L’écoute des citoyens : levier de la confiance au service du projet départemental

Pour l’Observatoire de l’expérimentation et de l’innovation locales de la Fondation et Solutions solidaires, Fabien Bazin, président du Conseil départemental de la Nièvre, revient sur la nécessité d’une meilleure prise en compte des intérêts des citoyens dans la conduite des politiques publiques. Il a notamment mis en place le dispositif « Imagine la Nièvre » dans son département.

L’écoute et le dialogue, des objectifs en tant que tels pour restaurer la confiance

La démarche « Imagine la Nièvre » relève de ce qu’on appelle aujourd’hui les démarches de « démocratie participative de proximité », mais elle s’en distingue par quelques idées qui ont présidé à la méthode choisie : l’importance d’en restaurer les fondements, de changer de posture et la certitude que la légitimité du scrutin ne donne pas de plein droit la légitimité démocratique.

La légitimité du scrutin donne le droit d’impulser et de construire la légitimité démocratique.

Nous avons ainsi souhaité placer ce nouveau mandat sous le signe de l’écoute et de l’action collective, en lançant une grande consultation citoyenne au travers de larges réunions publiques avec les Nivernaises et les Nivernais pour construire ensemble le quotidien autant que l’avenir du territoire.

La démarche « Imagine la Nièvre » est tout d’abord née de la conscience que nous traversons plusieurs crises qui se juxtaposent et qui, à bien des égards, fragilisent l’édifice social et le pacte républicain.

Une crise démocratique tout d’abord

Cette crise se manifeste dans une abstention massive aux élections quelles qu’elles soient – malheureusement, le premier tour de la présidentielle n’a pas fait mentir les sondages – et trouve sa source dans une pluralité de facteurs auxquels nous ne pouvons rester sourds : le sentiment de déconnexion entre les citoyens et les « élites politiques », l’exercice de la politique « politicienne » et descendante, un pessimisme d’injustice nourri par les inégalités et le sentiment de déclassement qui s’intensifient, le monstre de la globalisation et de la financiarisation de l’économie qui semble mépriser idées, projets, engagements et solidarités de proximité au motif de l’insuffisance de leur envergure et de leurs impacts.

On constate un glissement de notre société vers la défiance populaire, le repli identitaire, le tourment rageur des lendemains qui ne chantent plus, les clivages et les désunions cultivés de façon irresponsable sur les réseaux sociaux, voire par certains médias.

Ce qu’interroge la vision des communautarismes, c’est la communauté de visions.

Quand la représentation est ainsi abaissée, c’est qu’il faut plus que jamais remettre l’ouvrage sur le métier, pour permettre de faire tomber ce qui entrave le débat démocratique, la possibilité même de vivre sa vie avec les autres et le climat de confiance autant que l’apaisement que cela présuppose.

À cette fin, des espaces de construction démocratique sont nécessaires, espaces d’autant plus malmenés depuis deux ans de crise sanitaire.

Bref, la crise démocratique n’est pas une fatalité si tant est que l’on entende cet appel à réinventer nos manières de travailler, d’écouter et de construire avec les citoyens, de rendre compte.

Par ailleurs, force est de constater qu’à cette crise démocratique, d’autres viennent s’ajouter, dessinant des enjeux d’une complexité sans précédent, des vies et des envies pétries d’injonctions paradoxales, de nouvelles politiques publiques à imaginer.

La crise de l’âge et la société de la longévité font aujourd’hui cohabiter jusqu’à cinq générations en même temps, naître de nouveaux paradigmes intergénérationnels face au travail, à la solidarité, à « l’aidance », aux modalités de prise en charge de nos aînés, à la précarisation des jeunes.

La crise climatique nous amène à repenser nos modes de production et de consommation, nos rapports aux biens communs, et de ce fait constitue autant d’opportunités qu’elle suscite des craintes si l’on ne s’attache pas à faire de la transition sociale un corollaire de la transition écologique.

La crise de l’emploi et les mutations du travail, enfin. On ne connaît pas aujourd’hui la moitié des emplois qui existeront dans dix ans, la métropolisation des emplois se heurte à un exode plus urbain que rural que la crise sanitaire a considérablement accéléré (une douzaine de métropoles françaises concentrent presque 50% des emplois, dont 22% pour la seule aire urbaine de Paris), les besoins sociaux explosent, l’ère numérique, c’est aussi l’exclusion numérique de certains…

Face à la multiplicité et la complexité de ces crises, il peut s’avérer difficile d’appréhender les situations de vie qu’elles génèrent, de réconcilier des intérêts divergents, d’apporter des réponses pertinentes quand les politiques publiques sont cloisonnées, centralisées, faites d’habitudes et de certitudes plus que d’écoute et d’innovation.

Tout est résumé dans la parole d’un jeune participant à la réunion publique du 2 mars dernier : « Ce qui me donnerait espoir, c’est qu’on nous écoute. »

C’est en proximité que s’exprime encore un intérêt pour la chose publique et l’engagement individuel.

Le département doit donc jouer son rôle de collectivité de proximité dans ce qu’il a de plus honorable et de plus prometteur : parler à chacun et faire que tout le monde se parle, restaurer l’écoute et la confiance des citoyens, rêver ensemble pour transformer, créer une vision partagée et de la valeur collective pour repenser nos villes et nos villages.

Comme l’a dit François Sureau dans son discours à l’Académie française, « Personne n’aimerait vivre dans un pays où des institutions généralement défaillantes dans leurs fonctions essentielles, celle de la représentation comme celle de l’action, se revancheraient en [nous] disant quoi penser, comment parler et quand se taire. »

Nous avons ainsi porté une attention toute particulière, d’une part, à aller chercher celles et ceux que l’on appelle les « invisibles » ainsi que l’expression de la jeunesse et, d’autre part, à construire de l’innovation commune par l’union des forces au sein du triangle magique constitué des élus, des citoyens et des agents territoriaux.

Une méthode ambitieuse au service d’un véritable projet de vie pour la Nièvre

Certaines des démarches engagées ici et là rassemblent un nombre restreint d’acteurs, souvent les plus engagés dans la vie de la cité, peinant à réellement associer l’ensemble des habitants aux décisions les concernant.

Par ailleurs, les citoyens attendent davantage que d’être ponctuellement consultés comme usagers de leur rue, de leur quartier, de leur village sur les enjeux quotidiens. Ils sont prêts et intéressés à réfléchir avec leurs élus aux questions stratégiques qui concernent l’avenir de leur territoire.

L’ambition est de réellement construire le projet stratégique et politique avec les citoyens, surtout après des mois de Covid-19 qui avaient amputé les élections des temps de rencontres, d’échanges et de débat démocratique.

Nous avons scindé la démarche en plusieurs phases.

Les deux premières sont celles de l’écoute puis du dialogue et des propositions. Celles-ci ont été engagées au dernier trimestre 2021 et se sont poursuivies jusqu’au 29 mars 2022.

La méthode est ambitieuse car elle s’appuie sur un long travail de terrain en amont des rencontres publiques pour aller chercher la parole de celles et ceux qui ne s’expriment habituellement pas.

Ainsi, une équipe a sillonné le département, allant de canton en canton, pris contact avec les réseaux formels et informels, à la rencontre des habitants, des commerçants, des agriculteurs, des jeunes de tous les âges. Elle s’est rendue dans les maisons de retraite, les résidences autonomie, les missions locales, les chantiers d’insertion, les centres sociaux pour rencontrer les bénéficiaires, les associations sportives, culturelles, etc.

C’est un immense travail immersif, à travers des échanges ciblés, personnalisés, des relances directes par téléphone pour inviter chaque personne rencontrée à venir témoigner, s’exprimer. 

Ce travail représente plus de 9000 appels téléphoniques et environ 70 réunions préparatoires pour garantir la présence de celles et ceux qui restent souvent en marge de ce type de démarche.

Cela peut paraître beaucoup, mais c’est à cette condition que chaque voix est entendue, que la démocratie participative ne donne pas lieu, de facto, à une hiérarchisation de la valeur de la parole.

C’est aussi dans cet objectif que la venue de toutes et tous est rendue possible par l’affrètement de minibus, par exemple.

La réussite d’une telle mobilisation tient évidemment au nombre de participants, mais aussi et surtout à la variété du public, garante de la qualité du débat.

Les situations de vie comme les difficultés rencontrées ne sont pas les mêmes entre Nevers et des territoires plus ruraux, entre une personne en recherche d’emploi et un télétravailleur installé de manière semi-permanente dans la Nièvre, selon que l’on dispose ou non d’un véhicule, selon l’âge que l’on a, etc.

Ce travail effectué, nous organisons une dizaine de réunions publiques sur l’ensemble du département, des territoires urbains aux territoires ruraux, de salles des fêtes en tiers-lieux, de gymnases en abbayes : quatre rencontres citoyennes se sont déroulées en février à la Charité-sur-Loire, Imphy, Arleuf et Sermoise, cinq sont organisées en mars à Vauzelles, Corbigny, Marault, Cosne-sur-Loire et Nevers.

Une réunion entière est dédiée aux jeunes qui ont rarement la parole, pour qu’eux aussi s’expriment sur leur vision du territoire, sur ses atouts, sur leurs attentes au quotidien et pour l’avenir, sur ce que le territoire peut faire pour eux et nous découvrons aussi ce qu’il y a de plus précieux : ce qu’eux veulent faire pour la Nièvre.

Ces réunions rassemblent à chaque fois entre 130 et 180 personnes, et ce malgré le froid, les vacances scolaires et la fête de la Saint-Valentin.

À l’issue de chaque rencontre se tiennent des ateliers de propositions pour approfondir les enjeux collectivement abordés en première partie de soirée.

L’éventail des sujets est large, les débats libres et ouverts, entre autres autour des conditions de vie et d’épanouissement dans le département, l’équilibre des territoires, les modèles et modalités du développement de la Nièvre, l’emploi, la formation, le cadre de vie, la mixité sociale, la vie ensemble, la transition énergétique, agricole…

Deux rapporteurs volontaires sont identifiés sur chaque atelier, ils seront mobilisés en avril pour préparer la restitution générale de la démarche à laquelle ils prendront une part active.

Nous en sommes convaincus : l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs, elle est verte d’abord là où on l’arrose ensemble.

Déjà plusieurs centaines de propositions nous sont parvenues et environ 500 sont attendues d’ici à la fin de la démarche. Elles vont venir alimenter la troisième phase, essentielle pour opérer durablement de vraies transformations.

La troisième phase est celle de l’enrichissement que nous mènerons d’avril à mai 2022.

Elle s’appuie en outre sur huit réunions supplémentaires qui font l’objet d’échanges avec les agents du département. Il est fondamental qu’eux aussi nous donnent leur ressenti sur leur travail, l’utilité et le sens qu’ils y donnent, les difficultés qu’ils rencontrent, leur vision du territoire et de son développement.

Il s’agit de mettre en discussion et de partager avec l’ensemble des services du département et les élus, autour des paroles et éléments recueillis tout au long de la démarche.

Élus comme agents du département sommes soumis à une certaine inclinaison humaine à se nourrir souvent du passé, des compétences acquises, de ce que nous connaissons et maîtrisons, plutôt que de faire un pas de côté et construire à l’aune des mutations et des attentes à l’œuvre.

Cette phase est donc une étape clé, c’est celle qui permettra de passer des rêves et des idées aux modalités de leur concrétisation. Elle est déterminante car elle donnera collectivement du sens aux transformations.

Enfin, la dernière phase sera le temps de la restitution (mi-mai 2022) avec l’organisation d’une grande rencontre publique – pas moins de 1200 personnes sont attendues. Il s’agit de passer des enjeux exprimés dans les débats et des propositions émises par les groupes de travail à des orientations et des engagements du Conseil départemental. Ils incarneront notre volonté de s’appuyer sur l’intelligence collective des Nivernaises et des Nivernais pour rassembler et faire avancer la Nièvre.

Cela demandera du temps et de l’engagement car nous voyons déjà que l’un des enseignements clés est le sentiment aigu que l’empilement des dispositifs, si importants soient-ils pris isolément les uns des autres, ne remplace pas la construction des projets de vie des citoyens.

Nous sentons aussi qu’ils veulent inscrire leurs projets de vie dans celui d’un territoire dont ils sont parties prenantes.

Et la suite ?

Les Nivernaises et les Nivernais qui se sont exprimés identifient des éléments de blocage au développement du département, mais aussi de fort potentiel pour son avenir. De prime abord, des paradoxes, mais qui traduisent avant tout leurs inquiétudes et leurs espoirs : d’un côté, la crainte que la Nièvre ne poursuive son déclin sur certains secteurs clés de l’économie, notamment l’industrie et l’agriculture, évoquant ce déclin comme la cause mécanique du vieillissement, de la précarisation et de l’isolement des habitants, de l’autre, des atouts bien identifiés et sur lesquels capitaliser, tels que l’environnement préservé, la diversité des paysages et des identités, la qualité de vie, la vie culturelle et associative.

Les rencontres citoyennes et les propositions qui en sont issues soulignent également un paradoxe autour de l’emploi : beaucoup d’entreprises cherchant à recruter n’y parviennent pas, et des jeunes cherchent un emploi sans parvenir à trouver, ni même à réellement connaître l’offre existante dans leur territoire. Ils évoquent de concert la nécessité de construire un « éco-système » pour que les jeunes Nivernais et les entreprises se rencontrent plus facilement, des dispositifs de mentorat pour accompagner les jeunes et les aider à s’épanouir et réussir dans la Nièvre. 

Trois grands chantiers nous attendent

D’action d’abord, car les Nivernaises et les Nivernais débordent de propositions !

Au-delà des inquiétudes qu’ils expriment sur les déserts médicaux, la prise en charge des aînés, le manque d’accessibilité du territoire, le besoin de formations post-bac tournées sur les atouts du département (ressources naturelles, industrie automobile…), c’est la fierté de leur territoire chevillée au corps qu’ils évoquent, les atouts de la Nièvre et leur envie de voir se développer des lieux pour mieux se connaître et mieux vivre ensemble.

Ces rencontres mettent à l’évidence en lumière l’envie d’une cohésion sociale fondée sur la solidarité et l’accomplissement de projets au service et dans le respect de toutes et tous.

Parmi les centaines de propositions qui ont déjà été formulées, les citoyens convergent sur de nombreux sujets :

  • le souhait de villes et de villages où règnent la convivialité et la solidarité avec la volonté de voir naître des tiers-lieux, des cafés associatifs, la valorisation des quartiers et le besoin de rencontres régulières, faire de nos cités des lieux où les jeunes peuvent concrétiser leurs projets, où la culture retrouve une place centrale dans la construction du lien social ;
  • l’ambition partagée d’un développement urbain avant-gardiste et « maîtrisé » en valorisant le patrimoine, en protégeant et créant des espaces verts, en travaillant sur l’alimentation responsable, saine et partagée, en luttant contre l’urbanisation sauvage de certaines zones, en ouvrant des structures comme les gymnases pour démocratiser l’accès au sport, etc. ;
  • la volonté de villes attractives en renforçant les dynamiques commerciales (brocantes, vide-greniers, marché gastronomique, apéritifs musicaux, food trucks…), favorisant la réussite des jeunes, en améliorant la qualité des établissements scolaires, en développant les villes familiales, en favorisant l’accès à un logement pour tous…

En somme, les idées sont nombreuses, l’envie de faire avec les élus aussi.

Ensuite, le deuxième chantier porte sur l’adaptation du projet départemental et d’engagement au long cours !

De grandes orientations ont été dessinées par le Conseil départemental, elles rencontrent pour une part considérable les attentes qui sont en train de s’exprimer. C’est heureux, cela va nourrir le projet départemental, venir le compléter, le faire évoluer, le concrétiser.

Le projet politique et stratégique pour la Nièvre doit s’inscrire dans un véritable récit du territoire, résultat du croisement de la vision des habitants, des experts, des services et des élus, donnant un socle commun aux 17 cantons, pour mettre en œuvre la transformation du territoire.

Pour cela, nous sommes convaincus de la nécessité d’un engagement durable auprès des citoyens, pour construire les projets avec eux, pour les faire vivre, pour rendre compte aussi.

Quand on a goûté à cette parole qui circule librement, sans sectarisme, en dialogue direct, la parole d’habitants de tous âges qui ont laissé parler leur cœur, exposant leurs espoirs, leur confiance en la jeunesse, mais aussi leurs inquiétudes, leurs regrets et leurs envies, non seulement on y prend goût, mais on ne peut pas s’autoriser à décevoir.

Nous souhaitons donc poursuivre cette même démarche déclinée sur les grands enjeux que les Nivernaises et les Nivernais ont identifiés.

Enfin, le dernier chantier est celui de l’organisation et de la structuration car cette mobilisation et ces volontés qui se manifestent doivent pouvoir s’inscrire dans un cadre collectif permettant leur concrétisation, dans un souci d’articulation avec des initiatives préexistantes et d’élaboration de cadres démocratiques nouveaux, durables.

À travers cette démarche, sonne un appel vibrant à une citoyenneté active, fière et solidaire.

Pour être durable, l’engagement citoyen doit être conforté par celui des élus et des services et par une capacité d’innover dans la mise au point des décisions à venir.

Nous le savons, la démarche « Imagine la Nièvre » générera aussi des tensions, mais ce sont des tensions utiles.

Elle posera la question de l’évolution des postures de chacun et des modes de travail des agents, des élus, et avec les citoyens. Travailler de manière moins descendante relève d’un profond changement de culture dans le travail. Cela doit être pris en compte et accompagné dans le temps.

Autre type de tension à venir : la question des moyens. Avec plus de 500 propositions attendues, in fine, il est évident que des choix stratégiques devront être faits. Il ne s’agit pas de sacrifier des pans entiers de notre action, mais de les adapter et de construire les décisions d’allocation budgétaire en s’appuyant, non pas sur des besoins qu’agents et élus préjugent, mais bien sur des besoins que les citoyens auront eux-mêmes formulés, analysés, priorisés.

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