La crise des « gilets jaunes » a mis notamment en avant les fractures territoriales et les préoccupations de ce qu’on appelle aussi « la France périphérique » posant la question de l’égalité d’accès aux services publics en zone rurale. Gwendoline Lefebvre, membre de la direction de Femmes solidaires et présidente du Lobby européen des femmes, se penche plus particulièrement sur la situation des femmes vivant en zone rurale, qui sont plus touchées par la précarité et davantage invisibilisées.
Femmes solidaires est un mouvement féministe, d’éducation populaire et laïque. Nos militantes sont engagées dans 190 antennes et comités dans toute la France. Près de 40 % d’entre elles habitent dans des zones rurales et connaissent donc bien les situations vécues par les femmes dans cet environnement.
Santé
Globalement, l’accès à la santé est limité. Dans l’Indre, nos militantes font état d’une pénurie de médecins généralistes. Les rendez-vous avec des spécialistes sont soumis à des temps d’attente très longs : entre six et huit mois en fonction des spécialités.
Le 19 octobre 2018, la fermeture de la maternité du Blanc dans l’Indre a été votée, faisant de la maternité de Châteauroux la seule de tout le département. Les femmes doivent faire 60 kilomètres pour accoucher : les femmes précaires, seules ou nécessitant une intervention urgente seront ainsi effectivement exclues de l’accès à un hôpital. Les fermetures de maternités se multiplient dans les zones rurales ou semi-rurales : dans l’Eure, dans le Valenciennois, en Picardie…
Si notre système de protection sociale s’applique à toutes et à tous, l’accès au système de soins en France est conditionné au lieu de résidence. Les départements de l’Ain, du Jura, de l’Yonne, de l’Eure, de la Nièvre, de la Mayenne et de la Creuse ne bénéficient ainsi d’aucun gynécologue médical.
Concernant également la santé sexuelle et reproductive, on peut relever que les centres de planification familiale sont distants et peu nombreux dans les zones rurales ; l’information disponible sur la santé sexuelle et reproductive est concentrée chez les infirmières scolaires (quand de tels postes existent) ou les médecins généralistes, parfois peu enclins à diffuser certaines informations à leurs patientes et globalement peu consultés sur ces sujets par les femmes en raison du coût de la consultation et de la distance.
Violences faites aux femmes
Les femmes vivant en milieu rural sont souvent confinées à l’espace domestique. Lorsqu’elles sont victimes de violences, elles subissent d’autant plus cet enclavement. Quand les violences ont lieu dans un contexte intrafamilial, la possibilité pour ces femmes de s’en extraire est amoindrie par les multiples contraintes géographiques et financières auxquelles elles font face. Entre 44,6% et 55,5% des féminicides ont lieu dans l’espace rural.
Les femmes restent pénalisées par l’isolement social et géographique qui restreint la libération de leur parole. Elles ont aussi des difficultés à accéder aux unités médico-judiciaires. Ces unités médicales sont celles dans lesquelles les violences, dont les viols, sont constatées par des spécialistes.
Autonomie financière
Dans les zones rurales, l’emploi féminin est souvent peu qualifié et/ou à temps partiel non souhaité, et/ou un travail saisonnier, et/ou un travail « éparpillé » (par exemple aide-ménagère avec de multiples employeurs disséminés sur une dizaine de kilomètres et qu’il faut parfois accompagner dans leurs déplacements).
Lorsque les deux membres du couple (dans un couple homme-femme) se retrouvent au chômage, c’est l’homme qui commence par chercher du travail. La femme reste à la maison, s’occupe des enfants. C’est un retour de la femme au foyer. On voit se développer les emplois d’assistantes maternelles, souvent en lien avec l’absence de systèmes publics collectifs de garde des enfants ; cela signifie aussi pour les femmes un retour et un maintien dans l’espace privé.
L’accès à un emploi reconnu et justement rémunéré est crucial, notamment pour l’émancipation des femmes. En ruralité, cet accès est soumis à plusieurs contraintes : le peu d’emplois disponibles (et leur faible variété), le coût des modes de garde lorsque les familles ont des enfants et d’une manière générale le poids financier des déplacements. Lorsqu’un sacrifice financier est nécessaire, il repose souvent sur les femmes : la pression communautaire et familiale d’arrêter de travailler pour s’occuper des enfants est forte et fragilise leur capacité à choisir pour elles-mêmes.
On peut aussi évoquer la situation des femmes agricultrices dont les revenus sont souvent très bas.
Nous constatons que la grande pauvreté contraint des femmes même très âgées à accepter des petits travaux (ménage, couture…) pour compléter une retraite largement insuffisante. Les agricultrices retraitées, dont le statut n’a été reconnu que très tardivement, sont durement impactées par cette paupérisation.
Déplacements
La possibilité de se déplacer pour les femmes est une autre clef de leur autonomie : là où il y a des transports en commun accessibles, il y a des femmes qui vivent plus librement.
En zone rurale, la fréquence et les horaires de ces transports, lorsqu’ils existent, ne correspondent actuellement pas aux besoins en déplacement des femmes. La possession et l’utilisation d’un véhicule personnel sont soumises à des contraintes financières importantes, affectant particulièrement les femmes à faibles revenus. Les freins à la mobilité des femmes impactent tous les domaines de la vie : l’accès à la santé, à l’éducation, à un emploi, aux loisirs, aux services publics, etc.
Conclusion
Pour faire face aux défis que rencontrent les femmes vivant en zone rurale, les solutions sont sans équivoque : l’État doit injecter des moyens dans les services publics, développer le réseau de transports, aider localement à la création d’emploi de qualité et à la réouverture d’écoles et de crèches, contribuer à la création de centres intercommunaux de santé avec des pôles dédiés à la santé sexuelle et reproductive. S’attaquer aux difficultés des femmes rurales, c’est affronter le problème de la précarité et de l’isolement. Car cet isolement concourt au développement des idées réactionnaires, entretenues par certains partis politiques. Il est donc urgent de le rompre.
* Ce texte est tiré de l’intervention de Gwendoline Lefebvre au cours du parallel event « Les femmes en situation de vulnérabilité et de pauvreté: quels accès aux services publics et à la protection sociale? » qui s’est tenu le 13 mars 2019, dans le cadre de la 63e Commission de la condition de la femme à l’ONU à New York, en partenariat avec la CLEF, Femmes pour le dire, femmes pour agir, Women Enabled International, la Fondation du Dr Denis Mukwege, Femmes solidaires et la FEPS.