L’élection présidentielle a donné le coup d’envoi d’une recomposition politique souhaitée par le président de la République Emmanuel Macron. Désormais, c’est la question de l’espace politique que le Parti socialiste et Les Républicains sauront conserver ou non, et donc de leur utilité politique et de leur avenir, qui est posée. À ce titre, les élections législatives de juin vont revêtir une importance cruciale. Analyse par Chloé Morin, directrice de l’Observatoire de l’opinion, en partenariat avec le Huffington Post.
L’élection présidentielle a donné le coup d’envoi d’une recomposition politique souhaitée par le président de la République Emmanuel Macron, d’une ampleur sans doute inédite dans l’histoire politique récente. Pour la première fois, les candidats des deux partis de gouvernement totalisent moins de 30% des voix au premier tour (pour mémoire, Lionel Jospin et Jacques Chirac avaient recueilli 36,06% à eux deux en 2002). Derrière les polémiques qui agitent les députés des deux « ex-partis de gouvernement » depuis le soir du second tour sur la ligne à suivre, c’est la question de l’espace politique que le Parti socialiste et Les Républicains sauront conserver ou non, et donc de leur utilité politique et de leur avenir, qui est désormais posée. À ce titre, les élections législatives de juin vont revêtir une importance cruciale.
La question de l’avenir du Parti socialiste s’est en réalité posée dès le soir du premier tour de l’élection présidentielle, puisque les trois quarts des sympathisants PS, et plus de 80% des électeurs de François Hollande en 2012, ont alors voté pour un autre candidat que le candidat socialiste. Même si 12% des Français se déclarent toujours « socialistes » (comme mesuré quotidiennement par le rolling Ifop-fiducial pour Paris Match, CNews et Sud Radio ces derniers mois), ils ont considéré que le candidat de leur parti de cœur n’était pas le plus à même de porter leurs idées jusqu’à l’Élysée. La cacophonie, constatée ces derniers jours chez les députés et responsables du Parti socialiste, n’est à ce titre que l’écho de la dispersion de leur électorat.
Mais cette crise du PS a, en réalité, des racines plus profondes. Elle ne naît pas d’un simple « accident » qui serait survenu lors de cette campagne présidentielle. La dynamique d’Emmanuel Macron a certes précipité l’effondrement, mais elle n’en est pas à l’origine. Le PS se trouve en effet à cheval sur une fracture qui traverse la gauche depuis le début du quinquennat, un fossé qui n’a cessé de s’approfondir. Cet éclatement idéologique de la gauche depuis cinq ans – alors même qu’une étude réalisée par l’institut Viavoice avait démontré qu’en amont de la présidentielle de 2012, les différentes sensibilités qui composaient la gauche étaient en voie de convergence – explique d’ailleurs comment les sympathisants PS ont pu « changer de candidat » si vite, et se positionner sur des offres politiques aussi différentes que celle d’Emmanuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon.
La question ne se pose, évidemment, pas dans les mêmes termes pour le PS que pour Les Républicains : forts d’un socle présidentiel d’environ 20%, conquis malgré les difficultés personnelles rencontrées par le candidat François Fillon lors de sa campagne, Les Républicains peuvent encore espérer un succès relatif en juin prochain, et ce malgré leurs propres divisions tactiques et idéologiques.
Il est à ce titre très étonnant qu’Emmanuel Macron consacre autant de temps et d’énergie à chercher à « casser en deux » le parti Les Républicains. Ces derniers, en restant unis, peuvent en effet espérer un groupe très conséquent (plus de 200 députés), voire le plus grand groupe, à l’Assemblée en juin prochain (voir à ce titre la modélisation réalisée par OpinionWay). Il est donc peu probable que la stratégie présidentielle de débauchages individuels n’entraîne d’hémorragie massive des élus LR vers la majorité présidentielle – du moins pas avant les législatives. Par ailleurs, il n’est pas certain qu’Emmanuel Macron lui-même, compte tenu de la composition de son socle électoral, ait intérêt à accorder autant de temps et d’énergie à séduire la droite. Les discussions d’appareil, surtout lorsqu’elles semblent être des diversions politiciennes pour masquer les « vrais sujets », n’ont réussi ni à son prédécesseur, ni à certains de ses concurrents (comme ce fut le cas pour Benoît Hamon suite à la primaire du PS).
Est-ce que les électeurs socialistes qui se sont détournés de Benoît Hamon dès le 23 avril iront au bout de leur logique, en considérant plus utile de voter France insoumise pour s’opposer à Emmanuel Macron, ou bien La République en marche ! lorsqu’ils souhaitent soutenir l’action du président ? Ou est-ce que l’appartenance à la « famille » socialiste va reprendre le dessus à l’occasion des élections législatives ? À ce sujet, l’observation des évolutions des sympathies partisanes déclarées (Ifop) depuis quelques semaines apporte deux éléments éclairants, même si cela ne permet pas trancher tout à fait la question :
- le nombre de sympathisants LR est, à ce jour, bien supérieur à ce que représentent les sympathisants PS (18%, contre 12% pour le PS, dans la mesure effectuée par l’Ifop au soir du second tour de la présidentielle). On note d’ailleurs qu’au cours de la campagne présidentielle, marquée par les affaires qui ont touché François Fillon, le taux de sympathisants LR avait diminué de 2 à 3 points. Mais au soir du second tour de la présidentielle, et malgré l’absence de candidat de droite au second tour, ce niveau de « sympathisants déclarés » est revenu à ce qu’il était avant les premières révélations du Canard enchaîné ;
- le taux de sympathisants socialistes atteint aujourd’hui des niveaux historiquement bas, avec un effondrement particulièrement marqué au cours des six derniers mois : ils étaient encore 17% en décembre dernier, ils ne sont plus que 12% au soir du second tour de la présidentielle.
Il semblerait d’ailleurs que nous soyons en train d’assister à un remplacement de cette sensibilité par celle d’En Marche ! : crédité de 5% en février dernier, ce parti qui a tout juste un an rassemble désormais 8% des Français (voire plus de 10% dans les mesures effectuées par d’autres instituts de sondage). Mais le PS n’est pas seul à pâtir du bouleversement de l’offre électorale : par exemple, l’UDI ne représente plus que 3% (-1 point) et le MoDem 4% (-2 par rapport à septembre dernier).
Le problème qui se pose au Parti socialiste, à l’heure de lancer sa campagne pour les législatives, est bien celui de l’espace politique et du positionnement qui doivent et peuvent être les siens. Y a-t-il une place, dans les cinq ans qui viennent, pour une force politique qui ne serait ni en opposition franche à la politique du nouveau président de la République, ni dans le « suivisme » ? Le PS semble en effet avoir triplement perdu le monopole du vote utile : à la fois le vote utile dont il est historiquement le détenteur à gauche depuis François Mitterrand – en l’occurrence, celui qui permettait aux sympathisants de gauche d’éviter un second tour Fillon/Le Pen –, mais aussi, dans la perspective des législatives, le vote le plus utile à la réussite du président, et le vote le plus utile à la contestation de sa politique.
Il existe, au sein du Parti socialiste, deux analyses concurrentes : certains pensent que le poids des appartenances partisanes, des ancrages locaux, et peut-être même les premières déceptions du quinquennat d’Emmanuel Macron inciteront les électeurs socialistes à « rentrer à la maison ». Ils prônent alors une offre « socialiste » autonome. D’autres, au contraire, estiment qu’il n’y aura de salut que dans un soutien ou une opposition franche au président élu: qu’ils rejoignent la majorité, ou qu’ils cherchent à nouer des alliances à leur gauche, chacun à sa manière ne ferait qu’acter la mort du Parti socialiste.
À l’occasion de cette élection présidentielle « hors norme », la Fondation Jean-Jaurès s’associe au Huffington Post pour apporter son éclairage sur la campagne électorale : rapport de forces, thèmes et enjeux structurants, opinion des Français. La Fondation mobilise un certain nombre de chercheurs et de personnalités pour fournir des analyses jusqu’au scrutin, et après.