Les zones à risques du ministère des Affaires étrangères : une tragicomédie ?

Depuis quelques années, le site Internet du ministère des Affaires étrangères a renforcé la rubrique de ses conseils aux voyageurs, détaillant pays par pays les risques encourus par les Français à l’étranger. Une liste qui révèle la manière dont les diplomates français conçoivent le monde.

Le 2 mai 2012, les dernières minutes du débat télévisé qui a opposé François Hollande à Nicolas Sarkozy, consacrées aux questions de politique étrangère, ont brièvement traitées de la crise au Sahel. Nicolas Sarkozy indiquait ainsi, à rebours des dispositions des conventions de Genève, que même les secouristes ne pouvaient s’y rendre par mesure de sécurité.
La problématique plus générale émanant de ces recommandations est sans aucun doute l’apparition du « principe de précaution », qui semble désormais être de mise au Quai d’Orsay. A travers ses « conseils aux voyageurs » qui se sont étoffés ces derniers mois, le Quai d’Orsay tente de dissuader les Français d’aller dans les pays jugés dangereux. Le monde est alors divisé en quatre zones, distinguées selon leur degré de dangerosité. L’objectif est simple : interdire l’accès aux zones classées « rouge ».
Cependant, comment expliquer la constitution d’une telle « liste noire », qui ressemble étrangement à un voyage à rebours ? A quelles réalités ces recommandations répondent-elles ?
A l’exception de l’Europe et de l’Amérique du Nord, les « cartons rouges » du Quai d’Orsay n’épargnent quasiment aucun continent. L’Afrique quant à elle retient particulièrement l’attention, ce qui éclaire étrangement la façon dont les diplomates français conçoivent le monde. Le plus dérangeant est que cette « liste noire » semble reposer pour beaucoup sur des impressions subjectives, et non sur des indicateurs tirés d’une véritable base de données sur la géographie du risque. Ainsi, des pays qui connaissent les plus forts taux d’homicides au monde ne sont pas classées en zone rouge (Jamaïque, Salvador, Venezuela…), a contrario des régions où agit peu ou prou Al-Qaïda (dans certains pays africains par exemple). Cela signifie donc que l’enlèvement d’un Français par des terroristes islamistes vaut tous les homicides autochtones. Il n’est alors pas inutile de rappeler la pertinence qu’aurait la constitution d’une base de données centralisée sur les Français tués à l’étranger, afin de mesurer d’une façon plus rationnelle et plus objective le risque qu’encourent les voyageurs.
En effet, il convient de s’interroger sur la qualité des sources d’information du Quai d’Orsay, tant les appareils statistiques et policiers dans les zones à risques apparaissent comme déficients. En outre, les comptes-rendus d’ambassadeurs, de médias ou d’organisations humanitaires ou de sécurité privées ne peuvent être considérés comme des évaluations des plus objectives, chacun ayant un intérêt propre dans la divulgation de telle ou telle donnée. On sait par exemple que l’opinion publique va accorder plus d’attention à l’otage exécuté par des islamistes en Afrique qu’au touriste français abattu par des voleurs en Amérique latine. Enfin, il faut également comprendre cette liste à travers des considérations politiques, les territoires disputés étant souvent indiqués en rouge du fait des incertitudes sur leur statut international.
En parallèle, pourquoi le Quai d’Orsay a-t-il musclé son dispositif de prévention au cours des derniers mois ? Faute de données statistiques sur l’augmentation des attaques contre des Français de l’étranger, cette raison ne peut être défendue pleinement. De plus, la France demeure l’un des pays européens qui compte la plus faible proportion d’expatriés, sans que ce nombre n’ait augmenté au cours des dernières années.
D’autres raisons semblent plus pertinentes. En premier lieu, la constitution d’une liste plus musclée semble protéger le ministère des Affaires étrangères, et l’Etat français, d’éventuelles actions intentées par des Français qui souhaiteraient demander un rapatriement ou un dédommagement en cas d’agression.
Le ministère des Affaires étrangères joue également sur le critère « émotif », en répondant par cette liste à une demande toujours grandissante de sécurité, accentuée par la guerre contre le terrorisme.
En outre, ce principe de précaution répond à une logique économique, le gouvernement ne voulant plus prendre en charge les évacuations de sinistrés ou la libération d’otages français qui n’auraient pas respecté les consignes de sécurité du Quai d’Orsay.
Quelles conséquences sur nos relations internationales et sur la politique étrangère française ? Dans un premier temps, les restrictions de circulation du ministère des Affaires étrangères ont un impact sur la poursuite des programmes de la coopération française à l’étranger. De plus, le potentiel de la France en matière de rayonnement culturel et de connaissance des sociétés en développement est mis à mal. Cela affecte les investissements à l’étranger et touche avant tout les petites et moyennes entreprises. Enfin, les dérogations accordées pour certaines organisations à travers la notion de « nécessité de service » posent le problème de l’égalité des citoyens devant la loi.
Les conseils aux voyageurs du ministère des Affaires étrangères risquent alors d’être décrédibilisés. Des sources fiables et des indicateurs valables, répondant à des logiques plus objectives, sont encore à trouver pour mesurer et comparer les risques sécuritaires qui pèsent sur les personnes. Ainsi, il serait de bon ton d’arrêter une diplomatie de la peur, au profit d’une diplomatie visant avant tout l’évitement des conflits, cœur même de la fonction.

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