À l’issue des élections législatives au Royaume-Uni, Renaud Thillaye décrypte, en partenariat avec La Croix, des résultats en forme de revers pour la Première ministre Theresa May. En l’absence de majorité absolue, celle-ci sort affaiblie de ce scrutin, réduisant ses marges de manœuvre en vue des négociations pour le Brexit.
Le Royaume-Uni se retrouve aujourd’hui sans direction claire, à dix jours de l’ouverture de négociations cruciales pour la sortie de l’Union européenne. La Première ministre Theresa May se maintient au pouvoir bien que considérablement fragilisée. Le contraste avec la France, en passe de donner à Emmanuel Macron une majorité absolue, est saisissant.
Il est trop tôt pour expliquer avec autorité les raisons ayant conduit au résultat indécis du vote d’hier. Il était cependant établi, depuis plusieurs semaines, que Theresa May réalisait une mauvaise campagne, hésitante, peu inspirée, alors que les attentats de Manchester et de Londres auraient pu lui bénéficier. Au contraire, Jeremy Corbyn s’est révélé en net progrès, plus sûr de lui, et rassurant pour de nombreux électeurs qui ne voyaient en lui qu’un extrémiste de gauche, « ami des terroristes ».
Le haut niveau de participation (70%) par rapport aux scrutins précédents a vraisemblablement joué en faveur des travaillistes. Plus d’un million de jeunes (18-24 ans) se sont inscrits sur les listes électorales entre le 18 avril, date à laquelle les élections ont été annoncées, et le 22 mai 2017, date limite des inscriptions. Or Jeremy Corbyn était de très loin le candidat préféré des jeunes. Cela ne signifie pas pour autant que les travaillistes ont trouvé la clé du succès à gauche. Ils n’ont d’ailleurs pas gagné cette élection.
Une absence de majorité absolue pour Theresa May
La seule leçon qu’il soit possible de tirer à ce stade est que l’on ne joue pas impunément avec la démocratie. En décidant de convoquer des élections anticipées au moment où les sondages lui donnaient 20 points d’avance, Theresa May a trahi une promesse maintes fois répétée que la Chambre des Communes élue en 2015 irait à son terme. Comme la dissolution de l’Assemblée nationale initiée par Jacques Chirac en 1997, la ficelle était un peu grosse. La Première ministre n’a pas convaincu les électeurs britanniques de lui confier une plus large majorité car elle n’a pas su donner un sens à ces élections. Souhaitait-elle une nouvelle orientation politique ? À quelques ajustements près, son programme proposait de poursuivre ce qu’elle avait entamé en juillet 2016. Demandait-elle un mandat de négociation plus clair en vue des négociations du Brexit ? On ne sort pas de cette campagne plus éclairé sur ses réelles intentions en la matière. La nature ayant horreur du vide et du flou, ses opposants ne pouvaient qu’en profiter.
Un nouveau gouvernement avec quelle majorité ?
Cette situation inattendue présente trois inconnues, que les développements de ces prochains jours ne pourront que partiellement lever. La première concerne la majorité sur laquelle s’appuiera le futur gouvernement, et ses chances de longévité. Theresa May a fait part de son intention de rester à son poste, en disposant du soutien des unionistes nord-irlandais. Il est probable qu’elle y parvienne. L’idée d’une coalition progressiste réunissant travaillistes, libéraux-démocrates et nationalistes écossais paraît déjà exclue. Non seulement ils ne disposent pas, ensemble, d’une majorité à la Chambre des Communes, mais leurs positions et intérêts divergent trop fortement. Or il y a fort à parier qu’un nouveau gouvernement May ne tienne pas très longtemps. À la moindre mise en minorité, la Première ministre sera conduite à la démission. Si aucun leader n’émerge et ne fait consensus, de nouvelles élections dans les mois à venir ne sont pas totalement exclues.
Avec quel programme ?
La seconde inconnue concerne le programme du futur gouvernement. Le désaveu subi par les conservateurs conduira sans doute à des concessions vis-à-vis des travaillistes. Dans quel domaine ? Jusqu’à quel point ? Le programme économique et social de Theresa May comportait déjà de nombreuses mesures classées à gauche, comme la représentation des salariés au sein des conseils d’administration, et le contrôle de tarifs du gaz et de l’électricité. La Première ministre abandonnera-t-elle la baisse prévue de l’impôt sur les sociétés afin de financer de nouvelles dépenses, notamment pour renforcer les effectifs de police ou consolider le Service national de santé (NHS)? Cherchera-t-elle à envoyer un signal à la jeunesse, si clairement hostile aux conservateurs ? Ces hésitations et revirements ne plairont sans doute pas aux marchés, et cela pourrait contribuer à ralentir l’activité.
Quelles conséquences sur les négociations du Brexit ?
Enfin, la dernière inconnue concerne l’effet de ce résultat sur les négociations du Brexit. Theresa May souhaitait sortir de ces élections avec un mandat clair en faveur d’un Brexit dur, consistant à sortir du marché intérieur, de l’Union douanière et de la juridiction de la Cour de justice européenne. Ses homologues européens ne voyaient pas forcément d’un mauvais œil cette perspective : forte d’une large majorité, Theresa May aurait eu des marges de manœuvre pour faire des concessions. La discussion aurait été franche, mais elle se serait tenue sur des bases solides.
Tout va désormais dépendre de la façon dont Theresa May et ses soutiens parlementaires interprètent le vote du 8 juin. La tentation de continuer comme s’il ne s’est rien passé sera grande, comme l’indiquait en filigrane la brève déclaration de Theresa May après son entrevue avec la Reine vendredi midi. Or cette stratégie est dangereuse : sous la pression d’un groupe parlementaire resserré, elle risque de durcir encore plus son discours. Le risque d’un échec des négociations, et d’une sortie sèche du Royaume-Uni de l’Union européenne, synonyme de rétablissement de droits de douane, est un peu plus élevé aujourd’hui. Une voie alternative serait de faire des concessions au camp pro-européen, en révisant les objectifs avancés lors du déclenchement de l’Article 50. Les travaillistes prônent entre autres de rester dans l’Union douanière, et ont une position moins ferme sur la liberté de circulation. Mais il faudra sans doute d’autres soubresauts dans la politique intérieure pour en arriver là.