pays de politiques d’autosuffisance. Ces politiques encouragent la substitution des importations, réduisant ainsi la demande de produits extérieurs. On peut donc s’attendre à ce que peu d’entreprises exportatrices soient réellement intéressées, et celles qui s’installeront fonctionneront avec un fort recours aux d’importations, limitant ainsi les effets multiplicateurs internes et dynamisant peu l’économie locale.
Qui sont les bénéficiaires du libre-échange et quelles en sont les conséquences ?
Les pays exportateurs, dotés d’une productivité et d’une compétitivité supérieures à celles des producteurs nationaux, ont inondé le marché intérieur, aggravant ainsi le déficit du commerce extérieur. L’économie nationale, de moins en moins industrialisée, a perdu son autosuffisance alimentaire en produits de base, et son rythme de croissance a ralenti. Face à ces défis, les entreprises ont maintenu des bas salaires pour rester compétitive et faire face aux importations bon marché, facilitées par la réévaluation de la monnaie nationale et un dollar bas.
Le libre-échange n’a fait qu’accroître la part des entreprises transnationales, qu’il s’agisse de celles qui nous vendent leurs produits ou de celles qui s’installent dans le pays pour tirer parti d’une main-d’œuvre bon marché et de la proximité avec le plus grand marché mondial, auquel elles s’exportent depuis ici. Comme mentionné précédemment, ces entreprises fonctionnent majoritairement avec des intrants importés, ce qui limite leur impact bénéfique sur l’économie nationale. En somme, bien qu’elles exportent, elles importent également une grande qualité et rapatrient leurs bénéfices dans leur pays d’origine, exerçant ainsi une pression sur le secteur externe.
Qui sont les bénéficiaires de la libre circulation du capital et quelles en sont les conséquences ?
L’économie nationale a vu ses conditions endogènes d’accumulation et de croissance se détériorer en raison de son intégration dans la mondialisation et des politiques qui l’accompagnent. Elle est devenue dépendante des apports de capitaux pour atténuer les pressions sur le secteur externe, au point d’ouvrir, à la fin des années 1980, les comptes de la balance des paiements et de favoriser la libre circulation des capitaux.
Le capital financier exige que priment la libre circulation des capitaux et la convertibilité de la monnaie, assortie d’un taux de change stable, car il est vulnérable aux dévaluations. La stabilité de la monnaie a été permise par l’entrée de ces capitaux, qui ont permis de financer le déficit du commerce extérieur, d’accroître les réserves internationales et de garantir la convertibilité de la monnaie nationale à un taux de change stable. De là viennent les taux d’intérêt élevés et les politiques d’austérité fiscale, en lien avec l’élargissement de la sphère d’investissement étranger dans des secteurs stratégiques, visant à renforcer les réserves internationales.
À partir de là, il n’y a plus eu de politique économique favorisant la croissance et l’accès à un emploi bien rémunéré. Au contraire, l’ouverture accrue aux entreprises étrangères a été encouragée pour mobiliser les capitaux nécessaires à la stabilité du taux de change, écarter les risques de dévaluation susceptibles de nuire au capital financier présent dans le pays et éviter les fuites de capitaux pouvant déstabiliser le marché des devises et des capitaux.
La politique visant à attirer les capitaux a permis de stabiliser le taux de change, tout en valorisant la monnaie nationale, ce qui a accru les gains du capital financer. En effet, lors de la sortie de ces capitaux, le dollar vaut moins qu’à son entrée, maximisant les bénéfices réalisés.
L’économie nationale est entrée dans un cercle vicieux à partir du moment où la libre circulation des capitaux a été autorisée. En effet, la politique économique alors a privilégié une stratégie dite de la stabilité (taux d’intérêt élevés, stabilité des changes, austérité fiscale) favorisant le capital financier. Cependant, cette approche a eu un coût : l’abandon d’une politique économique encourageant le secteur productif, l’emploi formel et la croissance économique. Cela a conduit à maintenir des pressions sur le secteur externe et à renforcer la dépendance de l’économie vis-à-vis des flux de capitaux étrangers. La politique actuelle continue de privilégier ces apports financiers pour assurer son financement et préserver la libre circulation des marchandises et des capitaux, au détriment de la croissance économique, qui nécessiterait des taux d’intérêt bas, un taux de change compétitif et un accroissement de la dépense publique – toutes mesures empêchées par la priorité accordée à l’attraction du capital financier, qui sinon se détournerait de l’économie mexicaine.
Qui sont les bénéficiaires de taux d’intérêt élevés et avec quelles conséquences ?
Le taux d’intérêt élevé, ainsi que le différentiel qu’il maintient avec le taux d’intérêt de la Réserve fédérale, favorise le capital financier externe investi dans la dette publique. De plus, ce taux a récemment agi comme un frein sur la demande, aggravant le chômage dans le but de réduire l’inflation. Des économistes conventionnels, tels que Jason Furman, parlent « de la nécessité de durcir la politique monétaire, le temps qu’il faut jusqu’à ce que l’inflation soit découplée de la croissance des salaires et rétro-alimente les facteurs additionnels entrant dans le niveau des prix1Jason Furman, America’s Wage-Price Persistence Must Be Stopped, Project Syndicate, 2022. ».
La Banque centrale du Mexique, connue sous le nom de Banxico, indique que son objectif est de réduire l’inflation, qui impacte les plus démunis. Le problème est que la hausse des taux d’intérêt réduit l’investissement productif et accroît le chômage. En conséquence, les plus démunis n’ont plus de revenus et sont dans une situation pire que celle qui était la leur quand ils avaient un emploi, car ils avaient au moins un revenu pour faire face à l’inflation.
Les autorités monétaires s’attaquent à l’inflation en considérant que celle-ci trouve son origine dans la demande, tout en écartant des facteurs tels que l’austérité fiscale, les bas salaires et la mauvaise distribution des revenus. Cependant, malgré des taux d’intérêt aussi élevés, elles n’ont pas réussi à faire baisser l’inflation comme prévu. En effet, cette politique restrictive freine l’investissement, génère des retards dans la production et provoque une pénurie de bien, ce qui exerce une pression sur les prix. De plus, comme les autorités monétaires et budgétaires ne peuvent pas stimuler la croissance de l’offre pour faire baisser l’inflation (car ils seraient obligés de baisser le taux d’intérêt, d’augmenter la dépense publique – chose impossible, car selon leurs conceptions, cela favoriserait les sorties de capitaux), ils ont choisi de réduire la demande sous l’offre pour casser l’inflation, entraînant ainsi une situation de stagnation économique.
Les économistes monétaristes soutiennent qu’il est nécessaire de réduire l’inflation pour favoriser la croissance économique. Cependant, cette hypothèse ne se vérifie jamais, car les politiques mises en œuvre pour abaisser l’inflation, telles que le maintien de taux d’intérêt élevés, l’austérité fiscale ou encore l’adoption d’un dollar fort associé à des importations bon marché, sont souvent contraires à la dynamique de croissance. De surcroît, une fois l’inflation réduite, les autorités ne modifient en rien leur politique économique, perpétuant le contexte de stagnation de l’économie. William Mitchell signale que « les dommages à long terme des récessions ont un coût beaucoup plus élevé que celui de permettre la poursuite des processus inflationnaires2William Mitchell, « It all adds up to the conclusion that system change is required not progressive tinkering », 24 août 2022. ».
Les taux d’intérêt élevés accroissent les problèmes financiers tant du gouvernement que du secteur privé en raison de leur niveau d’endettement. Cela a pour conséquence un transfert accru de ressources vers les créanciers, notamment les banques, ce qui se traduit par une décapitalisation, ainsi qu’une chute de la consommation et de l’investissement. Ce phénomène étouffe l’activité économique et aggrave l’endettement. En 2024, l’impact du service de la dette publique représente 37% du PIB, dépassant ainsi les niveaux d’investissement public, conséquence des taux d’intérêt élevés imposés par la Banque centrale.
Le taux d’intérêt n’est pas neutre dans ses effets : il favorise le secteur financier tout en affectant le secteur non financier. Les banques profitent de la décapitalisation des secteurs endettés, tout en augmentant le fossé entre le secteur financier et le secteur productif. Les meilleures conditions de profit offertes au secteur financier, conséquence des taux d’intérêt élevés et de la stabilité des changes, expliquent pourquoi les flux de capitaux s’orientent vers la finance plutôt que vers l’économie productive.
Un taux d’intérêt élevé renchérit le coût du crédit ainsi que les obligations financières des secteurs public et privé, limitant leurs capacités de dépenses et d’investissement en raison des contraintes financières accrues. Cette réduction de l’investissement marginalise la sphère productive, accentue les retards productifs et génère une pression sur les prix, les importations et le secteur externe, tout en aggravant le ralentissement de l’économie nationale.
La politique macroéconomique de stabilité offre le secteur financier en offrant de meilleures conditions de profit, au détriment du secteur productif. Cette dynamique a conduit une faible croissance économique, une augmentation du travail informel, du sous-emploi, des emplois à temps partiel, tout en exacerbant les inégalités de revenus.
La hausse des taux d’intérêt affecte non seulement les finances publiques en les mettant sous pression, mais aussi le secteur externe, en raison de l’appréciation de la monnaie nationale.
Qui profite du peso fort et quelles en sont les conséquences ?
Un taux d’intérêt élevé stimule l’afflux de capitaux étrangers, ce qui entraîne une réévaluation de la monnaie nationale. Cette appréciation favorise les importations, devenues moins coûteuses, et contribue ainsi à la réduction de l’inflation. Cependant, elle affecte négativement la compétitivité de la production nationale, affaiblie par la concurrence des produits importés, tout en aggravant le déficit extérieur et en freinant la croissance économique. La dépendance croissante de l’économie vis-à-vis des capitaux étrangers est ainsi renforcée, et la politique économique se retrouve contrainte de poursuivre cette dynamique, au détriment de la croissance.
Les exportateurs étrangers tirent avantage de l’appréciation de notre monnaie, ce qui entraîne une augmentation des importations au détriment des exportations, exacerbant ainsi le déficit du commerce extérieur. Un peso fort a engendré une situation où les importations croissent plus rapidement que la consommation, l’investissement ou même le PIB. Dans ce contexte, la demande interne n’a plus d’effet multiplicateur sur l’économie nationale, mais profite avant tout aux économies étrangères, avec pour conséquence directe un déficit commercial accru (graphique n°2).
Graphique 2
Graphique de l’auteur à partir de données de INEGI, Oferta y Utilización Trimestral. Año base 2013, 2023.
Avec un peso fort, le capital financier sort également gagnant en raison du taux d’intérêt élevé, bien davantage qu’avec tout autre investissement, puisque le dollar sortant est moins cher qu’à son entrée.
La politique anti-inflationniste suivie n’a pas atteint ses objectifs
La Banque centrale a toujours privilégié la hausse du taux d’intérêt pour faire baisser l’inflation, en freinant l’activité économique, en augmentant le chômage et en dissuadant les hausses de salaire, dans le but de restreindre la demande, perçue comme la principale responsable de l’inflation. La hausse du taux d’intérêt, avec l’austérité fiscale et le peso fort, joue au détriment du secteur productif, accentuant les retards dans la production, le déficit de produits et les pressions sur les prix créées par les problèmes d’offre. La Banque centrale ne cherche pas à stimuler l’offre pour faire baisser l’inflation et associer une inflation basse avec une croissance économique. Elle devrait pourtant abaisser les taux d’intérêt et flexibiliser le taux de change pour atteindre cet objectif, mais cela nuirait au secteur financier, qu’elle semble protéger. Ainsi, la Banque choisit de contracter l’économie et l’emploi, via des taux d’intérêt élevés, afin de réduire la demande et l’inflation. Le problème est que ces taux d’intérêt élevés n’ont pas permis de réduire suffisamment l’inflation. Cette politique perpétue et aggrave les problèmes d’offre (pénurie de produits, faible productivité) générés par l’inflation. Ryan Bourne signale que « les problèmes sont du côté de l’offre, coupable de l’inflation constatée. Il aurait été incorrect et nocif d’appliquer une politique plus stricte3Ryan Bourne, Why Economists Disagree on Whether Inflation Was a Supply or Demand Problem, Cato Institute, 2022. ».
La politique fiscale a été alignée sur l’objectif de réduction de l’inflation fixé par la Banque centrale, entraînant l’abandon de mesures contracycliques destinées à freiner la chute de la demande et l’impact négatif du déficit commercial extérieur sur l’économie. Par ailleurs, les coupes budgétaires imposées par le ministère compétent ont ralenti davantage l’activité économique, accentuant les retards de production et la pénurie de biens, sans effet notable sur l’inflation.
La politique anti-inflationniste actuelle a échoué car elle n’attaque pas le problème à sa racine. Elle repose sur un déni en refusant de reconnaître qu’il s’agit d’un problème structurel, lié à un déficit de l’offre plutôt qu’à un excès de demande.
Ce qu’il faudrait entreprendre, c’est stimuler et accroître l’investissement productif des secteurs agricole et industriel, en baissant les taux d’intérêt, en accordant des subventions, en augmentant la dépense publique, en adoptant un taux de change compétitif et en régulant le commerce extérieur pour défendre la production nationale face aux importations.
Un autre facteur accentue l’inflation : les importantes marges de profit pratiquées par les entreprises pour augmenter leurs gains. Il est donc nécessaire de réguler les prix, afin qu’ils permettent un bénéfice juste, sans pour autant décourager les investissements, tout en évitant la spéculation. Enfin, les salaires devraient être indexés sur l’inflation pour protéger le pouvoir d’achat.
Une inflation basse due aux politiques restrictives ne garantit pas la croissance de l’économie
Malgré une inflation de 4,4% la première quinzaine de septembre 2023, la Banque centrale n’a pas baissé le taux d’intérêt, le peso est toujours aussi fort, ce qui continue de peser sur la croissance économique. Il y a eu une petite modification de la politique fiscale, avec l’acceptation d’un déficit primaire (hors paiement de la dette publique) de 1,2% du PIB, mais qui n’est pas suffisant pour relancer l’économie. Les autorités refusent de flexibiliser la politique économique, de peur de relancer l’inflation et une déstabilisation du taux de change, préférant ainsi maintenir un frein sur l’activité économique. Cette approche perpétue les pressions sur les finances publiques et le secteur extérieur, tout en aggravant le sous-emploi, l’économie informelle, les bas salaires, les inégalités croissantes de revenus et les problèmes d’insolvabilité. Dimitri Papadimitriou et Randall Wray ont conclu que « les coûts de réduction de l’inflation ont été supérieurs aux bénéfices de prix stabilisés4Dimitri B. Papadimitriou et L. Randall Wray, Still Flying blind after all these years: The Federal Reserve’s Continuing Experiments with Unobservables, Levy Economics Institute of Bard College, Public Policy Brief, n°156, 2021. ».
La politique économique prédominante accroît l’endettement et les pressions sur les variables macroéconomiques
Le taux d’intérêt, et par conséquence le coût du service de la dette, est bien supérieur à la croissance du revenu national, d’où l’accroissement des difficultés empêchant le paiement de la dette. Cette situation freine l’investissement et génère des revenus insuffisants pour assurer le remboursement du crédit. Nouriel Roubini signale que « la dette publique et privée dans le système est telle (348% au niveau mondial) que la hausse des taux d’intérêt pourrait déclencher une forte chute des marchés de bons, actions et crédits5Nouriel Roubini, The Gathering Stagflationary Storm, Project Syndicate, 2022. ».
On entre alors dans un schéma de type Ponzi, où le recours à la dette permet de rembourser une dette antérieure, augmentant l’incertitude économique. Face à cette situation, les banques réduisent l’octroi de crédit et les entreprises revoient à la baisse leurs décisions d’investissement, recréant un cercle vicieux de stagnation économique, de faibles niveaux de revenu national et d’incapacité croissante à rembourser la dette.
Les taux d’intérêt élevés, l’austérité fiscale et la valorisation du peso nuisent au développement productif et au revenu national, tout en accentuant les pressions sur les finances publiques et le secteur extérieur, ainsi que sur les problèmes d’insolvabilité. Cette situation freine la croissance économique, génère de l’incertitude et augmente le risque pays, occasionnant des sorties de capitaux et exerçant des pressions sur le taux de change. Ces dynamiques sont susceptibles de perdurer en raison d’une croissance économique faible, d’un commerce mondial en recul et des contextes électoraux au Mexique et aux États-Unis. En janvier 2018, les non-résidents détenaient 2 121 665 millions de pesos de dette publique. Au 20 septembre 2023, ils en détenaient 1 656 682 millions. En dépit du différentiel des taux d’intérêt entre les États-Unis et le Mexique, les résidents étrangers préfèrent diminuer leurs investissements en pesos et se protéger aux États-Unis d’éventuelles vulnérabilités du change.
Des taux d’intérêt élevés, un peso fort et l’austérité fiscale conduisent toujours à la crise, en raison des effets néfastes occasionnés sur le secteur productif, le secteur externe, ainsi que sur la réduction du revenu national et les problèmes d’insolvabilité dérivés. L’économie n’est pas en mesure de faire face aux problèmes. Il n’y a pas d’instrument souverain de politique économique le permettant.
Hauts revenus bancaires en dépit de la contraction de l’économie
La banque sort gagnante de la politique économique en cours. En réduisant la croissance du revenu national, elle conduit tant les entreprises que les particuliers à s’endetter, tout en incitant le gouvernement à émettre de la dette, achetée par la banque, qui en bénéficie grâce à des taux d’intérêt élevés.
Les gains des banques augmentent plus que le PIB (graphique 3), révélant ainsi le caractère dysfonctionnel du système bancaire par rapport à la croissance économique. Les banques profitent de commissions élevées et décapitalisent les débiteurs en appliquant des taux d’intérêt élevés sur le crédit, restreignant la capacité de consommation et d’investissement, avec pour conséquence une croissance économique réduite.
Graphique 3
Graphique de l’auteur à partir de données de INEGI, Produit intérieur brut trimestriel. Année de base 2013, 2023, et Comisión Nacional Bancaria y de Valores, Banca Múltiple R0. Balance general: cifras al mes seleccionado, 2023.
Chute de la croissance économique potentielle
L’économie nationale est en décélération, réduisant le potentiel de croissance, en raison de la détérioration des secteurs productifs agricole et industriel. Cette situation engendre des pressions sur le secteur externe et sur les prix, créant un contexte de stagflation et compromettant la croissance future de l’économie, ainsi que la création d’emplois correctement rémunérés. Parallèlement, elle limite la capacité de l’économie à répondre aux défis actuels et aux événements externes imprévus, comme ceux de 2020 avec la pandémie de Covid-19.
La politique économique n’étant pas en mesure d’impulser la croissance, le pari qui a été fait est celui de l’entrée de capitaux
Dépourvue des conditions nécessaires à une croissance endogène, l’économie devient dépendante de facteurs externes, tels que l’entrée d’investissements étrangers, les exportations ou l’endettement, nous plaçant dans un contexte de grande vulnérabilité extérieure.
Les autorités gouvernementales et les chambres patronales espèrent que l’arrivée d’investissements étrangers directs, via le nearshoring (relocalisation d’entreprises multinationales), va créer les conditions propices de la croissance, soulignant l’absence de marges de manœuvre dans la politique économique actuelle. Elles ne peuvent ni baisser les taux d’intérêt, ni envisager un taux de change compétitif, ni augmenter la dépense publique, par peur de voir le capital fuir par crainte d’une éventuelle dévaluation. Ce qui met l’économie nationale à la merci de décisions prises par les entreprises transnationales, dans un contexte international sans perspective de croissance de l’économie et du commerce, pas plus que d’entrée de capitaux.
La politique économique actuelle a engendré des problèmes plus importants
La politique économique actuelle ne parvient pas à concilier une faible inflation, une croissance économique et une stabilité financière. Elle s’est inscrite dans un cadre de récession inflationniste, caractérisé par une faible productivité et des retards de production, qui exercent des pressions sur les prix, les importations et le déficit du commerce extérieur. Cette situation restreint le revenu des entreprises et des particuliers, tout en augmentant leur niveau d’endettement et leur capacité à faire face à leurs obligations. Ainsi, les politiques suivies ne créent pas les conditions nécessaires pour affronter l’endettement.
Le graphique n°4 montre la croissance des portefeuilles en souffrance.
Graphique 4
Graphique réalisé à partir de données de Banxico, Banca Comercial, Crédito por la principal actividad del acreditado, Cartera Vencida, 2023.
L’économie a chuté dans un contexte de dépendance croissante aux entrées de capitaux, engendrant un coût économique significatif en raison des conséquences des politiques mises en œuvre, qui ont agi contre le secteur productif et la création d’emplois formels bien rémunérés. Cette situation a réduit la croissance et a accru les pressions sur le secteur exportateur, renforçant la dépendance aux flux de capitaux et à la pérennisation de cette politique économique.
Malgré les défis auxquels l’économie nationale est confrontée, la politique économique ne change pas. Cela signifie que l’économie continuera de se détériorer dans un contexte de récession inflationniste, avec des problèmes d’insolvabilité, de pauvreté, d’inégalités croissantes et une augmentation de la délinquance.
La mondialisation « interpellée » par la pandémie et la guerre russo-ukrainienne
La pandémie de Covid-19 en 2020 et la guerre entre la Russie et l’Ukraine ont interpelé la mondialisation. En effet, le libre-échange a lourdement impacté les processus productifs de la majorité des pays, les rendant dépendants de la fourniture d’intrants et de biens extérieurs. Ainsi, toute interruption dans le processus de production des principaux pays fournisseurs de ces intrants freine la dynamique économique des autres nations. À cet égard, Nouriel Roubini estime que « depuis la crise financière mondiale, on a constaté un recul de la mondialisation et un retour à diverses formes de protectionnisme6Nouriel Roubini, Don’t Bet on a Soft Landing, Project Syndicate, 2022. ». Cela a conduit plusieurs pays à s’orienter vers la production locale et/ou à s’assurer des fournitures en provenance de pays plus proches et alliés. Ces mesures ont souvent été accompagnées de protectionnisme et de politiques industrielles, jusqu’alors écartées par la mondialisation, où la liberté des forces du marché dans des économies ouvertes dictait le fonctionnement et les rythmes de l’économie. C’est sous le gouvernement de Donald Trump que ces politiques protectionnistes ont été mises en avant pour relancer l’industrie américaine et réduire le déficit commercial, surtout avec la Chine. Le gouvernement de Joe Biden a maintenu ce cap en mettant en œuvre une politique industrielle visant à développer la production de semi-conducteurs, en vue de réduire sa dépendance à ces intrants avec l’Asie.
Les États-Unis et d’autres pays vont s’orienter vers une autosuffisance accrue en ce qui concerne les intrants clés, ce qui risque de contracter le commerce international. Les pays dont la croissance reposait sur les exportations vont devoir dynamiser leur marché intérieur et adapter à cet effet leur politique économique. En ce qui concerne les économies en développement, elles vont devoir réviser leur intégration dans la mondialisation, ainsi que les principes de libre-circulation des capitaux et des marchandises, afin de réorienter leurs politiques économiques vers la croissance. Les politiques industrielle et agricole nécessitent des taux d’intérêt bas, un taux de change flexible, un accroissement de la dépense et des aides publiques, ainsi qu’une réglementation des mouvements de capitaux pour prévenir la spéculation. Les pays qui ne s’engageront pas dans cette voie risquent de ne pas réussir à développer une politique industrielle et agricole, d’échouer dans leur quête vers l’autosuffisance et de ne pas bénéficier des relocalisations d’entreprises, comme dans le cas du Mexique.
Espoir de relocalisation de chaînes productives au bénéfice du Mexique
Le gouvernement mexicain et diverses organisations patronales espèrent que la relocalisation d’entreprises transnationales dans le pays, principalement pour exporter vers les États-Unis, dynamisera l’activité économique. Cependant, cela s’inscrit dans un contexte d’instrumentalisation du protectionnisme de la part des États-Unis et de ralentissement de l’économie mondiale, laissant présager un flux d’investissement limité. De plus, le Mexique a reçu pendant des décennies des investissements étrangers directs sans que pour autant il y ait eu un bonus de croissance pour le pays et une réduction du déficit commercial extérieur, compte tenu des coefficients d’importations élevés liés à cette activité.
L’économie nationale ne peut continuer à dépendre de décisions prises par des entreprises transnationales, que le gouvernement autorise à ne pas consommer d’intrants nationaux, à ne pas transférer leur technologie aux entreprises nationales et à ne pas réinvestir dans le pays. Ce sont les entreprises transnationales qui profitent du Mexique, et non l’inverse.
Faire face à l’inflation et à la stagnation
Il est essentiel de réduire l’inflation sans pour autant sacrifier la croissance économique et la création d’emplois, comme cela s’est passé sous les politiques néolibérales. Une politique économique alternative doit permettre de concilier la croissance, la capacité à créer des emplois formels et la stabilité financière. Cela ne pourra se faire qu’en promouvant un développement productif, qui augmentera l’offre et réduira ainsi la pression sur les prix, les importations et le secteur externe. Le revenu national en sera augmenté, créant les conditions d’un remboursement de la dette, tout en évitant de déstabiliser le secteur bancaire et l’économie.
Poursuivre la politique économique actuelle ne peut qu’aggraver la situation économique nationale
En poursuivant une politique néolibérale, la croissance potentielle de l’économie nationale ne pourra que se contracter, exacerbant les retards productifs et augmentant la dépendance aux entrées de capitaux pour pallier les problèmes actuels. Cette situation ne fera qu’aggraver la stagflation et renforcer la vulnérabilité externe de l’économie. Cette approche néolibérale est intenable et à l’origine des difficultés. La perpétuer est irresponsable. Prioriser des taux d’intérêt élevés, un peso fort et une austérité fiscale, alors que l’économie stagne, met sous pression l’offre et les prix, fragilise le secteur externe en provoquant une insolvabilité, et entraîne l’absence d’opportunités d’emplois bien rémunérés.
Le gouvernement doit reprendre la direction de la politique économique afin qu’elle réponde aux objectifs nationaux en matière de croissance et d’emploi, et ne pas dépendre de variables externes. Pour cela, il est nécessaire d’abonder la dépense publique et de développer des politiques industrielle, agricole et de crédit, afin de stimuler les secteurs productifs, réduire le déficit du commerce extérieur et diminuer le besoin en capitaux étrangers.
Reformuler la politique économique
Cela implique de redéfinir les objectifs de la Banque centrale, en intégrant non seulement la lutte contre l’inflation, mais aussi la promotion d’un niveau d’emploi élevé et d’une croissance économique soutenue. Cette institution doit par ailleurs acheter de la dette publique de façon directe à un taux d’intérêt faible afin de dynamiser le secteur productif et l’emploi. William Mitchell estime que la Banque centrale, en dépit de son indépendance, est une institution de l’État et donc que « la possession de dettes publiques par la Banque centrale représente une dette du gouvernement envers lui-même7William Mitchell, « British Tory MP spills the beans on government debt », 3 août 2022. ».
Il est essentiel de réguler le secteur bancaire afin qu’il dirige ses crédits vers les secteurs productifs, notamment l’industrie, l’agriculture et les petites entreprises. Il convient également de contrôler les commissions bancaires et les taux d’intérêt, tout en mettant en place un taux de change flexible, afin de permettre une plus grande souplesse dans la politique monétaire et budgétaire, au bénéfice de la croissance économique et de la création d’emplois. Cependant, le problème réside dans l’opposition du capital financier à ces réformes. En effet, la baisse des taux d’intérêt et l’adoption d’un taux de change plus flexible réduiraient les profits du secteur financier. C’est pour cette raison que les autorités monétaires et budgétaires ont écarté l’idée d’un taux de change flexible, craignant qu’il ne nuise à la rentabilité du capital financier et ne génère des pressions inflationnistes. L’économiste Joseph Stiglitz signale que « compte tenu de la nécessité de changements économiques structurels, de la résistance haussière des prix, il faut recommander d’aller vers une légère remontée de l’inflation8Joseph Stiglitz, How Not to Fight Inflation, Project Syndicate, 2023. ».
En suivant la logique de ceux qui privilégient la stabilité du taux de change, il est impossible d’avoir une politique économique de croissance. Cette parité des changes en effet exige des taux d’intérêt élevés et de l’austérité fiscale. À l’inverse, la flexibilisation du taux de change permettrait de baisser les taux d’intérêt et d’augmenter la dépense publique, favorisant la croissance. Si le capital financier tente de spéculer contre cette flexibilité, il conviendra de prendre des mesures de contrôle.
Il faut donc réguler le secteur bancaire et financier afin que la politique économique s’oriente vers le secteur productif et l’emploi. En subordonnant la finance, on peut mener une politique économique favorable aux intérêts nationaux, ce qui suppose de créer un rapport de force le permettant.
Contrôler le mouvement des capitaux pour mettre en œuvre une politique économique de croissance
Il est essentiel de repenser la libre circulation des marchandises si l’on souhaite protéger et dynamiser la production nationale. Cette réorientation économique, axée sur la substitution des importations, permettrait de réduire le déficit commercial extérieur tout en générant des effets multiplicateurs internes, stimulant ainsi l’activité économique. En diminuant la dépendance aux capitaux étrangers, cette approche atténuerait la nécessité de maintenir une politique économique favorable au capital financier, comme c’est le cas actuellement.
Cette stratégie devrait s’accompagner d’une régulation des mouvements de capitaux. Cela permettrait de limiter l’impact négatif de l’afflux de capitaux, qui tend à surévaluer la monnaie nationale, et de prévenir les sorties spéculatives susceptibles de déstabiliser la monnaie et l’économie. Une telle révision est cruciale pour garantir la stabilité monétaire et favoriser un développement économique plus équilibré et durable. La régulation du mouvement des capitaux permettrait de flexibiliser la politique monétaire, celle du change, la fiscalité, bonifiant le développement productif et l’emploi formel bien payé. Joseph Stiglitz et Kevin Gallagher signalent que « les avancées récentes de la théorie économique ont montré que les contrôles de capitaux peuvent renforcer l’efficience des marchés9Joseph Stiglitz, Kevin Gallagher, The IMF’s Unfinished Business, Project Syndicate, 2022. ».
Il est impératif de repenser la question du paiement du service de la dette extérieure pour libérer des moyens en faveur de la croissance économique. Ce paiement devrait être réduit et reporté jusqu’à ce que l’économie soit en condition de croître. Il convient aussi d’effacer les paiements au Fobaproa10Le Fonds bancaire de protection de l’épargne (Fobaproa) est un organisme créé en 1990 pour renflouer avec l’argent public les banques en difficulté. qui ont été honorés plusieurs fois. Une telle mesure ne fragilisera pas les banques du fait des profits élevés qu’elles engrangent.
Traduction de Jean-Jacques Kourliandsky.
- 1Jason Furman, America’s Wage-Price Persistence Must Be Stopped, Project Syndicate, 2022.
- 2William Mitchell, « It all adds up to the conclusion that system change is required not progressive tinkering », 24 août 2022.
- 3Ryan Bourne, Why Economists Disagree on Whether Inflation Was a Supply or Demand Problem, Cato Institute, 2022.
- 4Dimitri B. Papadimitriou et L. Randall Wray, Still Flying blind after all these years: The Federal Reserve’s Continuing Experiments with Unobservables, Levy Economics Institute of Bard College, Public Policy Brief, n°156, 2021.
- 5Nouriel Roubini, The Gathering Stagflationary Storm, Project Syndicate, 2022.
- 6Nouriel Roubini, Don’t Bet on a Soft Landing, Project Syndicate, 2022.
- 7William Mitchell, « British Tory MP spills the beans on government debt », 3 août 2022.
- 8Joseph Stiglitz, How Not to Fight Inflation, Project Syndicate, 2023.
- 9Joseph Stiglitz, Kevin Gallagher, The IMF’s Unfinished Business, Project Syndicate, 2022.
- 10Le Fonds bancaire de protection de l’épargne (Fobaproa) est un organisme créé en 1990 pour renflouer avec l’argent public les banques en difficulté.