Le système de parrainages

S’appuyant sur les résultats de la vague 5 de l’Enquête électorale française réalisée par Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et Le Monde, Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, éclaire la manière dont l’opinion publique considère le système des parrainages en place pour l’élection présidentielle depuis 1962.

L’élection présidentielle serait la rencontre entre un homme, ou une femme, et le peuple – rencontre directe que rien ne saurait entraver. Ce récit gaulliste est, chacun le sait, largement un mythe. Dès après le référendum de 1962 instaurant l’élection du président de la République au suffrage universel direct, un système a en effet été mis en place pour filtrer les candidatures afin d’en garantir la représentativité. Ce filtre a même été resserré en 1975 en portant le nombre de parrainages de cent à cinq cents et en exigeant, au surplus, une diversité géographique. Ce faisant, chaque campagne électorale rejoue, dans une chorégraphie immuable, la même pièce avec les mêmes acteurs et les mêmes arguments : sus aux iniques parrainages ! La campagne actuelle n’échappe pas à la règle au moment où, déjà, 3017 parrainages ont été validés par le Conseil constitutionnel et où le nombre de candidats pourrait pourtant se situer dans la fourchette haute de l’histoire de la Ve République.

Premier enseignement, les Français sont-ils satisfaits de ce système ? Le panel électoral apporte à cette question des éléments de réponses précieux. 53% estiment qu’il s’agit d’un « bon système car il permet d’éviter un nombre trop important de candidats ainsi que des candidatures marginales ou fantaisistes ». 53%, la majorité est étroite s’agissant d’une des règles fondamentales de notre système électoral – qui plus est alors qu’elle n’a jamais empêché aucune candidature réellement représentative. Dans le détail, plus intéressant encore, ces résultats sont à la fois attendus et inattendus. Attendus, parce qu’il existe une corrélation nette entre le soutien aux parrainages et les positions politiques : approbation pour 70% des sympathisants socialistes ou 80% des sympathisants de La République en marche ; opposition pour 59% des sympathisants de La France insoumise, 63% des sympathisants du Rassemblement national et 84% des sympathisants de Reconquête. En d’autres termes, plus le risque de voir votre candidat ne pas passer le filtre des parrainages est grand et plus votre opposition au système est forte. Inattendus, les résultats le sont également parce qu’il n’y a en revanche que peu de liens entre le soutien aux parrainages et le rapport à la politique : si, en effet, 55% des abstentionnistes probables sont opposés à ce système, il en est de même de 52% de ceux qui, à l’autre extrémité, s’intéressent « beaucoup » à la politique.

Second enseignement de l’enquête, que se passe-t-il lorsque l’on interroge les Français non plus in abstracto mais in concreto, c’est-à-dire sur les effets d’une non-candidature d’un certain nombre de personnalités en lice dans cette campagne présidentielle ? Privilégient-ils l’application de la norme juridique – « c’est la règle » –, la prédominance du pluralisme politique – « cela créerait un problème de légitimité » – ou simplement une indifférence polie ? Globalement, pour l’immense majorité des candidats testés dans cette enquête – de Nicolas Dupont-Aignan en passant par Philippe Poutou, Jean Lassalle ou Hélène Thouy – c’est une immense indifférence, comprise entre 66% et 80% que provoqueraient leurs non-candidatures. Le jugement est plus nuancé s’agissant de Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Éric Zemmour : non seulement leurs propres électeurs considéraient logiquement et massivement que la légitimité de l’élection serait mise en cause mais, au-delà, ce jugement serait partagé par environ 30% des Français – pour Marine Le Pen il y aurait même un écart de 11 points entre ceux qui estiment que « ce serait un problème » (35%) et ceux, à l’inverse, qui disent que ce ne serait pas le cas (24%).  Si l’on analyse dans le détail ces résultats, on mesure pourtant que, dans la réponse à cette question, le soutien philosophique au pluralisme politique compte moins que la proximité électorale avec les candidats. Ainsi, pour n’en prendre qu’un seul exemple, la non-candidature de Marine Le Pen ne serait pas un problème pour une majorité relative d’électeurs de Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot ou Emmanuel Macron – cela n’en serait un que pour ceux de Valérie Pécresse (39%) et, surtout, pour ceux d’Éric Zemmour (70%). Ces questions sont sans doute aujourd’hui largement hypothétiques – et cela peut expliquer en partie les réponses. Notre système de parrainages, dans ses grands principes, est soutenu – mais chichement. Sans en modifier la philosophie – en y adjoignant un pourcentage significatif de parrainages citoyens par exemple –, il serait temps de réfléchir aux modalités permettant à la fois d’élargir le cercle de ses soutiens et de prévenir un accident qui, un jour ou l’autre, finira par arriver…

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