L’étrange défaite du Labour : autopsie d’un échec

Les résultats des élections législatives britanniques de mai 2015 ont surpris, avec une victoire sans appel des conservateurs. Renaud Thillaye, directeur adjoint de Policy Network, analyse les raisons de cet échec du Labour et l’avenir de ce parti qui doit notamment se choisir un nouveau leader.

Contre toute attente et malgré des sondages annonçant conservateurs et travaillistes au coude-à-coude, la victoire des Tories est sans appel à l’issue des élections législatives britanniques. La surprise est grande, même pour David Cameron qui peut désormais gouverner sans former de coalition. Du côté travailliste, la déception laisse place à l’introspection. Comment analyser l’échec du Labour et envisager l’avenir de ce parti ?

Suite aux élections, le nombre de sièges du Labour au Parlement britannique diminue fortement. Malgré une performance en pourcentage des voix qui s’améliore, le parti peine à percer dans des circonscriptions qui ne lui sont traditionnellement pas acquises. Certains observateurs considèrent que l’écart entre les sondages et les résultats s’explique par les efftets « Lazy Labour » (pour caractériser les sympathisants travaillistes qui ne viennent pas voter) et « Shy Tory » (ces électeurs qui votent conservateur sans l’avouer). Mais les raisons sont plus structurelles que techniques.

La défaite du parti peut tout d’abord se lire géographiquement. Le Labour subit une déroute historique en Ecosse face au Parti national écossais, le SNP, et a du mal à exister dans le sud-ouest et le nord-est de l’Angleterre, où il est respectivement concurrencé par les conservateurs et handicapé par les bons scores du parti souverainiste UKIP. Londres semble être le dernier bastion travailliste et résiste du fait de sa population jeune, diverse et hautement qualifiée, sensible aux idées progressistes.

Sur le plan idéologique, la défaite s’explique par un programme jugé peu crédible tant il tentait de réconcilier les contraires. Tout en promettant de ramener le budget à l’équilibre, Ed Miliband proposait de revenir à un certain interventionnisme perçu comme un danger, là où David Cameron promettait la « sécurité économique ». Par ailleurs, la stratégie de campagne du Labour s’est révélée peu efficace : malgré plusieurs millions de portes ouvertes, le parti n’a pas suffisamment ciblé ses messages.

Cette défaite n’est pas le fait d’un seul homme. Ed Miliband a été porté à la tête du parti en 2010 dans une claire volonté de rupture avec le blairisme. Il a su rassembler son camp pendant cinq ans autour de la vision d’un capitalisme mieux régulé et de la nécessité de soutenir les classes moyennes et populaires menacées de déclassement. Son échec est donc celui du parti, qui n’a pas su faire un inventaire rigoureux des années Blair-Brown et des raisons de la défaite de 2010.

Suite à la démission d’Ed Miliband, des élections internes sont programmées en septembre 2015. Trois candidats se détachent : Andy Burnham, Yvette Cooper et Liz Kendal. Ces différentes personnalités reflètent les dissensions qui menacent le Labour aujourd’hui. Une frange du parti appelle à approfondir de façon radicale l’action de Miliband dans sa volonté de réguler plus strictement les marchés, de défendre les services publics et d’aller vers une fiscalité plus progressive. L’aile droite du parti, au contraire, souhaite mettre en avant l’égalité des chances, les aspirations individuelles, les valeurs cosmopolites. Pour reconquérir le pouvoir, le parti devra tenir compte de ces deux sensibilités tout en proposant un projet novateur et optimiste. Il devra réunir un électorat très diversifié et géographiquement fragmenté. Au-delà du problème existentiel que représente l’Ecosse, les défis futurs du Labour reflètent en tout point ceux auxquels font face les partis sociaux-démocrates européens aujourd’hui.

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