Le président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, harcelé par les droites

Après le Brésil et le Portugal, les droites déstabilisent la démocratie en Espagne en s’attaquant au Premier ministre Pedro Sanchez par l’intermédiaire de son épouse. Jean-Jacques Kourliandsky, directeur de l’Observatoire de l’Amérique latine de la Fondation Jean-Jaurès, replace dans le contexte de la montée au créneau de la droite et de l’extrême droite la lettre présentée par le Premier ministre, dont il présente une traduction.

Le président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, a pris de façon inattendue, le 25 avril 2024, la décision de se mettre en retrait. « J’ai besoin », a-t-il écrit à ses concitoyens dans une lettre publiée sur X et dont on peut lire la traduction ci-dessous, « de prendre du recul, et de réfléchir ».
Les partis espagnols de droite et d’extrême droite, depuis plusieurs mois, contestent la légitimité de Pedro Sanchez, qui, déjouant les sondages, a gagné sans contestation possible les élections législatives du 23 juillet 2023. Les attaques ont depuis lors été grossières, répétées, accompagnées de manifestations invitant les participants à taper sur une poupée géante à l’image de Pedro Sanchez. De fausses informations ont été, et sont, massivement diffusées sur les réseaux sociaux.
Une association d’extrême droite, « Mains propres », a remis à un magistrat une collection de fausses nouvelles diffusées par les sites internet proches du Parti populaire et du parti extrémiste Vox, mettant en cause l’honnêteté de l’épouse de Pedro Sanchez. Un juge a malgré tout estimé recevable la plainte. Écœuré par le choix fait par les partis de droite et d’extrême droite de fuir le débat d’idées pour privilégier les attaques personnelles, qui aujourd’hui ont ciblé sa femme, Pedro Sanchez, visiblement choqué, a posé publiquement le problème devant les citoyens de son pays.
Les partis de gauche espagnols, les formations basques, la gauche républicaine catalane ont affirmé leur solidarité démocratique. Plusieurs chefs d’État, le Brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, le Colombien Gustavo Petro, entre autres, ont fait de même.
Ces manœuvres anti-démocratiques impulsées par les droites espagnoles sont d’autant plus préoccupantes qu’elles viennent après bien d’autres ayant forcé à quitter le pouvoir, hors de toute légalité, la présidente brésilienne Dilma Rousseff et le Premier ministre portugais, Antonio Costa.
La Fondation Jean-Jaurès, solidaire de Pedro Sanchez et confiante dans les ressources de la démocratie espagnole, apporte un soutien personnel, total et démocratique à Pedro Sanchez, président du gouvernement d’Espagne.

Jean-Jacques Kourliandsky, directeur de l’Observatoire de l’Amérique latine de la Fondation Jean-Jaurès.

Lettre aux citoyens et citoyennes espagnols
Pedro Sanchez

Comme vous le savez et en avez sans doute été informés, un tribunal de Madrid a ouvert une enquête préliminaire contre mon épouse, Begoña Gómez, à la suite d’une plainte déposée par une organisation d’extrême droite, du nom de « Mains propres », concernant de présumés délits de trafic d’influence et de corruption liés à des activités commerciales.

Il semblerait que le juge ait convoqué, afin de leur demander de témoigner, les responsables de deux sites internet qui ont écrit sur cette question. À mon avis, ce sont des médias de droite et d’extrême droite. Ce qui est logique.

Begoña va défendre son honorabilité et collaborer avec la justice, répondant à tout ce que l’on va lui demander pour faire la lumière sur des faits scandaleux en apparence, mais inexistants.

En effet, la plainte de « Mains propres » est fondée sur de prétendues informations diffusées par la constellation de sites ultraconservateurs. J’insiste sur les termes de prétendues informations, parce que, dès leur publication, nous avons contesté les mensonges diffusés et Begoña a en même temps engagé des actions légales pour exiger que ces sites corrigent ce qui, nous le répétons, est des informations fallacieuses.

Cette stratégie de harcèlement et de sape est en marche depuis plusieurs mois. C’est pourquoi je ne suis pas surpris par les surréactions de M. Feijóo et de M. Abascal [respectivement chef du Parti populaire (droite) et de Vox (extrême droite), ndlr]. Dans cet acte aussi grave que grossier, tous deux apparaissent comme les collaborateurs nécessaires à la galaxie numérique d’extrême droite et à l’organisation « Mains propres ». De fait, c’est M. Feijóo qui a porté l’affaire devant le Bureau des conflits d’intérêts, demandant que je sois interdit de responsabilité publique pour une période de cinq à dix ans.

La plainte déposée par les dirigeants du Parti populaire et de Vox a été doublement archivée par cet organisme, dont les fonctionnaires ont été ultérieurement dénoncés par les dirigeants du PP et de Vox. Ensuite, instrumentalisant leur majorité conservatrice au Sénat, ils ont pris l’initiative de créer une commission d’enquête, pour, disent-ils, faire la lumière sur les faits liés à cette affaire. Logiquement, il manquait un élément, la judiciarisation de la question. C’est le pas qu’ils viennent de franchir.

Je ne suis pas naïf. Je suis conscient qu’ils ont mis en cause Begoña, non pas parce qu’elle a fait quelque chose d’illégal, ils savent bien que le dossier est vide, mais parce qu’elle est mon épouse. Comme je suis pleinement conscient que les attaques dont je suis victime ne visent pas ma personne, mais ce que je représente : une option politique progressiste, confirmée élection après élection par des millions d’Espagnols, fondée sur des avancées économiques, dans la justice sociale et la régénération de la démocratie.

Cette bataille a commencé il y a plusieurs années. D’abord par notre défense de l’autonomie politique de l’organisation qui représente le mieux l’Espagne progressiste, le Parti socialiste. Une bataille que nous avons gagnée. Ensuite, après la motion de censure suivie des victoires électorales successives en 2019, nous n’avons pas été empêchés par les tentatives de délégitimation du gouvernement de coalition progressiste, accompagnées du cri ignominieux de « Que Txapote te vote ! » [Mot d’ordre lancé en 2022 par les droites pour insinuer l’existence d’une collusion entre Pedro Sanchez et le terrorisme d’ETA, ndlr].

Dernier épisode, ce sont les élections générales du 23 juillet 2023. Le peuple espagnol a voté majoritairement pour aller de l’avant, autorisant la poursuite d’un gouvernement de coalition progressiste, fermant l’option d’une coalition gouvernementale entre M. Feijóo et M. Abascal annoncée par les alliés médiatiques et sondagiers conservateurs.

La démocratie a parlé, mais la droite et l’ultra-droite ont à nouveau refusé d’accepter le résultat des urnes. Elles ont pris conscience que les attaques politiques étaient insuffisantes et ont maintenant franchi la ligne du respect de la vie privée et familiale d’un président de gouvernement. Elles s’en prennent à sa vie personnelle.

Sans aucune honte, M. Feijóo et M. Abascal, avec les intérêts qui les animent, ont mis en marche ce que le grand écrivain italien, Umberto Eco, a appelé « la machine à salir ». C’est-à-dire la déshumanisation et la délégitimation de l’adversaire politique via des dénonciations aussi scandaleuses qu’inexactes.

Voilà ma lecture de la situation que vit notre cher pays : une coalition d’intérêts droitiers et extrémistes de droite qui n’acceptent pas la réalité de l’Espagne, qui n’acceptent pas le verdict des urnes, disposée à répandre de la boue pour : un, dissimuler ses flagrants scandales de corruption, et son incapacité à les commenter ; deux, cacher son absence totale de projet politique au-delà de l’insulte et de la désinformation ; trois, utiliser tous les moyens disponibles pour détruire personnellement et politiquement l’adversaire politique. On voit à l’œuvre une coalition d’intérêts de droite et d’extrême droite qui touche pratiquement toutes les démocraties occidentales. J’y répondrai, je le garantis, toujours avec raison, vérité et correction.

Arrivé à ce point, je me pose légitimement une question, Est-ce que tout ça en vaut la peine ? Sincèrement, je ne sais pas. Cette attaque est sans précédent, elle est si grave et si grossière que j’ai senti le besoin de prendre le temps de la réflexion avec mon épouse. On oublie trop souvent que derrière les politiques, il y a des personnes. Moi, je n’ai pas honte de le dire, je suis profondément amoureux de ma femme, qui supporte impuissante la boue qu’on lui déverse dessus jour après jour.

J’ai besoin d’une pause pour réfléchir. Je dois en urgence répondre à la question de savoir si cela vaut la peine, compte tenu que la droite et l’extrême droite entendent couvrir de boue la politique. Si je dois continuer à la tête du gouvernement ou renoncer à ce grand honneur. En dépit de la caricature de ma personne qu’ont essayée de faire la droite et l’extrême droite politique et médiatique, je ne me suis jamais accroché au maroquin. J’ai le sens du devoir, de l’engagement politique et du service public. Je ne m’accroche pas aux places, je suis attaché à la légitimité de ces hautes responsabilités pour transformer et faire avancer le pays que j’aime.

Tout cela me conduit à vous dire que je continuerai à travailler, mais que je vais suspendre mon agenda public, pendant quelques jours, pour pouvoir réfléchir et décider de la voie que je dois suivre. Lundi prochain, 29 avril, je m’exprimerai devant les médias et je ferai connaître ma décision.

En vous remerciant pour votre patience, bien à vous,
Pedro Sánchez, président du gouvernement espagnol

Traduction de Jean-Jacques Kourliandsky, directeur de l’Observatoire de l’Amérique latine de la Fondation Jean-Jaurès.

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