Quelle est la situation des droits des femmes dans le monde ? Ghislaine Toutain, conseillère du président de la Fondation Jean-Jaurès, et Amandine Clavaud, responsable Europe, Égalité femmes-hommes à la Fondation Jean-Jaurès, dressent un état des lieux des droits des femmes au niveau international et constatent le recul inquiétant de leurs droits – que ce soit pour la défense des victimes de violences sexuelles en temps de guerre comme pour les droits sexuels et reproductifs – qui va de pair avec le contexte politique de plus en plus conservateur dans bon nombre de pays dans le monde.
Pour la sixième année consécutive, la Fondation Jean-Jaurès a participé activement à la 63e session de la Commission de la condition de la femme de l’Onu.
Le thème prioritaire portait cette année sur « Les systèmes de protection sociale, l’accès aux services publics et les infrastructures durables au service de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes et des filles ». On ne peut que se féliciter que cette question soit abordée au niveau international quand on sait qu’en 2019, les femmes et les filles constituent la majorité des plus de quatre milliards de personnes ne disposant pas de protection sociale, alors même que l’accès à la protection sociale et aux infrastructures durables conditionne la mobilité des femmes, renforce leur participation à la vie politique et professionnelle et donc leur autonomisation.
ONU et Parlement européen : une analyse commune
Or, force est de constater que les inégalités entre les femmes et les hommes s’amplifient malgré des progrès en matière de législation et que, dans certains pays, les fossés se creusent. Dans les conclusions concertées, obtenues après des discussions longues et difficiles, la Commission constate ainsi dans le point 12 que « les progrès en matière d’égalité entre les genres et d’autonomisation de toutes les femmes et de toutes les filles et le plein exercice de leurs droits fondamentaux ont pris du retard en raison du déséquilibre historique et structurel qui subsiste entre les femmes et les hommes… ».
De son côté, dans une longue résolution du 13 février 2019, le Parlement européen pointe le « recul des droits des femmes et de l’égalité hommes-femmes dans l’Union », que l’on se tourne vers la protection sociale, l’éducation, la santé, l’égalité salariale, les droits sexuels et reproductifs ou encore la violence à l’égard des femmes.
Ce constat commun se révèle d’autant plus inquiétant si l’on considère certaines situations dans lesquelles les femmes sont les principales victimes : la pauvreté, le handicap, la ruralité, la guerre. Elles ont été particulièrement mises en lumière lors de la 63e session de la Commission de la condition de la femme de l’Onu.
La pauvreté
Les femmes représentent 70% des pauvres et 60% des travailleurs pauvres. Des différences existent selon les continents. C’est en Afrique subsaharienne, en Asie centrale, dans le Caucase, à Madagascar et en Amérique latine que les femmes sont les plus touchées par la pauvreté. Mais tous les continents sont concernés, même en Europe où les femmes constituent – et notamment celles qui sont à la tête d’une famille monoparentale – plus de la moitié des personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Peu ou pas scolarisées, mal orientées à l’école, les femmes occupent très majoritairement des emplois à temps partiel et des emplois précaires (CDD et intérims), le plus souvent dans des secteurs les moins bien rémunérés. Elles subissent de plus des discriminations et une inégalité salariale persistantes.
La pauvreté rend plus difficile, voire impossible, pour elles, l’accès aux services publics de santé, de logement, d’aides sociales, de logement décent, qui sont parfois eux-mêmes inexistants en raison de la situation politique, économique et sociale dans certains pays.
Le handicap
Comme pour les femmes en situation de pauvreté, les femmes représentent plus de la moitié des personnes handicapées dans le monde, même si des différences existent, là encore, selon les continents. Si cette situation est moins connue, elle n’en est pas moins grave. Les femmes handicapées souffrent de désavantages multiples, y compris l’exclusion au motif de leur sexe et de leur handicap, ce qui les marginalise et les rend d’autant plus vulnérables. Les femmes et les filles handicapées sont particulièrement exposées à la maltraitance et à la violence. De leur côté, les systèmes de protection sociale ont tendance à ne pas reconnaître les différences de genre. Le terme « femme handicapée » n’est généralement pas reconnu comme un terme juridique dans ce contexte. Ainsi, les femmes handicapées reçoivent des services de santé qui ciblent soit les femmes en général, soit les personnes handicapées en général, mais rarement ces deux sections à la fois pour répondre à leurs besoins spécifiques.
Le manque d’accessibilité des lieux de soin et des lieux publics conjugué à la mise à l’écart des personnes handicapées rendent de fait plus difficile, voire impraticable, leur accès aux services publics et privés de santé, de logement, d’aides sociales, d’information sur leurs droits, en particulier leurs droits reproductifs, d’éducation et d’emploi.
La ruralité
Les femmes contribuent significativement à l’économie rurale dans toutes les régions du monde, qu’elles cultivent leur propre terre ou celles des autres ou qu’elles occupent un emploi salarié ou non, le travail féminin étant souvent invisible et non rémunéré alors que la charge de travail – et en particulier celle des femmes – augmente régulièrement dans les zones rurales. Bien que représentant 43% de la main-d’œuvre agricole mondiale, moins de 13% des propriétaires de terrains agricoles sont des femmes. Leur accès à l’école, à la formation, à la protection sociale et à leurs droits fondamentaux est difficile, voire impossible. Leur pouvoir décisionnel dans les ménages et les communautés est faible et elles se trouvent dans l’incapacité d’accéder au crédit pour démarrer une entreprise, d’autant que leur accès à la terre est souvent restreint sous le poids de la coutume, des traditions, de l’illettrisme et de leur dépendance économique.
Or, l’accès à la terre est une condition de l’autonomisation des femmes en milieu rural et de leur développement professionnel. En Afrique, les femmes contribuent pour 80% à la production de nourriture alors que 2% d’entre elles ont accès à la terre. En France, la place des femmes dans l’agriculture reste peu visible socialement et politiquement, en raison, notamment, de l’accès coûteux à la propriété qui constitue un frein à leur installation et à leur gestion d’une exploitation. Au-delà, la crise des « gilets jaunes » a mis en lumière la forte mobilisation des femmes des classes populaires, majoritairement affectées, dans les bassins d’emplois ruraux ou de petites villes, aux secteurs des services à la personne peu qualifiés et peu rémunérés (cf. Jean-Laurent Cassely et Jérôme Fourquet, « Génération cariste : comment la crise des gilets jaunes a révélé le destin des classes populaires », Fondation Jean-Jaurès, 25 février 2019).
La guerre
Sujet douloureux s’il en est, resté longtemps tabou : l’extrême précarité des filles et des femmes dans les zones de guerre. Si elles ne participent que rarement aux combats, elles en sont cependant les premières victimes, notamment par l’utilisation du viol comme arme de guerre. Agressées sexuellement et violées, elles se retrouvent livrées à elles-mêmes, fréquemment chassées de leur famille et éloignées de tout centre médical, comme le dénonce avec force le prix Nobel de la paix 2018, le docteur congolais Denis Mukwege, connu comme « l’homme qui répare les femmes », qui, depuis de longues années, se bat pour soigner et soutenir ces femmes et faire en sorte qu’elles obtiennent réparation et redeviennent maîtresses de leur destin. La Fondation Dr Denis Mukwege, qui porte son nom, y travaille chaque jour.
Lors de cette 63e session à l’Onu, nous avons pu entendre, dans un témoignage glaçant, Tatiana Mukanire, une survivante d’un viol subi pendant la guerre en République démocratique du Congo, expliquer pourquoi il lui avait fallu dix ans – à elle et à d’autres femmes – pour décrire ce qu’elle avait subi et trouver le courage de prendre la parole. C’est ce qu’ont fait aussi pour la première fois, le 27 mars dernier au Luxembourg lors d’une conférence organisée par la grande-duchesse Maria Teresa, une quarantaine de victimes de violences sexuelles dans différents pays en guerre, en présence du docteur Mukwege et de Nadia Murad, yézidie, également prix Nobel de la paix 2018. Un appel a été lancé, appelant « à une mobilisation internationale pour en finir avec le viol comme arme de guerre et avec la culture de l’impunité et pour permettre aux victimes d’être reconnues et réhabilitées ».
Conclusion
Face à ces situations insoutenables et plus généralement au recul des droits des femmes dans le monde, plus que jamais la mobilisation s’impose. Certes, ce recul n’est pas uniforme et diffère selon les continents et les pays. Des mouvements récents, comme celui de #MeToo, ont permis de commencer à libérer la parole des femmes sur les agressions et violences sexuelles qu’elles subissent au quotidien dans leur vie professionnelle. De même, la récente prise de parole évoquée ci-dessus de femmes victimes de viol comme arme de guerre est un signe encourageant.
Pour autant, force est de constater la puissance des résistances, voire des reculs sur les questions de l’égalité salariale, de l’orientation des filles vers des filières scientifiques, notamment vers l’informatique où leur présence régresse, et plus encore celle de la reconnaissance des droits sexuels et reproductifs des femmes. Cette année, encore, la Fondation Jean-Jaurès a pu à nouveau mesurer, lors du side event organisé à New York par le mouvement She decides – créé en réaction au décret signé par Donald Trump en janvier 2017 qui vise à interdire le financement d’ONG internationales soutenant l’avortement – et le Planning familial (dont la Fondation Jean-Jaurès était partenaire ainsi que la Coordination française du Lobby européen des femmes) combien ces droits étaient loin d’être reconnus de façon universelle, renforçant l’obligation à poursuivre avec la plus grande détermination ce combat décisif pour la liberté des femmes à disposer de leur corps. Ironie du hasard : ce side event s’est tenu le lendemain du jour où, en France, le Syndicat national des gynécologues-obstréticiens (Syngof) menaçait de faire la grève des IVG pour obtenir l’une de leurs revendications auprès du ministère de la Santé !
Plus récemment, une résolution sur les violences sexuelles dans les conflits armés, votée le 23 avril dernier au Conseil de sécurité de l’Onu, a été vidée de sa substance sous la pression des États-Unis, appuyés par la Russie et la Chine (qui se sont abstenus), les droits sexuels et reproductifs pour les victimes de viol n’y étant pas mentionnés. La France, par la voix de son ambassadeur auprès des Nations unies, François Delattre, a fortement dénoncé « ce recul sur vingt-cinq ans d’acquis sur les droits des femmes dans les situations de conflits armés pourtant agréés dans de précédentes résolutions en 2009 et 2013. » Il a poursuivi : il est « intolérable et incompréhensible que le Conseil de sécurité soit incapable de reconnaître que les femmes et les filles qui ont subi des violences sexuelles en temps de conflits [aient] le droit d’avoir le choix d’interrompre leur grossesse ». Nous ne pouvons qu’acquiescer à ces propos.
Plus que jamais, la question de l’égalité entre les femmes et les hommes se pose de manière incontournable pour faire progresser l’ensemble des pays vers la démocratie et le progrès. Comme depuis sa création, la Fondation Jean-Jaurès ne s’y dérobera pas.