Alors que le président de la République a appelé au lancement de « conventions démocratiques » lors de son discours sur l’Europe à la Sorbonne, Claudia Chwalisz, consultante à Populus, revient sur cette forme de démocratie participative déjà expérimentée dans d’autres pays, comme au Canada et en Australie. L’occasion d’impliquer davantage les citoyens dans les processus décisionnels touchant toutes les politiques publiques.
Emmanuel Macron a promis le renouvellement politique – un grand coup de balai dans les couloirs de l’Assemblée nationale avec « le retour de la société civile à la politique ». Jusqu’ici, la promesse tient ; trois tiers des parlementaires ont été élus pour la première fois. C’est un premier pas spectaculaire et encourageant. Le nouveau président souhaite également introduire une dose de proportionnelle à l’Assemblée nationale, ou encore de limiter le cumul de mandats identiques dans le temps. Or la démocratie va au-delà des élections et de la réforme des institutions.
Les citoyens sont également lassés des élites qui prennent des décisions derrière des portes fermées. Des efforts pour démocratiser les décisions publiques ont été réalisés depuis longtemps. Au sein du gouvernement précédent, Axelle Lemaire avait par exemple mené une consultation en ligne innovante pour rédiger sa loi « pour une République numérique ». La Commission nationale du débat public (CNDP) veille à ce que le point de vue des citoyens soit pris en compte dans les grands projets d’aménagement. Mais le plus souvent ces efforts de consultation et de transparence passent inaperçus du grand public.
Au lieu de poursuivre dans la même voie avec les mêmes outils, le nouvel exécutif pourrait s’appuyer sur une ressource qui, jusqu’à présent, a été sous-utilisée : l’intelligence collective des citoyens. Pas au moyen d’un référendum, dont on constate régulièrement les effets pervers : la création de divisions exacerbées sur la base de choix binaires face à des problèmes complexes. Au contraire, il faut donner aux citoyens l’occasion de délibérer et de formuler eux-mêmes les solutions.
Emmanuel Macron, avec son mandat pour changer la vie politique, dispose d’une immense opportunité pour améliorer la façon dont les décisions publiques sont prises. Dans le même temps, ses projets de réformes suscitent des inquiétudes et ne font pas, aujourd’hui, l’objet d’un consensus minimal. Le recours aux ordonnances pour réformer le marché du travail envoie un signal contradictoire.
Des conventions citoyennes, qui engageraient des Français tirés au sort, mais représentatifs de la société, dans des délibérations de longue durée, et qui prendraient le temps d’identifier des éléments de diagnostic et des solutions communes, élargiraient non seulement l’horizon démocratique, mais pourraient faciliter l’élaboration des décisions. Au-delà de la consultation du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et des instances paritaires, des réformes telles que celles, souhaitées par le nouveau président, de l’assurance-chômage et des retraites, pourraient bénéficier d’une telle démarche. La méthode pourrait également s’appliquer pour les « conventions démocratiques » en vue d’un nouveau traité européen.
Cette méthode est régulièrement utilisée avec succès au Canada et en Australie pour résoudre des questions complexes et sensibles. Cela nécessite toutefois de se donner le temps et les ressources nécessaires afin de permettre aux participants de réfléchir sereinement aux problèmes, de trouver un terrain d’entente et d’élaborer des solutions concrètes.
Il n’est bien entendu pas question de soumettre à la délibération citoyenne toutes les décisions gouvernementales et tous les projets de loi. Mais les conventions citoyennes prouvent leur efficacité quand il s’agit de résoudre des dilemmes politiques qui requièrent un consensus minimal et une forme de compromis.
Une cinquantaine d’expériences au Canada et en Australie le démontre bien. Les situations dans lesquels un groupe de citoyens tirés au sort a joué un rôle important incluent, entre autres, l’élaboration du cadre budgétaire à dix ans de la ville de Melbourne ($5 milliards AUD, soit 3,4 milliards d’euros) ; la révision de loi sur le logement de la province d’Ontario ; la stratégie contre l’obésité de l’État de Victoria ; les règles encadrant l’utilisation des données privées lors de l’introduction de nouvelles cartes d’identité de la province de British Columbia ; et le plan d’action national pour améliorer la santé mentale au Canada.
Tous ces cas suivent une procédure similaire. Une cinquantaine de citoyens tirés au sort se réunissent plusieurs fois pendant deux à quatre mois. Après une phase d’écoute et d’échange avec des experts, ils délibèrent et parviennent à un consensus. Ils formulent ensuite des recommandations concrètes, mesurables, réalistes et limitées dans le temps. Les autorités qui ont installé la convention citoyenne répondent directement à toutes les recommandations. Dans le cas des exemples cités plus haut, la plus grande partie des recommandations a été acceptée et mise en place, ce qui témoigne de la rigueur du processus et de la force des idées produites.
Tout le monde est gagnant : les responsables politiques bénéficient de recommandations concrètes les aidant à surmonter des problèmes complexes et politiquement sensibles ; et les citoyens qui sont placés en situation de responsabilité gagnent une voix significative dans l’élaboration des décisions.
Emmanuel Macron sait que son programme ne sera pas facile à mettre en œuvre. Les forces d’opposition sont déjà mobilisées, et attendent au tournant le premier échec gouvernemental. Afin d’éviter d’être bloqué très rapidement, il pourrait s’appuyer sur ces formes d’innovation démocratique encore peu testées en France.