L’élection du pape François est la première à couronner un pape latino-américain et confirme que la présence chrétienne migre vers les Amériques. Roland Dubertrand analyse la manière dont le catholicisme a progressivement marqué l’Amérique latine et les défis actuels d’une Eglise confrontée à des concurrences nouvelles.
L’élection d’un pape sud-américain ne devrait rien avoir d’étonnant car aujourd’hui l’Amérique latine regroupe 43 % des catholiques du monde entier, soit 480 millions de fidèles sur 1,2 milliard, et le Nouveau Monde dans son ensemble 50 % (contre 25 % en Europe). La présence chrétienne migre vers les Amériques.
Le passé : ombres et lumières d’une Eglise omniprésente
Un aspect déterminant de la colonisation espagnole et portugaise dans le Nouveau Monde fut que la Papauté accepta de confier officiellement la mission de l’évangélisation aux puissances coloniales, mandat connu sous le nom de « patronato ». Les Rois proposaient ainsi les évêques et contrôlaient par-là même le clergé local, qui n’était rattaché alors à Rome que par leur intermédiaire, situation que la Papauté avait pourtant en principe toujours combattue. Ce fut en outre le pape Alexandre VI Borgia qui, par le traité de Torsedillas en 1494, délimita les zones d’influence entre les deux puissances rivales. Autant dire que la collaboration entre pouvoir temporel et spirituel a été fort étroite. Mais il y eut néanmoins un esprit de résistance chrétien à la logique de domination et d’oppression.
Après les changements structurels intervenus dans les années 1950-1960, la modernisation et l’urbanisation ayant débuté dès la fin du XIXème siècle, est venue l’époque de la montée de la gauche révolutionnaire, suite à la Révolution cubaine de 1959, puis celle de la répression et des dictatures militaires. L’Eglise va se diviser autour de la question de l’engagement politique et social et de la théologie de la libération. Le contexte politique des années 1980-1990, marqué par la démocratisation du sous-continent (à quelques exceptions près et selon des rythmes différents) et la sortie progressive de la violence politique, diffère nettement alors de celui des années 1960-1970.
Les défis actuels de l’Eglise : vers une nouvelle mission ?
L’Eglise catholique est confrontée, du Rio Grande à la Terre de Feu, à plusieurs défis redoutables : la concurrence évangélique, la sécularisation et les divisions internes, défis qui ne manquent pas de préoccuper ses dirigeants et le Saint-Siège. Les courants évangéliques et néo-pentecôtistes se développent rapidement à partir des années 1950 et surtout 1970. L’impact de la mondialisation des idées et des modes de vie accentue le phénomène de sécularisation déjà en cours, tant au niveau des Etats qu’à celui de la vie sociale. De plus, le combat contre la théologie de la libération a laissé des traces (communautés de base désavouées ou dissoutes, baisse de la pratique religieuse).
Avec le retour de la démocratie, le phénomène de « désinstitutionalisation » de l’Eglise catholique s’est poursuivi et les liens avec les pouvoirs officiels distendus. L’avenir nous dira si le catholicisme latino-américain appuyé par le nouveau pape aura l’énergie et la constance de déployer une nouvelle stratégie et de contrecarrer ainsi la menace du déclin.