Loin de ne susciter que de l’espoir, le « printemps arabe » éveille en Europe les craintes d’une immigration massive et révèle le malaise profond né de la crise. Cette inquiétude doit être prise en compte dans les réponses des institutions internationales. Car la négliger risquerait d’affecter un peu plus leur légitimité auprès des citoyens.
Comment les populations européennes appréhendent-elles le mouvement de contestation qui, parti de Tunisie et d’Egypte, poursuit son extension au sud de la Méditerranée pour gagner jusqu’à la péninsule arabique ? Quelles réponses politiques peut-on envisager pour aider les pays arabes dans leur aspiration démocratique tout en préservant les intérêts des nations européennes ?
Face à la « Révolution de jasmin » et à ses prolongements, le sentiment prédominant en Europe semble être la crainte, bien avant l’espoir et la solidarité pour ces mouvements d’émancipation. Comme l’ont illustré les thèmes abordés durant les élections cantonales en France, l’inquiétude naît d’abord de la possibilité de flux migratoires incontrôlables et incontrôlés. Particulièrement sensible dans les pays européens du Sud (Espagne, Italie), plus fréquemment concernés par ces flux du fait de leur proximité méditerranéenne, cette préoccupation est néanmoins partagée par une grande majorité des citoyens européens. Et le fait même que cette inquiétude soit si largement partagée vient révéler sa nature plus profonde. Cette appréhension repose en effet sur une crise multiforme des sociétés européennes : alors que l’économie peine à retrouver le chemin de la croissance, que l’Europe est soumise au vieillissement croissant de sa population et bute sur la définition d’une identité commune et réellement fédératrice, l’afflux possible d’une immigration jeune et culturellement hexogène apparaît souvent comme une menace identitaire. Une menace d’autant plus redoutable qu’elle intervient précisément dans un climat d’incertitude.
Ce sentiment général d’inquiétude est néanmoins traversé par des lignes de fractures partisanes : il est surtout prégnant au sein des groupes les plus conservateurs des populations, et ce de façon particulièrement marquée pour la France.
Au delà du prisme migratoire, la lecture des évènements est aussi conditionnée par leur possible issue politique. L’arrivée au pouvoir d’une nouvelle forme d’autoritarisme, qu’il soit islamiste ou militaire et plus encore, la déstabilisation d’une région somme toute assez proche, ne peut qu’inquiéter une Europe dépourvue de politique étrangère commune.
Car les réponses politiques de l’Europe restent encore trop timides, voire inaudibles. Les Européens attendent pourtant des réactions fermes et réfléchies. Tout d’abord par le contrôle des frontières, mais également par l’aide au développement, qui permettrait à ces pays de retenir leur population en lui offrant des perspectives économiques. Il faut noter la division des Européens quant à leur préférence pour l’une ou l’autre des ces solutions selon leur catégorie socioprofessionnelle. Le contrôle strict de l’immigration est largement soutenu par les milieux populaires, sensibles à un discours relayé par la droite et l’extrême droite mettant en avant les risques de concurrence pour l’emploi et les menaces identitaires. Les catégories les plus aisées soutiennent, elles, majoritairement l’aide au développement et sont plus promptes à voir dans les révolutions arabes des promesses de développement économique et démocratique.
La capacité des institutions internationales et nationales à gérer les conséquences des révolutions est fortement mise en doute par les Européens, et aucun échelon décisionnel n’est épargné par cette méfiance généralisée.
L’inquiétude suscitée en Europe par les évènements actuels dans les pays arabes doit être prise en compte : on observe en effet une convergence des opinions publiques nationales vers plusieurs sujets de préoccupation majeurs, comme l’immigration ou la montée des mouvements islamistes. Une inquiétude diffuse que l’Union européenne peine à intégrer dans sa définition d’une politique étrangère commune. Mais pour s’ériger comme un véritable acteur politique international, l’Union ne pourra indéfiniment faire l’économie d’une telle réflexion.