L’ONU et les pays africains et asiatiques. Regard latino-américain

Dans le contexte actuel de soubresauts géopolitiques importants, l’ancien diplomate latino-américain Fernando Remirez de Estenoz rappelle le poids et les actions des pays africains et asiatiques au sein de l’ONU, tout en soulignant le rôle prépondérant des membres permanents du Conseil de sécurité qui, bien souvent, contraint l’organisation internationale à l’immobilisme.

Au terme de la Seconde Guerre mondiale, les alliés, vainqueurs, tirant les leçons de l’échec de la Société des Nations et de son objectif d’éviter les conflits internationaux, de former un monde de paix et de coopération, ont pris la décision de créer l’Organisation des Nations unies. Des 51 pays fondateurs, seuls quatre étaient africains et huit asiatiques. Aujourd’hui, quasiment une centaine de pays africains et asiatiques ont intégré les Nations unies. Ils représentent près de la moitié de la population mondiale. D’où la question qui vient à l’esprit : cette croissance numérique correspond-elle à un gain d’influence de ces régions sur les questions importantes de l’agenda mondial ? La réponse est malheureusement non, à l’exception du cas de la Chine, pays non considéré dans cet article du fait de son exceptionnalité, avec le Japon et la Corée, et qui relèveraient tous trois d’une autre analyse.

Le système des Nations unies est complexe et difficile et a pendant des années tenté de concilier les intérêts et objectifs de ses différents acteurs, tout en priorisant de façon constante ceux des grandes puissances. Illustration de cette réalité, le pouvoir effectif n’est pas à l’Assemblée générale, où tous les pays membres sont représentés, mais au Conseil de sécurité, où les cinq membres permanents, avec leur droit de veto, autorisent ou paralysent bien des décisions qui devraient être adoptées par l’Assemblée plénière de l’Organisation.

Le Conseil de sécurité est un mécanisme anachronique, inventé il y a près de quatre-vingts ans par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale et qui ne reflète plus la réalité et les transformations du monde actuel. Seul changement important du Conseil, l’incorporation en 1971 de la Chine comme membre permanent doté d’un droit de veto, en raison de l’importance du pays, le plus peuplé du monde, et du fait de l’intérêt des nations occidentales de créer un nouveau contrepoids à l’URSS après la rupture sino-soviétique.

La question du nécessaire élargissement du Conseil de sécurité a pu être discutée ultérieurement mais rien n’a pu se concrétiser, en dépit de l’appui massif des pays africains et asiatiques, mais aussi latino-américains, en raison de l’opposition des membres permanents du Conseil de sécurité qui ont donc bloqué le consensus nécessaire pour réaliser cette transformation.

Quatre pays sont les candidats les plus évidents pour être les nouveaux membres permanents du Conseil de sécurité : l’Allemagne, le Brésil, l’Inde et le Japon. L’Inde est soutenue par tous les membres permanents à l’exception de la Chine, qui ne s’est prononcée que sur une formulation générale concernant les pays en développement. De leur côté, les pays africains ont ensemble proposé que soient attribués aux nations de leur continent deux postes non permanents.

Comme exemple du pouvoir issu du droit de veto des membres permanents du Conseil de sécurité, on peut citer le chiffre record de 115 vetos de l’ex-Union soviétique en quarante-cinq ans, bloquant des décisions sur divers thèmes et conflits, ainsi que le blocage des États-Unis à la réélection de Boutros Boutros-Ghali comme secrétaire général, pour n’avoir pas cédé aux intérêts nord-américains sur plusieurs questions internationales.

Cela dit, compte tenu d’une demande écrasante de la majorité des membres de l’ONU, une avancée importante a été obtenue en 2015, avec l’approbation par l’Assemblée générale d’une résolution changeant le mode d’élection du secrétaire général, mettant en œuvre un processus plus inclusif et transparent, réduisant ainsi les prérogatives dont disposaient jusque-là sur cette question les membres permanents du Conseil de sécurité. C’est ainsi qu’a été élu et réélu l’actuel secrétaire général.

Dans les années 1960, l’organisation a joué un rôle important dans le processus de décolonisation et d’indépendance de plus de 70 pays d’Afrique et d’Asie, aussitôt entrés à l’ONU. Ces derniers ont joué quelques années plus tard un rôle fondamental pour obtenir l’indépendance des quelques dernières colonies, la Namibie étant le cas le plus remarquable, avec également le Timor oriental, mais sans pour autant avoir obtenu gain de cause pour les cas de Porto Rico et du Sahara occidental.       

En dépit de l’approbation en 1974 de la Déclaration pour la création d’un nouvel ordre économique international demandée par les pays en développement, en particulier africains et asiatiques, la majorité des objectifs de cette Déclaration n’ont pas abouti, frustrant ainsi les espérances des nations d’Afrique et de quelques-unes d’Asie pour réduire le niveau des inégalités et de la pauvreté.

En 2000, on assiste à un nouvel effort de l’organisation avec l’adoption des Objectifs du millénaire, qui ont permis des avancées globales pour plusieurs pays asiatiques, mais le continent africain est néanmoins resté la région la plus en retard concernant la réalisation de ces objectifs.

L’Objectif numéro 7 pose la nécessité de garantir la durabilité de l’environnement, proposition renforcée en 2015 avec l’approbation des Objectifs du développement durable et, la même année, celle de l’Accord de Paris sur le changement climatique, avancées obtenues quand les grandes puissances, principaux pollueurs, ont accepté d’affronter la crise climatique. Ces avancées n’ont ultérieurement pas été poursuivies. On a constaté un enlisement des négociations portant sur le financement nécessaire des nations en développement leur permettant de faire face à ce problème, alors que la majorité des pays les plus affectés par la crise climatique sont précisément africains et asiatiques. Plusieurs d’entre eux sont menacés de disparition ou de la perte d’une partie de leur territoire.

En ce qui concerne les droits de l’homme, en dépit des quelques décisions adoptées, en particulier celle de créer un Conseil des droits de l’homme, la politisation des sujets s’est perpétuée, avec un examen dans la majorité des cas selon un double standard.

Les exemples récents de l’inefficacité des structures et du fonctionnement de l’ONU ont été l’échec de la médiation des conflits au Darfour, au Yémen et en Syrie. Les intérêts de certains membres du Conseil de sécurité et de quelques autres ont empêché la construction de solutions. Aujourd’hui encore, il n’a pas été possible de mettre en œuvre une médiation ni même d’initier un processus de recherche de la paix, pour les conflits en Ukraine et au Proche-Orient. Concernant la Palestine, il est révélateur que l’ONU, qui a pourtant joué un rôle décisif dans la création de l’État d’Israël, ait été incapable de trouver un accord permettant de résoudre le conflit, les États-Unis ayant opposé leur veto à des dizaines de résolutions sur cette question, alors qu’elles avaient l’aval de la majorité du Conseil de sécurité.

L’ONU a connu ses échecs majeurs dans les missions de paix en Afrique, notamment en Somalie et au Rwanda dans les années 1990. Sans oublier les dénonciations d’abus sexuels commis par les Casques bleus dans quatre autres pays africains. La moitié des opérations de paix en cours et les dernières approuvées sont en Afrique : Sahara occidental (1994), République démocratique du Congo (2010), région d’Abyei (Soudan, 2011), Soudan du sud (2011), Mali (2013) et République centrafricaine (2014).

Actuellement, les membres permanents du Conseil de sécurité, comme la majorité des pays développés, évitent de participer directement aux troupes des missions de paix de l’ONU et privilégient les contingents de Casques bleus reposant sur les contributions majoritaires de nations d’autres régions, notamment d’Afrique et d’Asie. La dernière des forces annoncées en Haïti sera ainsi kenyane, avec 1000 policiers. Cette intervention a été approuvée en dépit de l’échec de l’expérience précédente dans ce même pays, entachée d’accusations d’abus sexuels et d’avoir provoqué une épidémie de choléra, toujours active sous forme endémique.

Sur la question des réfugiés, l’ONU n’a pas pu trouver de solution aux crises ayant engendré l’exode de plus de 65 millions de personnes, en grande majorité originaires d’Asie et d’Afrique. Son rôle pour les secourir a été limité par le manque des financements nécessaires, en raison notamment de l’absence de volonté des pays développés.

Quand l’ONU a été créée, les conflits concernaient des nations, et leur solution dépendait de négociations entre gouvernements, ce qui facilitait le rôle médiateur des Nations unies. Aujourd’hui, avec l’essor du terrorisme international qui affecte essentiellement les pays africains et ceux du Proche-Orient, l’organisation a approuvé des résolutions, ouvert des crédits d’aide, de nouveaux programmes techniques, créé de nouvelles structures – comme le Bureau contre le terrorisme en 2017. Mais en dépit de cet effort, l’ONU n’est pas préparée à affronter les organisations terroristes transnationales, qui ignorent les contrôles nationaux et ne respectent pas les conventions internationales.

En conclusion, près de quatre-vingts ans après sa création, l’organisation la plus importante et la plus représentative du monde a toujours une énorme dette d’inclusion et de protection à l’égard des nations d’Afrique et d’Asie. Bien qu’elles représentent la majorité des membres, l’ONU n’a pas eu la capacité d’aider les pays de ces deux continents à répondre aux nombreux et pressants défis qu’ils doivent encore affronter.

(Traduction de Jean-Jacques Kourliandsky)

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