Alors que de nombreuses entreprises françaises s’apprêtent à renégocier leurs accords de télétravail, Sarah Proust, experte associée à la Fondation Jean-Jaurès, analyse les résultats de l’enquête de Centre for cities sur le télétravail dans six grandes villes mondiales, dont Paris. Ce sont les salariés français qui retournent le plus au bureau depuis la fin de la pandémie de Covid-19, ce qui souligne la persistance d’une culture du présentéisme.
Le think tank britannique Centre for cities vient de publier une étude sur le retour au bureau des salariés de six villes mondiales, dont Paris1Rob Johnson et Oscar Selby, Return to the office: How London compares to other global cities, and why this matters, Centre for cities, 3 septembre 2024.. À l’heure où de très nombreuses entreprises ou administrations françaises s’apprêtent à renégocier leur accord de télétravail, il nous semble intéressant de relever les points saillants de cette étude internationale.
Le modèle de travail hybride s’installe durablement dans le monde
Cette étude2L’étude concerne 6 750 répondants (décideurs et salariés) qui travaillent à temps plein dans les quartiers d’affaires de chaque ville. À Paris, la zone concerne La Défense, une partie de l’ouest de Paris et son centre. confirme celle que nous avions menée en Europe avec la Fondation Jean-Jaurès, la Friedrich-Ebert Stiftung et le cabinet de conseil Selkis3Sarah Proust, Travailler autrement ? Comment la pandémie a changé les organisations du travail en Europe, Fondation Jean-Jaurès, 15 mars 2023. : les salariés plébiscitent un modèle où ils travaillent de manière à peu près équilibrée au bureau et en télétravail. Dans les six villes concernées par l’étude, les salariés viennent, en moyenne, travailler trois jours par semaine au bureau.
Les salariés français sont ceux qui sont le plus retournés au bureau après la pandémie
Après la pandémie, l’enjeu du retour des salariés au bureau a été posée par de nombreuses entreprises, singulièrement les plus grandes. L’étude britannique montre que si les salariés, quel que soit leur pays, sont revenus au bureau et sont attachés au modèle hybride, il existe quelques disparités entre les pays sur le nombre de jours passés au bureau. C’est à Paris (France) que l’on travaille le plus au bureau (3,5 jours en moyenne), à Londres (Angleterre) et à Toronto (Canada) que l’on y est le moins (2,7 jours en moyenne). Quant aux autres villes : 3,2 jours à Singapour ; 3,1 jours à New York (États-Unis) ; 2,8 jours à Sydney (Australie). L’étude note que mis à part Singapour où le télétravail était déjà développé dans les mêmes conditions, toutes les villes testées dans ce sondage pratiquaient le télétravail de manière similaire. C’est donc bien après la pandémie que les différences s’opèrent : le retour au bureau a été affecté par la pandémie. L’étude ne donne pas d’explications sur les disparités entre les pays, mais l’on sait qu’en France la culture du présentéisme au bureau, si elle a peut-être un peu faibli après la pandémie, reste forte dans les entreprises (et les administrations, même si leurs employés n’ont pas été intégrés au panel de ce sondage). En revanche, l’étude donne des données intéressantes sur l’obligation d’être au bureau : à Singapour et Sydney, 100% des salariés ont l’obligation d’être au moins un jour au bureau ; c’est 98% des salariés à Paris ; 97% des salariés à New York et Londres ; 95% des salariés à Toronto. Entre 81% (Londres) et 87% (Paris et New York) des salariés ont l’obligation d’être au bureau des jours spécifiques.
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Abonnez-vousLes jeunes télétravaillent plus que les seniors
Londres est la seule ville du panel où les 18-34 ans télétravaillent moins que les 35-55 ans. Paris est la ville où il y a le moins de différence sur la présence au bureau des 18-54 ans et les plus de 55 ans travaillent au bureau (quatre jours au moins par semaine) que les plus jeunes. La constance de la présence au bureau à Paris, quel que soit l’âge, est probablement encore liée à notre culture de travail qui donne de la valeur à la présence au bureau. Que les seniors travaillent plus au bureau s’explique facilement par les habitudes ancrées. Quant aux plus jeunes salariés à Paris, rien n’indique dans l’étude pourquoi ils sont davantage au bureau qu’en télétravail mais, lors de nos entretiens qualitatifs sur ce sujet, ils sont très nombreux à faire valoir l’importance de la socialisation, comme leurs aînés, et à considérer que le bureau est aussi un lieu d’apprentissage, de formation, le lieu où l’on apprend le métier.
L’importance du collectif de travail, l’invariant du retour au bureau
Cette étude en confirme d’autres et va dans le sens des entretiens que nous menons depuis 2020 avec des salariés européens : au-delà de la socialisation que permet le bureau, les employeurs et les salariés en général et 95% de ceux qui sont sondés dans cette étude considèrent que la collaboration est la principale raison de leur souhait de venir au bureau. Ils citent comme principaux bénéfices du travail au bureau : relations plus fortes entre collègues (49% des employés et 46% des employeurs) et collaboration accrue entre collègues (50% des employés et 43% des employeurs). Quant à la question managériale, 37% employés et 44% des employeurs considèrent qu’il est plus facile de manager au bureau qu’à distance.
Les bénéfices du télétravail énoncés dans cette étude rejoignent ceux de toutes les enquêtes depuis 2020 : économies, meilleur équilibre de vie, meilleure productivité.
Trois pavés dans la mare des organisations
Rendre la présence au bureau obligatoire n’est peut-être pas nécessaire
Au risque de faire bondir, la question de maintenir l’obligation du travail au bureau se pose. En effet, les salariés trouvent bénéfique pour eux et pour leur travail de venir au bureau. Le modèle hybride s’installe et le télétravail à temps plein est très peu plébiscité par les salariés interrogés dans les nombreux sondages qui sortent sur le télétravail depuis quatre ans.
Maintenir un télétravail individualisé affecte le travail
Tous les salariés et managers l’affirment et le répètent depuis 2020 : le travail collectif est plus efficace en présentiel. Seul hic : les plannings de télétravail sont individualisés (seul un petit jour commun arrive à se faufiler au bon vouloir du manager). Il faudra résoudre ce paradoxe !
Refaire les bureaux pour le rendre attractif n’est pas utile
Notre enquête européenne de 2023 montrait que 67% des salariés ont vu leur espace de travail durablement modifiés depuis la pandémie. Nombreuses sont les entreprises qui travaillent depuis des années à « réenchanter le bureau » pour le rendre attractif. Il nous semble que si le bureau doit se réorganiser, c’est moins pour le rendre attractif (couleurs plus modernes, services, conciergerie et fontaines de jus) que pour permettre d’accueillir toutes les modalités du travail, et notamment le travail collectif.
Prendre le temps dans une entreprise de faire le bilan de la pratique du télétravail depuis quatre ans, de mettre en place des outils adaptés aux missions de l’entreprise, d’organiser un télétravail plus collectif qu’individuel, d’interroger les pratiques managériales et leur articulation avec la stratégie de l’entreprise et les espaces de travail, voilà quelques beaux sujets à retravailler ou à faire émerger.
- 1Rob Johnson et Oscar Selby, Return to the office: How London compares to other global cities, and why this matters, Centre for cities, 3 septembre 2024.
- 2L’étude concerne 6 750 répondants (décideurs et salariés) qui travaillent à temps plein dans les quartiers d’affaires de chaque ville. À Paris, la zone concerne La Défense, une partie de l’ouest de Paris et son centre.
- 3Sarah Proust, Travailler autrement ? Comment la pandémie a changé les organisations du travail en Europe, Fondation Jean-Jaurès, 15 mars 2023.