Mettre fin aux dérives des influenceurs

La proposition de loi transpartisane « Delaporte-Vojetta » visant à lutter contre les dérives de l’influence a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale et c’est désormais le Sénat qui auditionne les différentes parties prenantes. Arthur Delaporte, député, et Léopold Benattar, collaborateur parlementaire, explicitent les enjeux de cette proposition de loi qui vise à mieux protéger les consommateurs et à responsabiliser les acteurs de l’influence commerciale.

Alors que depuis plusieurs années les influenceurs et créateurs de contenu sont largement présents dans le quotidien des Françaises et des Français, la régulation par voie législative du secteur était inexistante. C’est dans ce contexte qu’a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale la proposition de loi transpartisane « Delaporte-Vojetta » visant à lutter contre les dérives de l’influence.

L’influence, combien de divisions ? L’enjeu d’une définition suffisamment englobante et la nécessité d’une loi

On aimerait bien instituer une séparation claire entre, d’un côté, les candidats de télé-réalité convertis comme influenceurs – Maeva Ghennam, Julien et Manon Tanti, Jessica et Thibault Garcia, Benji, Bebew, Maddy… –, qui concentrent les critiques en s’étant transformés en femmes et hommes-sandwichs, et, de l’autre, les « créateurs de contenu » – Squeezie, Amixem, AnnaRvr, EnjoyPhoenix… –, qui pratiqueraient une bonne influence, une promotion de produits servant à financer la production de contenus pour leur communauté. La situation est, bien entendu, plus complexe que cette dichotomie simplificatrice. Il n’y a pas simplement d’un côté des vidéastes respectueux de leur communauté qui cherchent à divertir la jeunesse par des récits du quotidien ou des contenus humoristiques et des influenceurs, rebaptisés « influvoleurs », symbole des dérives de l’influence, d’arnaques en tout genre, créant du contenu peu valorisant consistant à suivre leur quotidien d’exilés fiscaux sur des jet-ski à Dubaï. Ce secteur en apparence non régulé et dernier venu dans le champ de la publicité concentrait les comportements problématiques : publicités frauduleuses au compte personnel de formation, pour des jeux et paris sportifs ou des placements financiers hasardeux, de la chirurgie esthétique et des compléments alimentaires pour maigrir, des produits de piètre qualité revendus à prix d’or via le dropshipping

L’influence commerciale, le financement de publicités effectuées par des acteurs des réseaux sociaux, est un secteur en pleine croissance : en 2023, ce sont 23 milliards d’euros qui devraient y être investis à l’échelle mondiale, soit plus de quatre fois plus qu’en 20191Selon l’étude d’Adobe « The Future of Creativity », le secteur du marketing d’influence pesait 5,5 milliards d’euros en 2019 au niveau mondial.. Toutes les personnalités mentionnées précédemment, qui sont la partie la plus « visible » de l’influence, ont en commun plusieurs millions d’abonnés chacune sur les plateformes comme Instagram, Snapchat, TikTok ou YouTube. Une story de quelques secondes peut être vue et partagée des centaines de milliers de fois ; un programme sur YouTube visionné par plusieurs millions de personnes. Les marques et régies publicitaires ne se sont donc pas fait prier pour démarcher ces personnalités ayant un impact au moins aussi important que des créneaux de spots publicitaires à la télévision ou à la radio, tout en étant plus efficaces : elles peuvent cibler les publics plus finement en s’adressant à la communauté de chaque influenceur. 

Plus récemment, les marques se sont rendu compte qu’elles pouvaient aussi avoir de forts taux de conversion vers un acte d’achat en s’adressant à des micro-, voire nano-influenceurs dont les communautés sont les plus petites. Sur la centaine de milliers d’influenceurs, près de la moitié est en réalité composée de nano-influenceurs (moins de 5 000 abonnés). C’est, de manière contre-intuitive, cette catégorie d’influenceurs ainsi que les micro-influenceurs (jusqu’à 100 000 abonnés) qui intéressent de plus en plus les marques : le taux de conversion y est plus favorable, notamment lorsqu’on le rapporte au coût d’un post (quelques dizaines ou centaines d’euros pour un nano-influenceurs, plusieurs dizaines de milliers d’euros parfois pour un méga influenceur). Le journal Le Monde a produit une infographie, forcément parcellaire, qui a été confirmée lors des auditions entourant l’examen de la proposition de loi.

Le Monde, « Comment réguler le Far West des influenceurs », 8 janvier 2023.

En outre, et comme le rappelle Joseph Godefroy qui a soutenu une thèse à ce sujet, « les petits influenceurs qui reçoivent des produits n’ont pas l’impression de participer à un schéma publicitaire. On a une mise en marché de la recommandation, ce qui tend à rendre moins visible le moment où l’individu participe au modèle capitaliste2Audition de Joseph Godefroy, docteur à l’université de Nantes, janvier 2023, thèse : Des influenceurs sous influence. Sociologie de la mise au travail des usagers d’Instagram. ». On se rapproche alors de la notion même d’influence, en suggérant comment le consommateur doit se comporter sans même qu’il ne s’en rende compte. Partant de ce postulat, les députés ont écarté toute notion de seuil qui exclurait des influenceurs au faible nombre d’abonnés des obligations de l’activité, un choix qui permettra d’éviter les éventuels effets de bord.

L’autre difficulté principale dans la délimitation de la définition résidait dans la différenciation des contenus qui relèvent de la vie quotidienne de l’influenceur et ceux faisant effectivement la promotion de produits en échange d’une rémunération ou d’un avantage en nature. C’est ce que décrivaient les chercheuses Juliette Passebois Ducros, Florence Euzéby et Sarah Machat : « Ces contenus ressemblent, sur le fond et sur la forme, à des contenus publiés, hors de tout partenariat publicitaire, de manière plus spontané […]. En entretenant la confusion, ce type de message amenuise la propension des internautes à reconnaître la nature publicitaire du message et les rend plus vulnérables à la persuasion3Juliette Passebois Ducros, Florence Euzéby et Sarah Machat, « Effets de la divulgation des partenariats publicitaires sur Instagram sur les réactions des consommateurs : rôle modérateur de la popularité perçue de la source », Recherche et application en marketing, février 2023, citant Benjamin K. Johnson, Bridget Potocki et Jolanda Veldhuis, « Is that my friend or an advert? the effectiveness of Instagram native advertisements posing as social posts », Journal of Computer-Mediated Communication, 24 (3), 2019, pp. 108-125, et Francisco J. Martínez-López, Rafael Anaya-Sánchez, Marisel Fernández Giordano et David Lopez-Lopez, « Behind influencer marketing: key marketing decisions and their effects on followers’ responses », Journal of Marketing Management, 36 (7-8), 2020, pp. 579-607. ».

On se souvient, à titre d’exemple, du déferlement de photos d’influenceurs en train de manger des repas McDonald’s au lendemain du Nouvel An pour répondre à une tendance, ou alors à la mise en avant de Nutella ou de calendriers de l’avent Kinder pendant les fêtes de Noël. Dans les deux cas, les marques ont nié avoir eu recours à ces influenceurs. Pour garantir la transparence recherchée par le consommateur, les députés ont donc intégré les avantages en nature et n’importe quel bénéfice économique qui constituent la contrepartie de ces contenus pour définir l’activité d’influence commerciale.

Selon les universitaires précitées, « En 2021, selon Médiamétrie, 60% des internautes indiquaient acheter un produit recommandé par un influenceur […]. Mais l’émergence de ce “marché de l’influence” […] confronte les professionnels à un véritable défi : parvenir à encadrer ces pratiques au niveau éthique et déontologique pour qu’elles ne soient pas assimilables à des publicités déguisées ou trompeuses4Ibid. ».

La proposition de loi n’a donc pas cherché à délimiter le statut ou la profession d’influenceur, mais, pour encadrer la pratique promotionnelle, à s’attaquer à l’activité d’influence, que tout un chacun peut facilement pratiquer, quelle que soit la taille de sa communauté, de quelques centaines à plusieurs millions d’abonnés. À partir du moment où l’on tirera une rémunération de ses promotions (qui peut être un avantage en nature, stratégie privilégiée pour nouer des partenariats par de nombreuses marques), on exercera désormais l’activité d’influence commerciale.

Le seul exemple de condamnation à ce jour d’un influenceur en France concerne Nabilla Benattia-Vergara (dite Nabilla), avec 20 000 euros d’amende transactionnelle pour pratique commerciale trompeuse – définie au Code de la consommation – pour avoir fait la promotion d’une formation au trading sur Snapchat5« Paiement d’une amende de 20 000 euros par l’influenceuse Nabilla Benattia-Vergara, pour pratiques commerciales trompeuses sur les réseaux sociaux », Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, 28 juillet 2021.. La multiplication des cas non punis générant la colère des victimes – se formant en collectifs – et la mobilisation, notamment du rappeur Booba, le sentiment d’inaction des pouvoirs publics, la multiplication des enquêtes journalistiques, en particulier une une de Libération en juillet 2022 suivie, quelques semaines plus tard, par un numéro spécial de « Complément d’enquête » où s’exprimait sur France 2 la patronne d’une des deux plus grosses agences d’influenceurs télé-réalité, Magali Berdah, ont achevé de faire de l’influence un enjeu public. C’est dans ce cadre qu’a émergé la proposition de loi présentée au Parlement.

Ce texte était aussi un moyen de répondre aux attentes des nombreuses victimes, rapportées notamment par le collectif AVI. Certains témoignages pourraient paraître peu significatifs : ici une perte de 350 euros sur un site de trading, là trois paires d’écouteurs jamais reçues ou encore une machine à lutter contre les points noirs qui donne de l’eczéma… Ces pertes touchent pourtant majoritairement des personnes issues de milieux modestes qui faisaient confiance aux influenceurs et qui pouvaient être dans une situation économique fragile. Certains ont tout perdu, comme cette femme qui a investi, et perdu, les économies de son ménage (10 000 euros) dans des placements financiers à la suite de conseils frauduleux. Cette loi était aussi une loi de justice sociale : le législateur se saisissait – enfin, disaient les commentaires sur les réseaux sociaux – d’une problématique publique qui était restée trop longtemps hors des discours politiques, déconsidérée ou pas assez prise au sérieux. Les réseaux sociaux méritent pourtant toute l’attention du législateur et force est de constater qu’il s’en est saisi, à travers des lois votées récemment, sur la majorité numérique ou le travail des enfants sur les réseaux ; cette nouvelle loi apparaissait ainsi comme une pierre supplémentaire dans l’édifice de la construction du droit à l’ère numérique.

La régulation par voie législative des influenceurs devenait donc nécessaire. Dans le méandre des contenus diffusés frénétiquement, les règles applicables étaient soit floues soit multiples. Lorsqu’un influenceur fait la promotion d’un produit, quel régime juridique devait s’appliquer ? Le droit de la publicité ? Celui des artistes ? Des mannequins ? L’utilisation de la personnalité comme outil publicitaire était bien un défi en soi pour cerner la notion d’influence.

La loi devait aussi renforcer, de notre point de vue, des interdictions spécifiques de publicité tant les dérives dans certains domaines sont nombreuses. Par sa dimension pédagogique, elle devait aussi mieux faire connaître les sanctions applicables pour certains types de publicités illégales ou certains manquements aux différentes obligations, notamment d’affichage, du caractère sponsorisé des publications, trop souvent oubliées.

Une « bulle de paix » pour un sujet transpartisan dans un contexte social tendu

Le premier temps de la fabrique législative du sujet a été celui du foisonnement. Dans au moins quatre groupes parlementaires (La France insoumise, Les Écologistes, les Socialistes et Renaissance), des députés ont déposé, ou allaient déposer, un texte relatif aux influenceurs. La première loi déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale fut en novembre 2022 celle de l’écologiste Aurélien Taché, qui s’intéressait particulièrement aux obligations contractuelles des influenceurs. La deuxième fut, quelques semaines plus tard, celle des « insoumis » Nadège Abomangoli et François Piquemal qui cherchaient particulièrement à pointer le manque de moyens de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), où, début 2023, moins d’une douzaine d’équivalents temps plein étaient mobilisés pour la traque des dérives de l’influence, dont un seul enquêteur réellement spécialisé sur le sujet. La troisième en l’espace d’un mois fut donc la proposition de loi socialiste « Delaporte-Vallaud » déposée dans la perspective de la « niche » (journée réservée) du groupe socialistes et apparentés au début du mois de février 2023. Centrée sur la définition, les régimes d’interdiction et les messages informatifs, ainsi que la régulation du dropshipping, elle allait donc être la première loi examinée par les députés.

C’est dans ce même moment qu’ont été lancées, en fin d’année 2022, les consultations mises en place par Bruno Le Maire du secteur de l’influence, qui s’est structuré à l’occasion avec la création de l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenu (UMICC), rassemblant les principales agences du secteur, à l’exclusion des agences de la télé-réalité (vues en toute probabilité comme trop sulfureuses).

Au début du mois de janvier dernier, les échanges préparatoires à l’examen du texte socialiste en séance ont abouti à des discussions à la fois avec le cabinet du ministre de l’Économie – qui signalait notamment que, début février, les consultations n’auraient pas pris fin – mais aussi avec un parlementaire membre apparenté du groupe Renaissance, Stéphane Vojetta, qui, travaillant sur le sujet depuis plusieurs mois, s’apprêtait à déposer un texte visant, lui, la contractualisation, l’encadrement des agences, la responsabilisation des plateformes et l’éducation du public. À la suite des discussions, nous avons convenu de déposer une loi en commun dite « Delaporte-Vojetta », fusion de nos deux initiatives, après qu’engagement a été pris par le gouvernement d’engager la procédure accélérée sur le sujet afin de permettre l’adoption la plus rapide possible du texte.

Il y a évidemment une singularité remarquable à discuter d’un tel texte de justice et consensuel au sein de l’hémicycle – même si les sujets de discussion sur le gradient de la régulation n’étaient pas absents – en pleine réforme des retraites, texte injuste mobilisant contre lui l’intersyndicale, les parlementaires de gauche et, bien sûr, la rue.

En faisant le choix de nommer deux rapporteurs, l’un de la majorité et l’autre de l’opposition, la commission des affaires économiques et les groupes politiques respectifs ont accepté un exercice unique de transpartisanisme qui n’a fait que démontrer la force du Parlement lorsqu’il n’est ni contraint, ni empêché. 

Plus largement, le choix a été fait par les deux corapporteurs de créer un groupe transpartisan réunissant l’ensemble des groupes politiques – à l’exception du Rassemblement national qui n’était pas convié – pour faire évoluer le texte en commun. Outre les groupes déjà mobilisés, le sujet a immédiatement suscité l’intérêt de certains députés (MoDem, Les Républicains). Après six réunions de travail de ce groupe de travail, le texte a pu évoluer, en direct parfois, pour intégrer les propositions de chacun. C’est ce qui explique probablement le déroulement de la séance publique du 31 mars dernier : sans aucun accroc, dans l’écoute et le débat, le texte a finalement été adopté à l’unanimité. Il s’agit d’ailleurs probablement du texte où le plus d’amendements de l’opposition – en proportion au nombre d’amendements déposés – ont été adoptés. Ainsi, un amendement de La France insoumise sur quatre en séance a été adopté, huit amendements socialistes sur dix-sept et trois sur dix amendements des Républicains. À ce travail de coconstruction parlementaire, il faut ajouter les nombreuses réunions avec Bercy et les réunions bilatérales entre le groupe majoritaire et socialistes pour réussir à cerner les positions des uns et des autres, les faire évoluer en assumant parfois les dissensus, mais toujours dans le respect mutuel.

En se saisissant du pouvoir du Parlement, les députés ont fait de cette méthode de co-élaboration législative – dans cet espace de confiance que Stéphane Vojetta a qualifié de « bulle de paix » – un enjeu pour répondre à un sujet populaire et aboutir à un texte protecteur de la santé publique et des consommateurs. Le message envoyé au pouvoir exécutif était clair également : il existait un autre chemin que celui de la brutalisation des débats.

Protéger les consommateurs et répondre à leurs attentes

La préservation de la santé publique, la protection des mineurs et la transparence de la vente ont été les piliers des mesures adoptées par l’Assemblée.

Logiquement, il était nécessaire d’appliquer le cadre légal de la publicité aux influenceurs tout en considérant certaines spécificités, tant par son moyen de diffusion que par le lien, virtuel, qui unit l’influenceur et l’influencé. C’est le cas de la loi Évin, qui s’appliquera aux influenceurs et interdira de facto la promotion d’alcool – les conditions d’exception prévues par la loi autorisant la promotion par une personnalité sont très rarement remplies – qui fait des ravages chez les jeunes. L’association Addictions France rappelant ainsi que « le placement de produit dans des vidéos, clips ou autres productions audiovisuelles, est une pratique globalement connue des jeunes, adolescents ou majeurs. […] 22,9% des adolescents disent avoir ressenti l’envie de consommer la boisson mise en valeur par la publicité6Observatoire français des drogues et des toxicomanies, L’exposition au marketing en faveur de l’alcool chez les jeunes, à 17 ans, 2019. », le texte prévoit également de bannir totalement la promotion de la cigarette et des produits de vapotage.

En interdisant la promotion des techniques et méthodes esthétiques, le législateur porte ainsi un sérieux coup d’arrêt à l’une des dérives les plus importantes sur les corps. En rappelant aux charlatans influenceurs qui s’improvisent médecins, avec parfois des conséquences graves, qu’il est interdit de promouvoir tout acte portant atteinte à la santé publique, le texte entend s’attaquer à ceux qui ont pu faire comme l’influenceur Dylan la promotion de gélules qui guérissent les cellules « cancérigeuses »7Dylan Thiry a 1,5 million d’abonnés sur Instagram..

Le texte adopté prévoit également la stricte régulation de la promotion des services financiers et crypto-monnaies, de nombreuses arnaques au trading ayant été relevées ; le collectif d’Aide aux victimes des influenceurs a, à ce sujet, attaqué en justice plusieurs d’entre eux. On peut citer Marc et Nadé Blata, qui ont plusieurs millions d’abonnés sur Instagram – leur compte a été fermé par Meta depuis – et qui vantaient des formations bidon faisant perdre jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros à leurs abonnés.

L’une des principales évolutions du texte a été la régulation de la promotion des jeux d’argent et de hasard. Après que l’interdiction totale de la promotion, proposition des corapporteurs, a été refusée par les députés en commission, l’Autorité nationale des jeux (ANJ) a établi que les influenceurs, lors de promotions des paris sportifs, ont un taux de conversion de 50%, ce qui est considérable, eu égard aux dangers associés aux addictions des jeux d’argent – 300 000 adolescents ont un rapport problématique aux jeux d’argent, toujours selon l’ANJ8« La pratique des jeux d’argent et de hasard des mineurs en 2021 (ENJEU-Mineurs, soutenu par l’Autorité nationale des jeux).. Désormais, les influenceurs ne pourront plus faire de la promotion des jeux d’argent et de hasard aux mineurs. Les plateformes devront s’adapter, à l’instar de YouTube qui permet de bloquer la diffusion de certains contenus. Si la plateforme ne propose pas d’outils de limitation de l’audience aux majeurs, alors la publication promotionnelle sera interdite.

Afin de renforcer la transparence que doivent les influenceurs aux consommateurs, une série de dispositions ont été adoptées pour contraindre à une information plus lisible : obligation d’afficher lisiblement le caractère promotionnel d’un message durant l’intégralité de la promotion ; obligation de mentionner le fournisseur dropshipper – on a du mal à imaginer Julien Tanti indiquer sur sa promotion que son produit provient du site AliExpress – ; obligation d’indiquer lorsque l’image est retouchée durant une promotion – ce qui rend tout de suite plus honnêtes les posts relatifs aux produits cosmétiques – ; informations légales pour des produits alimentaires mauvais pour la santé – boissons sucrées, etc. – ; obligation de préciser des informations légales concernant la formation professionnelle…

Le législateur couvre ainsi toute une série de domaines ayant généré des dérives et des arnaques d’influenceurs. Les sanctions sont précisées et renforcées et seront complémentaires à la création d’une brigade spécialisée de quinze agents à la répression des fraudes pour traquer ces abus annoncée par le ministre de l’Économie et des Finances lors d’une conférence de presse conjointe avec les corapporteurs le 24 mars dernier.

Le texte porte également des mesures complémentaires en créant un statut d’agent d’influenceur, obligeant à souscrire une assurance dans l’Union européenne – ceci visant notamment les influenceurs établis hors des frontières qui font du commerce à destination du public français –, renforçant les obligations des plateformes, nerfs de la guerre, puisqu’elles sont la source des revenus des premiers concernés. Il contient également un volet éducation qui sensibilisera les jeunes contre la manipulation d’ordre commercial et les risques d’escroquerie en ligne et à l’usage des dispositifs de signalement des contenus illicites mis à disposition par les plateformes, mais aussi à la lutte contre le sexisme en ligne – volet ajouté à la suite d’un amendement porté par la délégation aux droits des femmes.

Parce qu’il était plus que temps d’en finir avec la « loi de la jungle » qui régnait dans le milieu de l’influence, les députés ont adopté à l’unanimité un cadre protecteur du consommateur responsabilisant et aux nombreuses vertus pédagogiques. Il reviendra désormais au Sénat d’examiner ce texte avant sa promulgation attendue à l’été 2023.

  • 1
    Selon l’étude d’Adobe « The Future of Creativity », le secteur du marketing d’influence pesait 5,5 milliards d’euros en 2019 au niveau mondial.
  • 2
    Audition de Joseph Godefroy, docteur à l’université de Nantes, janvier 2023, thèse : Des influenceurs sous influence. Sociologie de la mise au travail des usagers d’Instagram.
  • 3
    Juliette Passebois Ducros, Florence Euzéby et Sarah Machat, « Effets de la divulgation des partenariats publicitaires sur Instagram sur les réactions des consommateurs : rôle modérateur de la popularité perçue de la source », Recherche et application en marketing, février 2023, citant Benjamin K. Johnson, Bridget Potocki et Jolanda Veldhuis, « Is that my friend or an advert? the effectiveness of Instagram native advertisements posing as social posts », Journal of Computer-Mediated Communication, 24 (3), 2019, pp. 108-125, et Francisco J. Martínez-López, Rafael Anaya-Sánchez, Marisel Fernández Giordano et David Lopez-Lopez, « Behind influencer marketing: key marketing decisions and their effects on followers’ responses », Journal of Marketing Management, 36 (7-8), 2020, pp. 579-607.
  • 4
    Ibid.
  • 5
    « Paiement d’une amende de 20 000 euros par l’influenceuse Nabilla Benattia-Vergara, pour pratiques commerciales trompeuses sur les réseaux sociaux », Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, 28 juillet 2021.
  • 6
    Observatoire français des drogues et des toxicomanies, L’exposition au marketing en faveur de l’alcool chez les jeunes, à 17 ans, 2019.
  • 7
    Dylan Thiry a 1,5 million d’abonnés sur Instagram.
  • 8
    « La pratique des jeux d’argent et de hasard des mineurs en 2021 (ENJEU-Mineurs, soutenu par l’Autorité nationale des jeux).

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