Les trois bonnes raisons d’Emmanuel Macron de réunir le Congrès

La convocation du Congrès par Emmanuel Macron a suscité polémiques et interrogations. Pourtant, au-delà de la lecture institutionnelle qui en a été faite, le prisme de l’analyse de l’opinion permet de fournir une autre lecture de la séquence, et peut-être d’apporter un début de réponse aux questions qui ont agité les observateurs de la vie politique depuis quelques jours. 

La convocation du Congrès par Emmanuel Macron a suscité bien des polémiques et des interrogations. Parce que cet exercice est rare – son prédécesseur l’a fait une fois en cinq ans, pour panser les plaies d’une Nation meurtrie par les attentats du 13 novembre 2015. Parce qu’en se positionnant à la veille de la déclaration de politique générale, moment institutionnel phare du Premier ministre, il a semblé en changer le sens – voire, pour certains, vouloir le reléguer au rôle d’exécutant.

Pourtant, au-delà de la lecture institutionnelle qui en a été faite, le prisme de l’analyse de l’opinion permet de fournir une autre lecture de la séquence, et peut-être d’apporter un début de réponse aux questions qui ont agité les observateurs de la vie politique depuis quelques jours.

Tout d’abord, cette nouvelle articulation entre le Congrès présidentiel et la déclaration de politique générale semble être une tentative d’apporter une réponse nouvelle à l’éternelle question – sur laquelle la plupart des couples exécutifs, hors périodes de cohabitation, se sont cassés les dents – de la répartition des rôles « optimale » entre président et Premier ministre. Or, au vu de ce que nous enseigne l’histoire, le fait de trouver une bonne répartition des rôles, du poids politique et de la visibilité de chacun a une importance réelle. Et en la matière, les périodes de déséquilibre sont les plus nombreuses: on se souvient de « l’omniprésident » reléguant son Premier ministre au rôle de collaborateur; du « roi fainéant » dont le Premier ministre ne contrebalançait pas l’immobilisme perçu; ou encore du « Président normal », auquel il fut reproché de ne rien décider ni assumer, et dont le premier Premier ministre fut perçu comme trop semblable pour en corriger les défauts. Lorsqu’une forme de complémentarité semblait être trouvée entre les deux membres du couple exécutif, ce fut souvent au détriment d’un des deux: la popularité d’un François Fillon tenait beaucoup à sa capacité à incarner l’inverse d’un Nicolas Sarkozy devenu impopulaire; tout comme celle de Manuel Valls, à son arrivée à Matignon. En cherchant une nouvelle répartition des rôles, le président semble vouloir échapper à cette malédiction qui voudrait que l’un soit populaire aux dépens de l’autre, perçu comme seul décisionnaire et donc seul responsable, ou que tous deux soient condamnés à voir leurs cotes de popularité évoluer en parallèle, au gré des humeurs des Français – et donc bien souvent, plonger de concert. Emmanuel Macron chercherait ainsi, à sa manière, à montrer que l’on peut avoir un président qui préside et, « en même temps », un Premier ministre qui gouverne, sans que l’un écrase l’autre, ni ne lui serve de marche-pied.

On a beaucoup dit que le président avait une lecture « présidentialiste » des institutions de la Ve République. On oublie en revanche souvent de dire que, malgré l’engouement pour le « bottom up », en dépit du rejet des élites, du désir d’engagement et de « démocratie participative », les Français eux-mêmes ont une conception très présidentialiste du pouvoir. Il n’est qu’à observer le taux de participation aux dernières élections présidentielles (contrastant avec celui des législatives) pour s’en convaincre: malgré les affaires, le rejet dont la classe politique dans son ensemble fait l’objet, et un certain scepticisme quant à la capacité du pouvoir politique de « changer la vie », les Français se sont encore massivement rendus aux urnes en avril et mai dernier. Ils ont élu avant tout un homme, pour son projet comme pour son caractère, et entendent bien le voir incarner et assumer la politique qui sera conduite pour les cinq années qui viennent. De ce point de vue, a-t-il vraiment le choix? Quel avantage y aurait-il à se dérober puisque c’est lui qui, au bout du compte, devra rendre des comptes à l’opinion? Il semble donc normal qu’il vienne leur exposer directement, en s’adressant à leurs représentants, la manière dont il entend écrire avec eux la nouvelle séquence qui s’engage à présent.

Car c’est bien une nouvelle séquence qui s’ouvre. Notre dernière étude (réalisée avec l’Ifop) montrait bien que nous venions de clore, aux yeux de l’opinion, une séquence de « mise en place ». La plupart des Français, ceux qui soutiennent le président comme ceux qui « attendent » encore de voir, avaient bien compris qu’avant d’engager l’action pour la « transformation » du pays, il fallait que le président dispose d’une majorité à l’Assemblée nationale et d’un gouvernement compétent et organisé. Pendant cette séquence, ils ont donc su tempérer leur appétit de changement. Mais dorénavant, ils attendent que l’exécutif engage sans tarder la feuille de route sur laquelle le président a été élu. Or, on constate dans notre étude que, sur bien des points, la ligne exacte qu’entend tracer le président n’est pas encore très claire dans les esprits.

C’est là tout l’intérêt du discours qui sera prononcé devant le Congrès: montrer que le « en même tempisme » si attrayant des discours peut se traduire dans la réalité des actes, sans pour autant générer de déceptions ni de frustrations. Passer d’une victoire électorale dans laquelle chacun, venant de la gauche comme de la droite, peut projeter ses propres aspirations à une politique concrète qui ne soit pas jugée trop libérale pour les uns et pas assez pour les autres, trop dépensière pour les uns et trop « austéritaire » pour les autres, trop européenne et pas assez, etc. Le moment du Congrès sera donc un moment important et délicat. Un moment où il devra expliquer comment il entend relever le plus grand défi qui se présente à lui: convaincre la France qui craint de rester « à quai », dont le mal-être social et le pessimisme pour l’avenir n’ont pas été atténués par le souffle de sa victoire, qu’elle a toute sa place dans une France « en marche ».

Ajoutons qu’il visera sans doute, aussi, à éviter de tomber dans l’économisme (« courbe du chômage », « boîte à outils », « aller chercher la croissance avec les dents »…), cette pensée gestionnaire dans laquelle ses prédécesseurs se sont empêtrés. Le fait qu’Emmanuel Macron accorde tant d’importance au sens, aux symboles et aux valeurs est à ce titre intéressant, lui qui se targue par ailleurs d’importer dans la sphère politique les pratiques et les codes du monde de l’entreprise. Mais il ne confond pas les rôles pour autant: à ses ministres et ses députés les « séminaires », le « team building », l’esprit « start-up » et le fonctionnement « en mode projet », à lui les codes et les symboles de la Ve République.

Troisième justification à l’organisation de ce Congrès, du point de vue de l’analyse de l’opinion: s’extraire d’un rapport avec les médias qui a engendré une défiance abyssale vis-à-vis de la profession journalistique comme des élus, pour trouver un nouvel équilibre. Prenant acte du fait que journalistes et responsables politiques pataugent depuis des années dans le même marais de défiance et de rejet – et il n’est pas ici question de désigner des responsables, mais seulement de dresser un constat –, Emmanuel Macron semble aussi, en abandonnant la traditionnelle interview du 14 juillet, faire le pari que pour s’approcher du peuple, il faut contourner l’écran médiatique, et s’extraire d’un exercice dont les Français considèrent souvent qu’il enferme les uns dans la question anecdotique et la recherche de la petite phrase, et les autres dans la langue de bois et les propos convenus.

Certaines données peuvent accréditer la thèse qui semble être celle du président. Par exemple, les conférences de presse de François Hollande, moments médiatiques phare de son quinquennat, n’ont jamais atteint les objectifs qui leur étaient assignés par le président, à savoir informer – beaucoup de Français en avaient entendu parler, mais la mémorisation restait toujours faible, allant rarement au-delà de l’anecdote, de la petite phrase ou d’axes politiques aux contours très flous – et convaincre – il n’a jamais convaincu, lors d’une interview, plus de 35 à 40% des Français disant avoir entendu parler de ses interviews ou conférences de presse, selon les données mesurées tout au long du quinquennat par Harris Interactive. Dès lors que ces objectifs paraissent inatteignables, ne faut-il pas interroger l’exercice, changer de formule? Tenter de varier les exercices, sans contourner tout à fait les moments médiatiques nécessaires de débat et de confrontation avec les journalistes? Si l’on poussait cette logique jusqu’au bout, on pourrait se demander pourquoi ce Congrès ne sera pas diffusé à heure de grande écoute. Car tel qu’il est programmé, la plupart des Français n’en verront que des extraits sélectionnés par les médias aux journaux télévisés du soir. L’écran médiatique n’est donc pas tout à fait contourné.

L’avenir dira si cette tentative d’instaurer un nouveau rapport entre président et Premier ministre et entre médias et politiques permettra de restaurer un minimum de confiance avec le pays. Et si ce discours, conçu pour parler du temps de la parole à celui des actes, parviendra à convaincre les Français de continuer à le suivre dans son projet de transformation du pays.

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