Les inégalités sociales de santé

La santé, qui peut être perçue comme une préoccupation individuelle, apparaît comme le résultat de déterminismes sociaux à l’œuvre dans la société. Loin d’être des problèmes isolés, ceux-ci forment une chaîne causale qui appelle à une vision globale. L’alimentation est l’un des meilleurs exemples pour l’illustrer. Gilles Finchelstein en parle à l’occasion du colloque organisé avec la Mutualité française à Nancy sur le thème “Santé et environnement : nouveaux risques, nouvelles inégalités”. 

Souvent décrit comme l’un des plus performants en termes de dispensation et d’organisation des soins, le système français connaît pourtant des fragilités. Les inégalités sociales de santé ont même tendance à s’aggraver depuis vingt ans, comme le montrait dès 2002 le troisième rapport triennal du Haut Comité de la santé publique.

Les pouvoirs publics, conscients de ces défaillances, se sont saisis de ce sujet: en 2009 avec la loi dite « Hôpital, patients, santé, territoires » et en 2012 par le pacte Territoire-santé à travers la problématique des déserts médicaux. Il n’en demeure pas moins que des inégalités alarmantes subsistent.

Inégalités géographiques, lorsque, par exemple, la mortalité infantile dans les départements et régions d’Outre-mer est plus de deux fois supérieure à celle de la métropole.

Inégalités sociologiques lorsque, selon l’Observatoire des inégalités, les deux tiers des ouvriers déclarent respirer des fumées ou des poussières sur leur lieu de travail contre un cadre supérieur sur dix ou lorsqu’il y a deux fois plus d’adultes obèses chez les artisans, commerçants, agriculteurs, ouvriers et employés que chez les cadres supérieurs.

Face à ces échecs, il faut s’intéresser aux composantes complexes de ces inégalités sociales. La santé, qui peut être perçue comme une préoccupation individuelle, est le résultat de déterminismes sociaux à l’œuvre dans la société. Loin d’être des problèmes isolés, ils forment une chaîne causale qui appelle à une vision globale. Les pouvoirs publics doivent regarder la santé non comme le secteur d’un seul ministère, mais comme un enjeu traversant les différents maux de la société et qui interroge notre conception de la justice.

L’alimentation est l’un des meilleurs exemples pour illustrer cette chaîne causale. Selon Claire Hédon, présidente d’ATD Quart-Monde, des études démontrent que la malnutrition affecte le développement cognitif intellectuel des enfants. Cette première inégalité (alimentaire) se traduira au niveau scolaire, entraînant des inégalités futures (professionnelles, économiques, accès au logement, nutritionnelles). Ce constat peut s’aggraver si on le met en relation avec les conclusions du rapport de l’Inserm, intitulé « Inégalités sociales de santé en lien avec l’alimentation et l’activité physique », datant de 2014. En effet, les facteurs liés à la contrainte budgétaire s’additionnent aux facteurs psychosociaux (une personne modeste a plus de difficulté à se projeter dans l’avenir et donc à investir dans son « capital santé ») et sociaux-culturels (les plus démunis ont des habitudes alimentaires moins bénéfiques pour la santé).

L’étude Plos One confirme le risque de l’accumulation des inégalités par l’étude des habitants de Paris face aux pics de pollution. Les chercheurs de l’étude, partant du paradoxe que les populations défavorisées ne vivent pas dans les quartiers les plus exposés à la pollution mais en sont les plus victimes, expliquent qu’elles « sont plus vulnérables pour des raisons directement liées à leurs conditions de vie et cumulent des facteurs de risque de contracter des maladies chroniques ». Cette chaîne est donc constituée d’une multitude d’inégalités qui s’enchevêtrent et qui demandent une action volontariste pour être brisée.

Cette action ne peut être seulement verticale mais acceptée et comprise par tous. Par exemple, les personnes les moins bien informées assimilent davantage la pollution aux fumées qu’aux polluants invisibles et sont donc moins sensibles aux efforts des politiques publiques que les populations plus cultivées, habituées à intégrer des informations abstraites. L’inégalité d’information peut donc réduire l’adhésion aux réformes mais aussi leur impact. C’est le cas pour l’étiquetage de valeurs nutritionnelles qui requiert un minimum d’expertise et améliore davantage la situation des catégories favorisées que les autres.

Le mécanisme des déterminismes sociaux appelle donc à une stratégie audacieuse, globale et en amont pour répondre aux inégalités sociales de santé. Ces politiques volontaristes ont déjà prouvé leur efficacité aux États-Unis. En effet, la diminution des concentrations en particules fines (PM2.5) dans ce pays entre le début des années 1980 et le début des années 2000 s’est accompagnée d’une amélioration de l’espérance de vie, avec un gain de plus de sept mois d’espérance de vie. Cette prise de conscience américaine a émergé sous la pression des mouvements pour les droits civiques qui définissent une justice environnementale comme « le traitement équitable des gens de toutes races, cultures et revenus dans le développement des règlements, lois et politiques environnementales ».

À l’échelle européenne, le Royaume-Uni a initié un plan d’action transversal qui saisit chaque aspect des inégalités en mobilisant l’ensemble des ministères, mais aussi local pour s’adapter aux problématiques spécifiques des zones concernées. Dans cette optique, Anne Hidalgo et Patrick Ollier ont souhaité la création de l’Observatoire mondial de la pollution de l’air qui rassemble un réseau international de métropoles afin de partager des connaissances sur la pollution de l’air et des « bonnes pratiques ».

À travers les exemples de la qualité de l’air et de la nutrition, on mesure à quel point l’accès à l’information se révèle être une clé pour comprendre ces inégalités. La prévention et la proximité entre le médecin et son patient permettraient d’anticiper et de détecter ces inégalités dès l’enfance. Cette démocratisation permettrait de lutter durablement dans l’émergence et surtout la reproduction des inégalités et ainsi garantir l’égalité des soins.  

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