Les Français et l’Assemblée nationale : perception du mandat et du travail des députés

Comment les Français perçoivent-ils leurs députés ? L’Assemblée nationale a missionné la Fondation Jean-Jaurès et la Fondapol pour réaliser une enquête sur la perception du mandat et du travail des députés. Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, livre son analyse des résultats de cette enquête.

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Beaucoup d’enquêtes d’opinion produisent un nombre de données considérable – au risque de laisser in fine le lecteur désemparé.

Pour de bonnes raisons, l’enquête commandée par l’Assemblée nationale à l’institut CSA encourt davantage encore ce risque : l’échantillon (4 500 personnes interrogées) et le périmètre retenus (le territoire métropolitain mais aussi les DROM) invitent à se plonger dans d’infinies ventilations – au risque de perdre la vision d’ensemble.

Dans ces dizaines de milliers de données, soyons donc sélectifs, hyper-sélectifs même, choisissons les neuf qui paraissent les plus éclairantes et ordonnons-les, pour commencer, sans autre sens que l’ordre croissant :

  • 13% des Français comprennent le mécontentement contre les députés – qu’il se manifeste sur les réseaux sociaux ou jusqu’à leurs permanences et domiciles ;
  • 34% des Français estiment qu’il faudrait que l’Assemblée nationale dispose de davantage de pouvoirs – quand 16% défendent l’opinion opposée ;
  • 44% des Français ont confiance dans l’Assemblée nationale ;
  • 50% des Français connaissent, ou disent connaître, le nom de leurs députés ;
  • 50% des Français également sont satisfaits du travail de leurs députés ;
  • 59% des Français estiment que l’Assemblée nationale joue un rôle utile ;
  • 61% des Français ont le sentiment de ne pas être bien informés des travaux de l’Assemblée nationale ;
  • 70% des Français attendent des députés qu’ils se consacrent prioritairement au local ;
  • 73% des Français considèrent que le non-cumul des mandats est une bonne chose.

Cette sélection est évidemment discutable. Elle est, surtout, insuffisante parce que les chiffres ne disent rien par eux-mêmes. D’une part, il faut caractériser ces données – c’est-à-dire les mettre en perspective pour permettre de distinguer ce qui est positif et négatif, ce qui est attendu et inattendu. D’autre part, plus difficile encore, il faut interpréter ces données – c’est-à-dire leur trouver un sens en établissant les causalités sans lesquelles il est vain d’espérer tirer des conclusions opératoires.

Caractériser

Ce qui est attendu

Pour qui suit les évolutions de l’opinion publique, il y a au moins trois données qui sont tout sauf surprenantes.

Le niveau de confiance envers l’Assemblée nationale 44% – est moyen. Ce niveau ne varie guère depuis plusieurs années, inférieur à celui des services publics, des institutions du local (maire, PME) ou des grandes institutions régaliennes (armée, police) mais supérieur à celui des syndicats, des médias ou des partis politiques.

Le soutien au non-cumul des mandats – 73% – est massif. Là encore, il ne se dément pas depuis de nombreuses années et l’application concrète pour la première fois du non-cumul à l’Assemblée nationale élue en 2017 n’a en rien modifié cette constante : les Français considèrent qu’il n’est plus possible d’exercer correctement deux mandats à la fois.

L’approbation de la violence envers les députés demeure marginale – 13% – et est même inférieure au pourcentage de Français qui considèrent, enquête après enquête, que la violence est « un moyen légitime pour faire valoir ses revendications ». Mais le fait que 60% des Français disent « comprendre » cette violence témoigne aussi d’un climat incandescent et, depuis le mouvement des « gilets jaunes », l’empathie spontanée d’une partie importante de la population envers ceux dont la colère bascule dans la violence.

Ce qui est positif

Les chiffres concernant les députés comme personnes sont encourageants.

C’est vrai du taux de notoriété – 50% – alors même que la moitié des Français seulement déclare aujourd’hui s’intéresser à la politique et que les députés élus en 2017 se sont singularisés par un renouvellement inédit dans l’histoire de la Ve République.

C’est vrai aussi du taux de satisfaction – 50% également – si on le compare à celui que peuvent connaître les responsables politiques nationaux et alors même que la question posée ne concernait évidemment pas « leur » député mais « les » députés.

Ce qui appelle à la vigilance

Les chiffres concernant l’Assemblée nationale comme institution méritent une attention particulière.

Ils soulignent d’abord que les Français sont moins nombreux, substantiellement moins nombreux, à juger l’Assemblée nationale « utile » : certes, une majorité partage ce point de vue (59%) mais, si l’on compare ce résultat à celui de l’enquête réalisée en 1985 (80%) et que l’on songe au rôle de l’Assemblée nationale dans notre histoire et dans notre démocratie, ce pourcentage est alarmant, d’autant qu’il existe des écarts substantiels (jusqu’à 18 points) entre les régions.

Les chiffres soulignent ensuite que les Français sont très nombreux (70%) à estimer que les députés doivent prioritairement se préoccuper du local – c’est-à-dire, on le voit dans l’enquête, à la fois du traitement des dossiers locaux et des requêtes des citoyens. Là encore, on voit l’évolution par rapport à 1985 (le chiffre était à l’époque de 58%) alors même que le cumul des mandats est désormais interdit.

Ils soulignent enfin que les Français disent majoritairement (61%) se sentir « mal informés » des travaux de l’Assemblée nationale – alors que 30% d’entre eux, ce qui est beaucoup, disent avoir eu un contact direct avec leur député, dans le même temps – et c’est sans doute l’essentiel –, la place de l’Assemblée nationale dans le débat public s’est érodée, et ce malgré la création d’une chaîne d’information parlementaire.

Interpréter

Pour tenter d’interpréter plus largement ces résultats, il peut être utile de les resituer dans leur contexte pour esquisser les chemins qui pourraient être empruntés à l’avenir.

Le contexte : la démocratie à l’état gazeux

Nous avons connu, dans les années 1980, c’est-à-dire lorsque la précédente enquête sur l’Assemblée nationale a été conduite, une démocratie à l’état solide. À l’état solide, la démocratie, comme la matière, a une forme et cette forme était le clivage gauche-droite – un clivage présent sur tous les sujets de politique publique et jugé pertinent par les Français. À l’état solide, la démocratie est marquée par sa stabilité et les comportements électoraux par leur fidélité.

Nous sommes passés, au tournant des années 2000, de la démocratie à l’état solide à la démocratie à l’état liquide. Le clivage gauche-droite reste structurant électoralement mais il est de plus contesté, relativisé, transcendé et les comportements électoraux deviennent plus mobiles.

Nous sommes entrés, depuis 2017, dans un nouvel âge : la démocratie à l’état gazeux et cet état gazeux a, au-delà de son instabilité, deux propriétés principales dont on voit les manifestations dans les résultats de l’enquête.

Première propriété : il est informe, c’est-à-dire qu’il n’y a plus un clivage qui permette à lui seul de donner une grille de lecture des débats qui traversent la société. Ce faisant, les débats nationaux devenant plus illisibles, on voit s’accentuer un double glissement : les députés sont davantage encore assignés par les citoyens à leur fonction locale au détriment de leur fonction nationale et ce sont leurs qualités personnelles qui sont privilégiées (honnêteté, écoute, proximité, disponibilité) par rapport à leurs qualités politiques (compétence, efficacité).

Deuxième propriété : l’état gazeux est explosif et on voit là l’importance de la défiance, le moindre intérêt pour la politique, l’ambivalence dans le rapport à la violence – et l’enquête montre une nouvelle fois combien le soutien au « gilets jaunes » ou le refus de la vaccination amplifient ces tendances.

Les chemins

Il est tentant de lire les résultats de cette enquête au prisme des contradictions des Français… Comment peut-on à la fois considérer que le rôle de l’Assemblée diminue mais que ses pouvoirs ne doivent pas changer ? Comment peut-on à la fois souhaiter que le député s’ancre davantage encore dans le local mais sans lui donner les moyens d’y peser réellement ?

Ces contradictions existent mais il semble possible de les dépasser dès lors que deux conditions sont cumulativement réunies.

Il faut, d’une part, faire un choix, un choix dont les termes n’ont rien de nouveau et sur lesquels la théorie politique s’est partagée depuis plus de deux siècles. Le député est-il un représentant de son territoire ou un représentant de la nation. Dit autrement, entre le local et le national, que privilégie-ton ?

Il faut, ensuite, assumer de manière cohérente les conséquences de ce choix.

Si l’on met l’accent sur le député « représentant du territoire », alors peut-être faut-il donner aux députés des moyens permettant de peser et d’agir localement – et cela amène à revisiter des décisions prises sous la législature précédente comme le non-cumul des mandats ou sous cette législature comme la suppression de la réserve parlementaire. Cela oblige en tout cas à repenser en profondeur la fonction du député.

Si, à l’inverse, on met l’accent sur le représentant de la nation, alors il faut redonner du pouvoir à l’Assemblée nationale – c’est un moyen de convaincre à nouveau de l’utilité de l’Assemblée nationale et de redonner une centralité perdue aux députés. C’est aussi peut-être à terme le moyen d’inverser la spirale sans fin dans laquelle nous sommes englués : les Français doutant de l’utilité de l’Assemblée comme institution réclament une présence accrue de leurs députés comme personnes ; les députés sont moins présents et donc moins influents et les Français doutent davantage encore de l’utilité de l’institution…

Il ne s’agit évidemment pas de penser ni d’espérer que l’une des fonctions des députés efface l’autre : les deux doivent et peuvent coexister comme elles l’ont toujours fait. La question est de savoir où placer l’accent aujourd’hui pour répondre aux difficultés que cette enquête met une nouvelle fois en lumière. La réponse tient pour partie dans les convictions de chacun, mais l’enquête permet de mieux comprendre les causalités, et les enjeux. On mesure combien il est urgent de donner à l’Assemblée à la fois davantage de visibilité et davantage de pouvoirs. Davantage de visibilité, car 74% des Français qui ont le sentiment d’être bien informés jugent l’Assemblée nationale utile. Davantage de pouvoirs, car ceux qui jugent l’Assemblée nationale inutile sont les plus nombreux à souhaiter qu’elle dispose de pouvoirs accrus (15 points au-dessus de la moyenne).

Espérons que ces débats nourriront les débats de la prochaine élection présidentielle et que cette enquête y contribuera !

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