Dans le cadre d’un entretien mené par Yasmina Asrarguis, chercheuse et membre de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation, avec Yossi Beilin, ancien ministre et ancien leader du Meretz, celui-ci revient sur les négociations et les accords entre Israéliens et Palestiniens réalisés dans les années 1990 et 2000, et met en avant la proposition de confédération comme solution pragmatique et la plus envisageable susceptible d’apporter enfin une réponse à la question israélo-palestinienne.
Les négociations Israël-OLP : une mise en œuvre d’abord secrète
Yasmina Asrarguis : Pourriez-vous nous dire quelques mots sur la manière dont vous avez initié les accords d’Oslo, et quel a été votre rôle au cours de ce processus ?
Yossi Beilin : Lorsque j’étais membre du Parti travailliste à la Knesset, j’ai été très impliqué dans le processus de paix. J’ai rencontré et discuté avec des Palestiniens qui n’étaient pas considérés comme membres de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), car il était interdit de rencontrer l’OLP à l’époque. J’ai toujours pensé qu’il existait une solution politique au problème, et seuls ceux qui ne voulaient pas de solution prétendaient qu’il n’y en avait pas. Il était très important d’avoir les contacts que j’avais avec les Palestiniens de Jérusalem-Est, dont la plupart étaient des résidents permanents israéliens, comme Faisal Husseini, qui était considéré comme le chef des Palestiniens de Jérusalem.
Après la conférence de Madrid [30 octobre 1991-1er novembre 1991], les négociations avec les délégations jordaniennes et palestiniennes sont restées bloquées, et rien ne s’est vraiment passé, ce qui convenait parfaitement au Premier ministre israélien Yitzhak Shamir de l’époque, qui ne voulait pas d’avancées majeures en matière de paix. En 1992, nous entrions dans une campagne électorale, et le Parti travailliste, avec Yitzhak Rabin comme candidat, était en position très favorable d’après les sondages. J’ai donc supposé que je serais réélu à la Knesset et que je pourrais alors jouer un rôle dans le processus de paix, car cela a toujours été ma vocation. Je voulais préparer quelque chose dans les coulisses, avec les Palestiniens.
Une fois réélu député, j’ai réussi à changer la loi pour que nous puissions parler à l’OLP. À ce moment, j’ai établi le contact avec deux pays différents, leur demandant s’ils étaient prêts à accueillir des discussions secrètes entre les États-Unis et les Palestiniens. Mon idée était qu’un groupe d’Israéliens et un groupe de Palestiniens pourraient essayer de résoudre les problèmes de manière informelle. Ensuite, les dirigeants des deux partis, Arafat et Rabin, demanderaient aux chefs des délégations officielles à Washington de signer l’accord, sans leur dire comment ces accords ont été conclus.
Mais les deux pays que j’avais approchés étaient très réticents à l’idée d’accueillir de tels pourparlers secrètement. C’est alors que Terje Roed-Larsen, le directeur de l’Institut Fafo de sciences sociales appliquée, est venu me voir pour me proposer un lieu en Norvège. Un véritable cadeau. J’ai naturellement accepté et j’ai échangé à deux reprises avec lui avant les élections en Israël qui ont eu lieu en juin 1992. Suite à cela, j’ai organisé une réunion avec Faisal Husseini et Yair Hirschfeld, qui était un ami commun et dont les relations avec Palestiniens étaient très bonnes, que ce soit dans les territoires ou à Jérusalem. Lorsque Rabin a gagné les élections législatives, Peres est devenu ministre des Affaires étrangères. J’ai été nommé vice-ministre des Affaires étrangères et chef de la délégation israélienne au comité directeur des pourparlers multilatéraux. Ce poste m’a permis de parler aux Palestiniens et de voyager dans la région et le monde entier. La loi a changé et l’autorisation de rencontrer les membres de l’OLP avait été accordée. Faisal Husseini a insisté pour que je rencontre les dirigeants de l’OLP à Tunis si je voulais vraiment trouver des solutions, car c’était eux qui menaient la barque. Il a suggéré que nous rencontrions Ahmed Qurei (Abou Alaa), alors considéré comme le ministre des Finances de l’OLP. J’avais l’intention d’informer Peres de mes intentions et je suis donc allé le voir avant de me rendre à Oslo.
En parlant à Shimon Peres, il m’a confié que le Premier ministre Rabin lui avait interdit de rencontrer Faisal Husseini, qu’il avait connu par notre intermédiaire. La raison en était qu’il existait un accord secret entre lui et Rabin, dont je n’étais pas au courant, en vertu duquel il lui était interdit de s’occuper du processus de paix. C’était la condition pour que Rabin puisse inclure Peres, qu’il détestait, dans le gouvernement. Si j’avais connu cette condition, je ne serais pas devenu son adjoint, car je n’avais aucune raison d’accepter ce poste si je ne pouvais pas être impliqué dans le processus de paix. J’étais surpris d’entendre cette information, mais j’ai immédiatement décidé de ne pas lui dire ce que je préparais à Oslo. Si Rabin l’avait su, il nous aurait virés dans la seconde. J’ai donc demandé à Yair Hirschfeld [enseignant, l’un des architectes des accords] d’aller à ma place rencontrer les Palestiniens de l’OLP à Oslo et j’ai dirigé les échanges depuis Jérusalem. En fait, je ne me suis jamais rendu à Oslo pendant la phase des négociations. Hirschfeld a emmené avec lui un de ses anciens étudiants, Ron Pundak, et tous deux formaient ladite « délégation israélienne ». Il ne s’agissait donc pas d’une véritable initiative universitaire, mais il était juste pratique pour nous, au début, de dire qu’il y avait un séminaire à Oslo afin de brouiller les pistes. Nous avons donc gardé le secret et personne ne nous a posé de questions. C’est ainsi que les Accords d’Oslo ont débuté.
Sur le conflit israélo-palestinien, une Europe « affaiblie par son union » ?
Yasmina Asrarguis : Comment expliquez-vous la nécessité de conclure et signer les Accords à Washington DC et non en Europe ou ailleurs, malgré le rôle initial de la Norvège ?
Yossi Beilin : La vérité est que l’Europe n’a pas joué un rôle très important dans le processus de paix. Plus l’Union européenne (UE) s’est élargie, plus il lui a été difficile d’avoir des points de vue communs sur le Moyen-Orient. Principalement à cause des gouvernements de droite en Europe de l’Est, ils se sont neutralisés les uns les autres. Ce n’est pas un hasard si tous mes efforts ont été couronnés de succès dans les pays non membres de l’UE : à Genève en 2003, Oslo à l’époque, Stockholm un peu plus tard, avant que la Suède ne rejoigne l’UE. C’est bien en Suède que se sont déroulées les négociations ayant abouti à l’accord d’Abou Mazen de 1995. Tous ces pays n’étaient liés par aucune décision collective. D’un côté, j’admire vraiment l’UE. Pour ma génération, il est incroyable que l’Allemagne et la France mènent l’Europe dans une telle amitié mais, d’un autre côté, l’Europe s’est affaiblie en s’élargissant. Les Américains ont donc joué un rôle central pendant toutes ces années. L’accord de paix avec l’Égypte, qui a été l’une des étapes les plus importantes de notre histoire, n’aurait pas eu lieu sans Jimmy Carter, par exemple. L’Europe a toujours eu besoin des Américains pour financer les processus de paix et former des coalitions.
Il n’y a donc jamais eu de véritable concurrence entre l’Europe et les Américains sur Oslo, car les États-Unis ont toujours mené la danse, même s’ils ne connaissaient rien au contenu du processus. Ils ne savaient rien de l’initiative de Genève, des accords d’Abou Mazen, jusqu’à ce que nous ayons terminé le travail. Mais une fois que nous l’avons fait, nous ne pouvions pas le faire sans eux, parce que les États-Unis sont une superpuissance. Ils sont les seuls à pouvoir établir une liste de pays donateurs pour les Palestiniens, à pouvoir superviser correctement les négociations multilatérales et à pouvoir convoquer la conférence de Madrid. Le fait qu’elle ait eu lieu à Madrid ne signifie pas que c’est grâce au gouvernement espagnol !
À mon avis, les Européens avaient de nombreuses raisons de s’impliquer, principalement la proximité géographique d’Israël et de la Palestine, et ils comptaient de nombreuses personnes réellement intéressées par la résolution du conflit. Alors qu’aux États-Unis, il y a toujours eu ce courant d’isolationnisme et des gens qui disent que ce n’était pas leur problème. Quoi qu’il en soit, les États-Unis seront toujours une force dominante majeure.
Le rôle ambivalent de la puissance américaine
Yasmina Asrarguis : À votre avis, quel a été le rôle des négociateurs américains dans le processus qui a conduit aux Accords d’Oslo ? Quel a été l’apport de la médiation américaine ?
Yossi Beilin : Ils n’étaient pas du tout présents. Ils n’étaient pas au courant. Ils n’ont joué aucun rôle. Leur véritable rôle s’est joué après la signature de l’Accord et l’ouverture des négociations sur l’accord intérimaire. Une fois l’Accord rendu public, ils ont alors été impliqués. Et dans de nombreux cas, ils ont aidé. Mais permettez-moi de vous confier une anecdote : une partie de ces négociations se sont déroulées à Eilat où les deux négociateurs – Uri Savir, qui était à l’époque le directeur général du ministère des Affaires étrangères, et Abou Alaa (Ahmed Qoreï) – se sont assis ensemble dans un hôtel à la fin de l’année 1994. Ils avaient une pile de documents sur le bureau. Lorsque soudain le médiateur américain est entré dans la pièce et a demandé comment allaient les choses, ils ont commencé à se plaindre l’un de l’autre et à expliquer que l’autre partie était têtue. Puis, une fois qu’il est parti, ils éclatent de rire et remettent sur la table toute la pile qu’ils avaient cachée en le voyant. Pour moi, fondamentalement, lorsque les parties veulent parvenir à un accord de paix, elles n’ont pas du tout besoin de médiateurs. Les États-Unis ont joué un rôle de facilitateur, pas de médiateur. Et il y a une énorme différence entre les deux.
L’électrochoc de l’assassinat de Rabin et l’échec du processus de paix
Yasmina Asrarguis : L’assassinat d’Yitzhak Rabin a complètement changé le cours de l’histoire. Quel regard portez-vous sur cet événement et quelles en ont été les conséquences sur le processus de paix ?
Yossi Beilin : C’était comme le 7-Octobre ou le 11-Septembre : un événement auquel on ne s’attend pas du tout. Il y avait des extrémistes, des deux côtés, qui étaient prêts à sacrifier leur vie s’il le fallait pour renverser et contrecarrer les efforts de paix. Et peut-être que nous n’en avons pas suffisamment tenu compte lors des négociations. Non pas que je sache exactement comment traiter les extrémistes aujourd’hui. Mais ils partagent tous les mêmes croyances : « tout est à nous », « c’est un don de Dieu », « c’est une terre sacrée ». Avec ces gens-là, on ne peut pas négocier.
La violence et le terrorisme qui ont commencé avec Goldstein, en février 1994, et les multiples attentats-suicides du Hamas ont créé une atmosphère très sombre. Les gens ont commencé à se méfier de l’autre partie et il est devenu difficile d’aller à contre-courant. Je pense que l’assassinat de Rabin faisait partie d’un processus dans lequel la violence a eu lieu afin d’empêcher la partition de la terre et la solution à deux États. C’est la même histoire depuis toutes ces années : la violence engendre l’incrédulité à l’égard du processus de paix. Vous essayez ensuite de dépeindre l’autre camp comme s’il s’agissait d’un collectif, vous dites qu’ils sont tous pareils : « tous les Arabes sont pareils », ou « les Palestiniens sont tous pareils », « tous les Juifs sont pareils », ou « les Israéliens sont tous pareils ». Et quand on en arrive à cette atmosphère, il est très difficile de faire renaître l’espoir.
Quelles perspectives sur la paix et la résolution du conflit ?
Yasmina Asrarguis : Selon vous, l’Autorité palestinienne (AP) est-elle capable d’être un partenaire de paix crédible après le 7-Octobre ?
Yossi Beilin : Je ne vois pas l’AP comme un parti pour la paix. Je veux dire que ce n’est pas pour cela qu’elle a été créée. L’Autorité palestinienne a été créée par l’OLP pour cinq ans. Il est donc difficile de blâmer l’Autorité palestinienne pour tous les problèmes qu’elle connaît, car elle n’était pas censée rester en place pendant trente ans. L’OLP en revanche est un mouvement qui est actif et qui restera en place en tant qu’organisation politique. Malheureusement, l’OLP a été impliquée dans la seconde Intifada, par frustration face à l’absence de paix et la conviction que c’était le seul moyen de lutter contre le Hamas. La seconde Intifada était principalement une compétition interne entre le Hamas et le Fatah. Mais si vous me demandez si nous devons négocier, bien sûr que nous devons négocier. Et notre partenaire pour la paix reste l’OLP.
Yasmina Asrarguis : Comment expliquer, selon vous, le refus catégorique de Netanyahu de négocier avec l’Autorité palestinienne ?
Yossi Beilin : Je ne pense pas que Netanyahu veuille parler à qui que ce soit. Il trouvera toujours des excuses. Pourquoi ne pas parler ? Je veux dire qu’il y a toujours des raisons ou des excuses pour ne pas négocier de son point de vue.
Yasmina Asrarguis : Le Hamas semble avoir gagné en popularité parmi les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. Comment abordez-vous ce phénomène et dans quelle mesure l’exclusion du Hamas de tout accord de paix est-elle réaliste ?
Yossi Beilin : La triste réponse est qu’il y a de la haine dans les territoires à l’égard d’Israël. Je crois que si nous avons la paix avec les Palestiniens, même si elle vient des dirigeants, les opinions publiques demeurent très importantes. Pour cette raison, je ne crois pas que la paix viendra de la base, que ce soit des citoyens ou de la société civile. Les dirigeants israéliens et palestiniens se verront obligés de faire la paix. Néanmoins, pour parvenir à un accord de paix, il faut des gens comme Sadate, comme Abou Mazen, comme Rabin, comme Peres, qui sont prêts à risquer leur vie pour faire la paix. Les Palestiniens ont déjà un dirigeant, Abou Mazen, qui, même s’il ne rajeunit pas, est attaché à la paix et à la solution des deux États. Je ne vois aucune raison de ne pas lui parler.
Yasmina Asrarguis : Selon vous, la coalition israélienne actuelle pourrait-elle constituer un partenaire crédible dans de futures négociations de paix ?
Yossi Beilin : Tant que Benyamin Netanyahu sera Premier ministre, il n’y aura aucune chance de paix. Mais ils voient les sondages et se rendent compte qu’ils n’ont aucune chance de gagner aux futures élections. Benny Gantz est de plus en plus populaire. Il s’est engagé à trouver une solution, il a même accueilli Abou Mazen il y a un an et demi dans sa maison de Tel-Aviv. Il n’est pas nécessairement pacifiste, mais il comprend que si Israël ne fait pas la paix avec les Arabes, l’avenir risque d’être très sombre pour nous.
Yasmina Asrarguis : Quel regard portez-vous sur les Accords d’Abraham qui demeurent les accords de paix historiques entre Israël et les pays arabes ?
Yossi Beilin : D’une manière générale, je suis très favorable aux Accords d’Abraham. Il y a deux semaines, j’étais aux Émirats arabes unis où j’ai rencontré le ministre des Affaires étrangères et j’ai eu avec lui une très longue discussion sur l’avenir de la région. Selon moi, Netanyahou a utilisé les Accords d’Abraham principalement pour contourner les Palestiniens. Je soutiens ces Accords parce que je crois en un Moyen-Orient pacifique dans lequel les Palestiniens jouent un rôle très important. Si quelqu’un croit qu’il peut ignorer le problème palestinien, il sera rattrapé par la réalité. Et c’est ce qui s’est passé il y a trois mois : nous ne pouvons pas ignorer le problème palestinien. Il était puéril et chaotique de la part de Netanyahou de croire qu’il pouvait faire une soi-disant paix avec tous les pays arabes et ensuite imposer la solution qu’il voulait aux Palestiniens.
Yasmina Asrarguis : Vous avez mentionné que vous veniez de vous rendre aux Émirats arabes unis, comment vous êtes-vous senti pendant votre visite ? Plus généralement, comment pensez-vous que les relations d’Israël avec d’autres pays arabes comme le Maroc vont évoluer après la guerre entre Israël et le Hamas ?
Yossi Beilin : C’était la première fois que je visitais les Émirats arabes unis. J’avais déjà visité plusieurs fois d’autres pays arabes comme Oman, le Qatar, le Maroc et la Tunisie, sans parler de l’Égypte et de la Jordanie, mais pas les Émirats arabes unis. C’était une sorte de rêve qui s’est réalisé ! Le Moyen-Orient est très différent. J’ai reçu un accueil très amical là-bas. Je pense que cette relation est très importante pour Israël.
Yasmina Asrarguis : Selon vous, les Accords d’Abraham auraient-ils pu ouvrir la voie à une résolution pacifique du conflit entre Israéliens et Palestiniens ?
Yossi Beilin : Ils n’auraient en aucun cas pu constituer une solution au problème palestinien. Bien sûr, il est très important pour nous d’avoir des relations avec ces pays, mais il est tout aussi important d’avoir des relations avec la Chine. Ce n’est pas un substitut à la paix avec les Palestiniens.
Yasmina Asrarguis : Vous avez proposé l’idée d’une Confédération qui conduirait à une solution à deux États. Pourriez-vous nous présenter ce plan ?
Yossi Beilin : En 2002, après plus de deux ans de travail, le livre de la Confédération de Terre sainte est apparu. Celui-ci était rédigé par un groupe de Palestiniens, dirigé par Hiba Husseini, avocate palestinienne, et un groupe d’Israéliens, dirigé par moi-même sur la base d’un constat simple : lorsque nous avons signé l’accord d’Oslo, il y avait 90 000 colons dans les territoires occupés. Aujourd’hui, ils sont un demi-million. Admettons qu’il suffise d’évacuer 200 000 d’entre eux pour que nous parvenions à un accord sur un échange de territoires de manière à ajuster les frontières d’Israël. Il serait encore très difficile, voire impossible, de les évacuer. C’est pourquoi, lorsque les gens parlent aujourd’hui de la solution à deux États, je leur pose la question de sa mise en œuvre. Si vous pensez que vous pouvez réellement évacuer 200 000 colons, vous avez peut-être raison, vous avez peut-être tort, mais il est certain que vous n’avez pas de futur Premier ministre en Israël qui accepterait de le faire.
À mon avis, la seule réponse à laquelle je peux penser est de permettre à ceux qui veulent rester dans le nouvel État de Palestine de devenir des résidents permanents de l’État palestinien tout en restant des citoyens israéliens. Bien entendu, ils devront alors respecter la loi palestinienne. Le même nombre de Palestiniens qui voudraient, pour quelque raison que ce soit, vivre en Israël, auraient le même droit, c’est-à-dire qu’ils continueraient à être des citoyens palestiniens, mais deviendraient des résidents permanents israéliens, ce qui est possible sous l’égide d’une confédération. C’est possible dans le cadre d’une confédération, mais beaucoup plus difficile à réaliser entre deux États. Ce n’est peut-être pas impossible, mais j’ai découvert que la confédération est la solution la plus pratique. Bien sûr, quand on parle de confédération, on parle de coopération. Le précédent historique de l’unité européenne et de la coopération franco-allemande témoigne de la faisabilité d’un tel projet, sur la base d’un récit commun, et notre modèle pour l’avenir est effectivement celui de la coopération franco-allemande. C’est le modèle que j’utilise dans mes conférences pour prouver que l’on peut se haïr, puis se réconcilier et vivre les uns avec les autres. Ce type de coopération permet de coexister avec son voisin et de trouver des solutions aux problèmes. Cela ne signifie pas que les problèmes s’arrêtent soudainement, mais le fait de partager un récit commun permet de trouver des solutions.
Yasmina Asrarguis : Que répondez-vous aux critiques qui affirment qu’une Confédération serait impossible à mettre en œuvre en raison des affiliations religieuses des populations en Israël-Palestine ?
Yossi Beilin : Une confédération permet de conserver l’État juif et l’État palestinien. Il ne s’agit pas d’une fédération. Ainsi, toute l’idée de la réalisation du droit à l’autodétermination pour le peuple palestinien et le peuple juif peuvent être préservés, complétés et mis en œuvre, car les deux peuples méritent l’autodétermination. Je ne travaille jamais exclusivement avec des Israéliens. Tout ce que j’ai fait dans ma vie, je l’ai fait en coopération avec les Palestiniens, en discutant d’idées de paix et en m’engageant dans des négociations de paix.
Yasmina Asrarguis : Selon vous, que peuvent faire les dirigeants internationaux et européens pour aider les Israéliens et les Palestiniens à faire avancer le processus de paix ?
Yossi Beilin : Aujourd’hui, leur aide est plus pertinente que jamais. Nous avons besoin que l’Europe, et pas seulement l’Europe, aide à la reconstruction de la bande de Gaza post-Hamas, et fasse partie d’un groupe multinational qui gérera la bande administrativement et économiquement, et assurera sa sécurité, jusqu’à ce qu’elle devienne partie intégrante du futur État palestinien. Qu’ils le mettent à l’ordre du jour, c’est suffisant. Je ne veux pas que les dirigeants étrangers négocient en notre nom. Je ne leur demande pas de jouer les médiateurs. Sauf s’ils souhaitent le faire. Dans ce cas, j’en serais heureux, mais mes attentes sont limitées. Si, dans les années 1980 et 1990, nous avions eu des discussions, des séminaires et des débats en Europe, les choses sont différentes aujourd’hui. Je demande aux pays européens de nous rendre visite, de discuter avec les deux parties et de mettre cette question à leur ordre du jour. Car si le monde nous oublie aujourd’hui, ce sera beaucoup plus difficile.
Yossi Beilin est journaliste, homme politique et universitaire israélien. Il a entamé sa carrière journalistique en 1969, travaillant pour le quotidien Davar, à Tel-Aviv. Il a obtenu son doctorat en sciences politiques à l’université de Tel-Aviv en 1981 et a été conseiller politique du chef de l’opposition de l’époque, Shimon Peres, de 1979 à 1984. Par la suite, il a occupé divers postes politiques de haut niveau au sein du gouvernement israélien et de la Knesset. De 1992 à 1995, Yossi Beilin a été vice-ministre des Affaires étrangères, jouant un rôle crucial dans l’élaboration des Accords d’Oslo. En juillet 1995, il a été nommé ministre de l’Économie et du Développement social. En novembre 1995, il devient ministre sans portefeuille au sein du cabinet du Premier ministre, fonction qu’il a exercée jusqu’en juillet 1996. De 1999 à 2001, il a été ministre de la Justice sous le Premier ministre Ehud Barak, occupant simultanément le poste de ministre des Affaires religieuses de 2000 à 2001. Yossi Beilin a siégé à la Knesset pour le Parti travailliste de 1988 à 2003 et a dirigé le parti de gauche laïc Meretz de 2004 à 2008. Depuis, Yossi Beilin est officiellement retiré de la vie politique.
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