Les chefs d’État et de gouvernement vont échouer à adopter un budget de la zone euro lors du sommet du 14 décembre 2018, assure Pervenche Berès, députée européenne, porte-parole du groupe S&D sur les questions économiques et monétaires et administratrice de la Fondation Jean-Jaurès. Elle en donne ici les raisons, apportant un utile éclairage sur les enjeux du sommet. Un décryptage en partenariat avec Euractiv.
La déclaration franco-allemande de Meseberg du 19 juin 2018 devait être la feuille de route pour permettre aux chefs d’État et de gouvernement, lors du sommet de la zone euro qui s’ouvre le 14 décembre 2018, d’adopter un budget de la zone euro. Pourtant, il n’en sera rien : pourquoi ?
D’abord parce que le couple franco-allemand lui-même a baissé la garde dans l’étape suivante, avec une proposition des ministres des Finances français et allemand, Bruno Le Maire et Olaf Scholz, du 16 novembre 2018, négociée à l’arrachée, non chiffrée et financée par l’introuvable taxe sur les transactions financières alors même que la taxation des GAFAs est reportée sine die. Cette proposition présente l’idée d’un budget de la zone euro dans l’équilibre entre compétitivité, convergence et stabilisation. Mais in fine elle ne porte, dans le cadre d’un respect préalable stricte des règles du Pacte de stabilité, que sur un soutien aux investissements en matière de recherche et développement ou de capital humain et aux réformes ; elle ignore l’impératif d’une fonction de stabilisation.
Or en réalité, le soutien aux investissements pertinents n’est pas un problème spécifique à la zone euro ; la convergence conçue uniquement autour de la réforme structurelle ignore l’indispensable réduction des excédents excessifs au même titre que des déficits excessifs ; le strict respect des règles budgétaires est contradictoire avec une fonction de stabilisation. Cette dernière, sur laquelle il n’y a aucun accord pour progresser, est pourtant la fonction spécifique à la zone euro puisque ces États membres ont perdu la faculté d’ajuster leur économie par le jeu du taux de change, c’est celle qu’estiment indispensable les acteurs avisés que ce soit à la Commission, à la Banque centrale européenne, au Fonds monétaire international ou dans le monde académique.
La Commission, de son coté, pour faire progresser l’idée d’un budget de la zone euro, a présenté en mai dernier deux projets, celui d’une fonction de stabilisation de l’investissement européen, embryon d’un budget de la zone euro, et un programme d’appui aux réformes. La réalité de l’accord intervenu lors de la dernière réunion de l’Eurogroupe, et sur lequel il demande un mandat aux chefs d’État et de gouvernement pour approfondir leurs travaux, ignore la première proposition de la Commission et ne reflète que le second volet mais sur la base présentée par le couple franco-allemand, qui porte sur le soutien des réformes structurelles au nom de la compétitivité.
La proposition de la Commission prévoit pourtant qu’en cas de choc asymétrique identifié à partir d’une augmentation du niveau de chômage, l’embryon de budget de la zone euro soutienne, avec un fonds équivalent à 0,3% du PIB de la zone, le maintien de l’investissement public dans le pays atteint. Avec Reimer Böge (CDU), nous proposons de porter ce fonds à 0,5% du PIB de la zone et de lui permettre d’assurer aussi une fonction de réassurance des systèmes nationaux d’indemnités chômage des États membres, prenant ainsi au mot le ministre Olaf Scholz.
Sur la base des conclusions de l’Eurogroupe largement inspirées par la suite de Meseberg et ignorant la première étape proposée par la Commission, la chancelière Angela Merkel n’aura pas besoin de fendre l’armure alors qu’après treize ans d’exercice du pouvoir au plus haut niveau et au regard des difficultés qui l’amènent in fine à y renoncer, on a envie de lui demander si elle ne regrette pas d’avoir trop souvent agi trop peu et trop tard, de n’avoir pas dit aux Allemands qu’ils étaient les grands bénéficiaires d’une Union de transferts plutôt que de laisser se développer un discours contre l’Union de transferts et l’aléa moral. Elle avait pourtant maintenant les mains libres pour oser jeter les bases de ce grand compromis franco-allemand dont la démocratie européenne a tant besoin.
Difficile pour le président de la République française, de son coté, d’avoir été élu sur l’idée d’un budget de la zone euro et de faire croire que ce qui sortira du prochain sommet de la zone euro y ressemblera.
Cette situation est d’autant plus inacceptable que, dans l’équilibre tant voulu entre réduction des risques et partage des risques, les étapes significatives ont été franchies avec l’accord intervenu sur le paquet de la réforme bancaire et des prêts non performants. Or ce qui se profile, plutôt qu’un progrès sur la voix de la stabilisation et d’un budget de la zone euro, c’est une nouvelle marche à franchir exigée du côté de la réduction des risques à travers un plus grand contrôle des réformes structurelles. Après la réduction des déficits publics, le renforcement du filet de sécurité des banques, il est temps d’avoir les moyens de protéger concrètement les citoyens face aux futures crises économiques par l’indemnisation du chômage. C’est pourquoi nous proposons et nous nous battons pour une solidarité européenne en matière d’assurance chômage.
Ce sommet de la zone euro est pourtant une opportunité unique de renforcer l’union économique et monétaire et de la rendre résiliente en cas de crise économique. Dans le contexte politique actuel, cela ne paraît pas totalement absurde, voire indispensable…