L’image de Jean-Luc Mélenchon

La dynamique récente autour de Jean-Luc Mélenchon est l’occasion de poser la question de l’image qu’il renvoie aux yeux de l’opinion publique. Jérémie Peltier, directeur des études de la Fondation, livre des indications sur sa capacité de rassemblement, à l’avenir, au-delà des seules frontières de La France insoumise.

Au lendemain du second tour de l’élection présidentielle, et même durant l’intégralité de l’entre-deux tours, Jean-Luc Mélenchon est parvenu à monopoliser l’attention en politisant les élections législatives à venir et en faisant du « troisième tour présidentiel » un lot de consolation après son échec au premier tour. L’alliance électorale – la Nupes, Nouvelle Union populaire écologique et sociale – qu’il est parvenu à fédérer autour de lui en mettant autour de la table notamment La France insoumise, Europe Écologie-Les Verts et le Parti socialiste a fait de lui incontestablement l’homme fort de la séquence post-présidentielle et la locomotive de la gauche en France.

S’il est toujours très difficile malgré les intentions de vote réalisées par les instituts de sondage de donner avec une relative précision le rapport de force à venir à l’Assemblée nationale, du fait du caractère parfois très local de ces élections et d’un potentiel d’abstention plus fort que lors de l’élection présidentielle (aux alentours de 53% selon les dernières estimations), le panel électoral de la Fondation Jean-Jaurès réalisé avec Le Monde, Ipsos et Sciences Po et notamment la dernière vague publiée le 23 mai dernier donne néanmoins des enseignements intéressants quant à l’image que renvoie aujourd’hui le troisième homme de l’élection présidentielle1Enquête électorale française 2021-2022, enquête Ipsos pour Le Monde, le Cevipof et la Fondation Jean-Jaurès.. S’il ne s’agit pas d’indications factuelles quant à son potentiel électoral, cela nous donne quelques indices sur sa capacité de rassemblement au-delà des seules frontières de La France insoumise à l’avenir et sur sa crédibilité en cas de nomination en tant que chef d’une majorité de cohabitation à l’issue des élections.

Le représentant d’une formation politique déficitaire en matière de sympathie  

Un élément s’impose d’entrée de jeu : Jean-Luc Mélenchon est à la tête d’une formation politique, La France insoumise, qui suscite un fort degré d’antipathie de la part des Français d’une façon générale. Invités à noter les différentes formations politiques sur une échelle de 0 à 10 (0 correspondant à une très forte antipathie, 10 une très forte sympathie), 55% des Français placent leur degré de sympathie envers cette formation politique entre 0 et 3, ce qui donne la note moyenne de 3,4 sur 10 à La France insoumise sur « l’échelle de l’amour ».

Certes, La France insoumise n’est pas la seule formation politique à être dans ce cas de figure et à subir une notation sévère de la part des Français : en effet, aucune des formations politiques n’atteint la moyenne de 5 sur 10. À titre d’exemple, la note moyenne du parti d’Éric Zemmour, Reconquête !, est de 2,3 sur 10, celle du Parti communiste de 3 sur 10, celle du Rassemblement national de 3,6 sur 10 et celle du Parti socialiste de 3,7 sur 10.

Il est néanmoins intéressant de noter que le parti de Jean-Luc Mélenchon suscite des degrés de sympathie bien moindres que le parti présidentiel et que le Rassemblement national : ainsi, quand 21% des Français ont un fort niveau de sympathie envers La France insoumise (Français qui placent La France insoumise entre 7 et 10 sur l’échelle de l’amour), c’est le cas de 28% des Français pour La République en marche et de 29% des Français pour le Rassemblement national.

Autoritaire et démagogue : une image qui s’est renforcée à l’issue de l’élection présidentielle

Arrêtons-nous maintenant un instant sur Jean-Luc Mélenchon et sur l’image qu’il renvoie dans la population. Reconnu comme un tribun assez unique dans le paysage politique actuel et jouissant d’une présomption de culture littéraire plus importante que la moyenne des responsables politiques, cela suffit-il à le rendre à la fois crédible, rassembleur, dynamique et rassurant aux yeux des Français – quatre qualificatifs importants chez un dirigeant ayant vocation à devenir Premier ministre en cas de victoire de son camp aux législatives ?

La première question que l’on peut se poser porte sur la capacité de Jean-Luc Mélenchon à rassurer ses électeurs et les Français de façon générale. Pour le dire autrement, Jean-Luc Mélenchon inquiète-t-il, et surtout, inquiète-t-il suffisamment moins par rapport à 2017 ? Ce qui laisserait alors entendre qu’il a changé et qu’il serait parvenu à modifier positivement le jugement des Français à son égard.

En mai 2022, la sentence est rude : 59% des Français estiment que Jean-Luc Mélenchon les inquiète (contre 55% pour Marine Le Pen et 47% pour Emmanuel Macron). Et ce qui est intéressant, c’est l’évolution dans le temps de l’inquiétude suscitée. Alors que l’on aurait pu penser que les cinq ans qui viennent de s’écouler auraient permis à Jean-Luc Mélenchon de rassurer davantage ses compatriotes, il n’en est rien : 56,5% estimaient en avril 2017 que Jean-Luc Mélenchon était inquiétant, soit 2,5 points de moins qu’aujourd’hui. Un certain nombre de polémiques impliquant Jean-Luc Mélenchon au cours du quinquennat précédent ont évidemment contribué à l’augmentation de cette défiance (on pense évidemment à la perquisition au siège de La France insoumise en septembre 2019 et aux célèbres « La République c’est moi » ou « Ma personne est sacrée. Vous n’avez pas le droit de me toucher » lancées par le leader de La France insoumise) tout comme ses prises de position bienveillantes à l’égard de la Russie et de Vladimir Poutine alors que la guerre éclatait en Ukraine.

Mais surtout, c’est son évolution au cours des deux derniers mois sur ce trait de caractère qui apparaît comme spectaculaire : en mars 2022, alors en pleine campagne présidentielle, 52% des Français indiquaient déjà être inquiets face à Jean-Luc Mélenchon. C’était certes un chiffre important, mais c’était 4,5 points de moins qu’il y a cinq ans, et surtout 7 de moins qu’aujourd’hui. Pour le dire autrement, une fois la campagne présidentielle terminée, sorte de « parenthèse enchantée » pour lui, Jean-Luc Mélenchon n’a pas réussi à apparaître comme un responsable politique rassurant à l’approche des élections législatives, en raison notamment du style et du ton très durs avec lesquels il a décidé de faire campagne, loin de l’image « en hauteur » et « au-dessus de la mêlée » qui fut la sienne lors de la campagne présidentielle.

Le style et la dureté affichés ont donc eu des conséquences, preuve en est sur deux autres traits de caractère sur lesquels les Françaises et les Français le jugent sévèrement : d’abord, 65% le jugent « trop autoritaire », le plaçant nettement au-dessus d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen sur cet aspect (respectivement 56% et 49%). Ce qui est intéressant, c’est que près de la moitié des électeurs envisageant de voter pour la Nupes lors des prochaines élections législatives le jugent ainsi de cette manière (46%), illustration supplémentaire que la tentation autoritaire qui existerait chez Jean-Luc Mélenchon est une crainte largement partagée.

Ensuite, 57% le jugent « démagogique » dans ses propos et ses déclarations. S’il partage ce trait de caractère avec Marine Le Pen aux yeux des Français (56%), c’est moins le cas avec Emmanuel Macron (48%). Mais surtout, c’est 5 points de plus par rapport à mars 2022, comme une illustration supplémentaire que la période qui a suivi le premier tour de l’élection présidentielle a plutôt dégradé son image. En outre, comme sur l’autoritarisme, il ne convainc pas son propre camp : quasiment la moitié (46%) des électeurs qui s’apprêtent à voter pour la Nupes lors des élections législatives le trouvent démagogique.

Enfin, même si on note une évolution plutôt positive dans les enquêtes entre mars et aujourd’hui, il est à l’heure actuelle très loin de l’image que l’on se fait d’un responsable politique qui serait potentiellement demain chef de gouvernement : 31% des Français seulement le jugent capable de faire face à une crise grave (économique, sanitaire, international, attentat) et 24% seulement considèrent qu’il donne une bonne image de la France à l’étranger.

Volontaire et proche des Français, mais moins qu’il y a cinq ans

Si son image s’est dégradée depuis 2017 et depuis mars 2022 s’agissant notamment de l’autoritarisme qu’il dégage et de l’inquiétude qu’il suscite, un point mérite néanmoins d’être souligné : quand bien même ils le considèrent comme démagogique, c’est-à-dire flattant les égos et les émotions, les Français le considèrent toujours comme sincère dans ce qu’il veut faire et dans le projet qu’il veut défendre (ce qui n’est d’ailleurs pas incompatible avec le fait de trouver ce projet autoritaire) : en mai 2022, 59 % des Français considèrent qu’il veut vraiment changer les choses. C’est autant que Marine Le Pen, mais c’est 14 points de plus qu’Emmanuel Macron, et 4 points de plus qu’en mars 2022, illustration supplémentaire que les Françaises et les Français le prennent au sérieux dans ce qu’il dit. Mais ici aussi, les cinq années passées dans l’opposition à tenir le ministère de la parole lui ont fait perdre quelque peu de crédit sur cet élément :  en 2017, 68% des Français considéraient alors qu’il voulait vraiment changer les choses, soit 8 points de plus qu’aujourd’hui.

Deuxième point sur lequel Jean-Luc Mélenchon tire son épingle du jeu, c’est la dimension empathique que lui confèrent les Français. En effet, 43% d’entre eux considèrent qu’il comprend bien les problèmes des gens comme eux, le plaçant juste derrière Marine Le Pen (47%), mais bien loin devant Emmanuel Macron (26%). C’est 2 points de plus qu’en mars 2022, mais plus de 15 points de moins par rapport à mars 2017, où plus de 60 % des Françaises et des Français lui conféraient cette qualité.

Qu’en conclure ? Que Jean-Luc Mélenchon est parvenu à remplir toutes les cases d’un candidat populiste aux yeux des Français : discours de proximité teintée de démagogie dans un corps à la fois autoritaire et puissant. Il apparaît en outre qu’il n’a pas su profiter ni des cinq dernières années, ni des deux derniers mois pour gommer ses traits de caractère les plus rebutants aux yeux des Français et d’une part importante des électeurs de gauche s’apprêtant à voter pour ses candidats, et ce malgré les atouts qu’il détenait il y a déjà cinq ans.

Par conséquent, si les circonstances politiques et l’accord électoral obtenu brillamment peuvent lui offrir momentanément le rôle de premier opposant au président de la République, le fait de ne plus siéger à l’Assemblée nationale quoi qu’il arrive (il ne s’est pas représenté) ajouté à l’image relativement négative et dégradée au cours des cinq dernières années laissent à penser qu’il ne pourra que difficilement survivre à ce nouveau quinquennat.  

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