Les résultats de l’élection présidentielle en Ukraine viennent de déclarer Viktor Yanoukovitch vainqueur. Mais entre la protestation des résultats par Youlia Timochenko, encore Premier ministre et candidate malheureuse au second tour, et un Parlement où il n’a pas la majorité, le nouveau Président n’a pas encore les mains libres.
La victoire de Viktor Yanoukovitch lors du deuxième tour de l’élection présidentielle ukrainienne, qui s’est déroulée le 7 février dernier, est souvent présentée dans la presse occidentale comme une victoire du camp pro-russe sur le camp pro-européen. C’est là une vision non seulement simpliste, mais même erronée. En effet, le vainqueur de l’élection, Viktor Yanoukovitch, qui était effectivement soutenu par le Kremlin lors de l’élection de novembre 2004 qui a déclenché la Révolution orange, a bien pris soin de souligner, tout au long de la campagne, qu’il n’était pas le candidat de la Russie et qu’il tenait à maintenir de bonnes relations avec l’Union européenne. Sa concurrente, Youlia Timochenko, titulaire du poste de Premier ministre, s’était, pour sa part, rapprochée de la Russie et avait signé en septembre avec son homologue Vladimir Poutine un accord sur le gaz et la reprise de la coopération entre les deux pays dans le domaine aéronautique.
L’Ukraine a subi les effets conjugués de crises politiques à répétition qui ont décrédibilisé les acteurs de la Révolution orange, des pressions incessantes de la Russie et de la crise économique mondiale qui a frappé de plein fouet une économie déjà fragile (le PIB a connu une chute de 15 % depuis l’automne 2008 et la monnaie nationale, la hryvna, a perdu la moitié de sa valeur). Cependant, si l’on compare Ukraine et Russie, ce que ne manquent d’ailleurs pas de faire avec amertume les opposants russes, on peut constater que l’Ukraine a connu une véritable campagne électorale, avec dix-huit candidats présents au premier tour. Les résultats n’étaient en aucun cas décidés à l’avance et la participation des citoyens au deuxième tour a été de 69,15 %, un score que pourraient envier bon nombre de « vieilles démocraties ». Il ne faut cependant pas donner dans l’angélisme et il est certain que les deux candidats finalement restés en lice ont bénéficié du soutien de groupes industriels et financiers rivaux et que les arguments utilisés au cours de la campagne ont souvent été rien moins que corrects…
Les résultats officiels de l’élection ont été proclamés le 14 février. Victor Yanoukovitch l’a donc emporté avec 48,95 % des votes, alors que Youlia Timochenko en a obtenu pour sa part 45,47 %, le vote « contre tous » ayant rassemblé 4,36 % et enfin 1,19 % des bulletins ayant été déclarés nuls. La répartition des voix s’est faite selon le schéma habituel, les régions de l’est du pays ayant voté à une grande majorité pour Viktor Yanoukovitch et celles de l’Ouest et du Centre, en particulier la région de Kiev, pour Youlia Timochenko.
Rappelons qu’au premier tour, l’écart les deux candidats de tête était de 10 % (35,2 % pour Viktor Yanoukovitch et 25,05 % pour Y. Timochenko). On peut donc supposer que les suffrages des candidats arrivés en troisième et quatrième position, les deux anciens ministres, Sergueï Tigipko et Arséni Yatsniouk, qui avaient été gratifiés respectivement de 13 % et 7 % environ des voix, se sont donc reportés à parts égales sur les deux rivaux.
À la veille de la proclamation des résultats, le 13 février, alors que Viktor Yanoukovitch avait déjà reçu les félicitations du Président russe et des principaux dirigeants des pays occidentaux, et que les observateurs internationaux, en particulier ceux de l’OSCE, s’étaient déclarés satisfaits du déroulement du scrutin, Youlia Timochenko, toujours Premier ministre, qui n’avait pas reconnu sa défaite, a déclaré, lors d’une allocution télévisée, qu’elle faisait appel du résultat devant les tribunaux. Elle estimait en effet avoir été privée d’au moins un million de voix en raison de falsifications, mais n’appelait toutefois pas ses partisans à descendre dans la rue.
Viktor Yanoukovitch se comporte en président, ses premières déclarations ont permis d’affirmer qu’il entendait entretenir de bonnes relations à la fois avec la Russie et l’Union européenne et – ce qui le distingue de l’équipe dirigeante précédente – qu’il souhaitait « protéger les populations russophones », c’est-à-dire renforcer le statut de la langue russe dans le pays. Il a également indiqué qu’il n’excluait pas le maintien de la flotte russe à Sébastopol au-delà de 2017, date préalablement fixée.
Cependant, il n’a absolument pas les mains libres pour mener sa politique car la Constitution ukrainienne instaure un régime semi-présidentiel et semi-parlementaire et il ne dispose pas de la majorité à la Verhovna Rada, le Parlement ukrainien. En effet, 173 députés appartiennent au Parti des régions dont il est le leader, 155 au Bloc Timochenko, 72 au bloc se réclamant de l’ancien président Viktor Youchtchenko, 27 au Parti communiste, 20 au bloc du président du Parlement Vladimir Litvine, et deux députés ne sont affiliés à aucun groupe. C’est ce Parlement qui examine le 18 février un vote de défiance à l’égard du Premier ministre. Les pourparlers vont actuellement bon train entre l’équipe de Viktor Yanoukovitch et les députés de divers groupes, mais si le Président nouvellement élu ne réussit pas à réunir une majorité, il ne lui restera plus qu’à dissoudre l’Assemblée et à convoquer de nouvelles élections législatives, peut-être au mois de mai.
On voit donc que l’instabilité politique est loin d’avoir pris fin en Ukraine, même si la prestation de serment de Viktor Yanoukovitch est fixée pour la dernière semaine de février.