Depuis plusieurs mois, la gauche en Amérique latine subit plusieurs revers électoraux. L’élection présidentielle argentine de novembre 2015 a confirmé cette tendance. Carlos Gabetta, journaliste et essayiste, analyse le bilan des gouvernements Kirchner et les premiers mois de la présidence Macri.
Depuis 1930, l’Argentine tourne en rond. Un coup d’État militaire, un gouvernement élu par les urnes – aucun ne finira son mandat – et même une dictature militaire internationalement connue pour ses crimes odieux entre 1976 et 1983. Depuis 1984, le pays a commencé une autre sorte de circonvolution, d’un gouvernement démocratique libéral à un gouvernement démocratique populiste. Le Parti radical qualifié de libéral et le Parti justicialiste qualifié de populiste (péroniste), qui avaient soutenu auparavant les diverses dictatures militaires qui ont renversé leurs adversaires, ont alterné ou se sont entremêlés au sein des gouvernements démocratiquement élus et ont partagé égarements et malversations économiques et institutionnelles. Hyperinflation en 1989, après un gouvernement radical. Hyper endettement, corruption et privatisation frauduleuse de toutes les grandes entreprises de l’État – énergie, compagnies aériennes et même le système de retraite ! – sous un gouvernement péroniste (1989-1999). Puis, en décembre 2001, il y a eu la très grave crise économique et financière – le fameux corralito – qui a déclenché des manifestations massives à travers le pays et s’est achevée par l’évasion en hélicoptère du président radical depuis la maison du gouvernement. Son vice-président, péroniste, avait démissionné peu avant suite à un scandale de corruption au Sénat de la Nation qu’il dirigeait et du fait « d’un manque de soutien du gouvernement [pour] la recherche ».
Dans la semaine qui a suivi l’évasion du président, le Congrès a élu trois présidents successifs jusqu’à ce que le dernier, le péroniste Eduardo Duhalde, réussisse à s’imposer, à prendre une série de mesures judicieuses qui ont passablement redressé l’économie et à convoquer des élections que le péroniste Nestor Kirchner a remportées en 2003.
Le retour des libéraux
En octobre dernier, après trois gouvernements « kirchneristes » (Nestor Kirchner, 2003-2007, Cristina Fernandez de Kirchner, 2007-2011 et 2011-2015), les Argentins ont élu un gouvernement libéral, produit d’une alliance du Parti radical et du nouveau parti PRO (Propuesta Republicana) du riche homme d’affaires Mauricio Macri, ancien maire de la ville de Buenos Aires et ancien président du club Boca Juniors. La formule Cambiemos a remporté le second tour de l’élection présidentielle face au successeur désigné du péronisme « kirchneriste », Daniel Scioli, avec 51,40% des voix. Macri, premier président argentin élu depuis 1916 qui ne soit ni radical ni péroniste, dépend à la fois de ses alliés radicaux et péronistes non « kirchneristes » puisqu’il n’a pas la majorité au Congrès et, bien qu’il soit à la tête de la Nation et de six provinces – parmi lesquelles figurent la capitale fédérale et Buenos Aires, représentant près de 40% de la population et du PIB national –, l’opposition gouverne dans les dix-sept autres provinces.
Avec l’héritage du kichnérisme, dernière version du péronisme réfractaire – expression du populisme argentin –, et après seulement deux cents jours au pouvoir, il est encore peut-être trop tôt pour évaluer la gestion du gouvernement. Le 1er mars, lors de son premier discours devant le Congrès à l’occasion de la réouverture des sessions ordinaires annuelles, Macri ne s’est pas abstenu de donner des détails, appuyés sur les chiffres, de la gravité de la situation : l’économie argentine a progressé entre 2003 et 2015 de 3,4% en moyenne par an mais le pays est en récession depuis la fin de l’année 2011 ; le déficit budgétaire se situe entre 5% et 7% et l’inflation entre 15% et 27% par an ou bien davantage en fonction des sources. Le pays doit reconstruire sa crédibilité internationale, touchée par le conflit avec les « fonds vautours » suite à la crise de 2001, pour restaurer le crédit et attirer les investissements. Mais même s’il a condamné clairement le gouvernement précédent, le nouveau président a préféré concentrer son discours sur « l’union des Argentins », sur le fait de « discuter de façon responsable » et de « travailler ensemble » pour résoudre ces questions ainsi que d’autres graves problèmes du pays.
Cela s’explique par le fait que Macri dirige un gouvernement d’inspiration libérale mais il est forcé de faire des compromis avec l’opposition péroniste et de gauche au sein du Congrès et dans les provinces, ce qui pourrait atténuer son libéralisme. L’avenir le dira, et même s’il a pris des mesures macroéconomiques libérales – qui lui ont valu les compliments de la banque internationale et du FMI – il n’a pas encore annulé les subventions aux secteurs à faibles revenus (allocations familiales). En outre, après la suppression des subventions et la décision d’augmenter fortement (jusqu’à 700%) le prix de l’énergie pour les ménages et les entreprises, il a annoncé que les retraités qui touchent le minimum, les bénéficiaires de plans sociaux, les handicapés, les chômeurs, les employés domestiques et autres seront exemptés.
Cette politique a donné de bons résultats, du moins jusqu’à présent. Par exemple, il a réussi à faire que les péronistes non « kirchneristes » approuve le budget 2016 pour la province de Buenos Aires et que la Chambre des députés approuve, avec quelques réajustements, le paiement des « fonds vautours » qui devait se concrétiser le 14 avril. Cette dernière question a été examinée par le Sénat, où le péronisme « kirchneriste » est plus fort, en espérant tout de même qu’elle soit également approuvée. Submergé par d’innombrables cas de corruption, le péronisme « kirchnériste » semble destiné à éclater : début février, un groupe de douze députés nationaux a quitté le groupe, et davantage d’abandons étaient attendus.
Ainsi, bien que le cœur du programme économique n’ait pas encore été clairement indiqué, le nouveau gouvernement a pris des mesures urgentes telles que la levée des « entraves » aux importations et la dévaluation d’environ 30% pour équilibrer la différence entre le dollar officiel et le dollar « parallèle ». Les investisseurs extérieurs ont réagi positivement (on attend entre 15 000 et 25 000 milliards de recettes dans les mois à venir, en particulier en provenance de la Chine) et les exportateurs argentins ont promis de rapatrier quotidiennement quatre cents millions de dollars détenus à l’étranger.
Jusqu’à présent, la mesure du nouveau gouvernement la plus remise en question fut l’arrêt des taxes sur les exportations minières. Cela a mis en colère les organismes provinciaux et nationaux opposés à l’exploitation minière, notamment à cause de la grave pollution qu’une telle exploitation provoque. Il y a quelques mois, par exemple, on a découvert que la rivière Jachal, dans la province minière de San Juan, comportait 13 centimètres cubes de cyanure par mètre cube d’eau ! En neuf ans de lutte, les organisations et les habitants de Famatina (province de La Rioja) sont parvenus à l’expulsion de quatre grandes entreprises. Mais l’Argentine est la sixième plus grande réserve minière au monde, le nouveau gouvernement est libéral et les seize provinces minières sont presque toutes régies par l’opposition péroniste. Les provinces dépendent du budget national et du péronisme. En pleine crise de restructuration, certains signes évidents montrent qu’ils sont prêts à négocier.
Suivant cette logique, Macri a maintenu à son poste le ministre de la Science et de la Technologie issu du kirchnerisme, Lino Barañao. Néanmoins, fidèle à son orientation ultralibérale, il a nommé des cadres supérieurs d’entreprises, y compris internationales, à tous les autres sièges de l’exécutif. Le nouveau président a participé au mois de janvier à la Conférence de Davos (l’Argentine en a été absente pendant douze ans) où il a été reçu en étoile montante et a rencontré des chefs d’État (parmi lesquels figurait David Cameron) et de grands entrepreneurs. Dans le cadre de sa stratégie pour courtiser les leaders de l’opposition, en particulier péronistes, Macri a invité Sergio Massa à Davos, ancien chef de cabinet de Cristina Kirchner (qui a démissionné en dissidence en juillet 2009) qui a accepté. Le 8 mai prochain, au cours de son Congrès, le péronisme renouvellera ses autorités.
Au niveau de la politique étrangère, le nouveau gouvernement a rapidement renoué des liens étroits avec les États-Unis et l’Union européenne, à tel point que le Premier ministre italien Matteo Renzi, le président français François Hollande et Barack Obama ont visité l’Argentine en février et en mars. Cependant, pragmatisme oblige, les excellentes relations actuelles avec la Chine, la Russie et d’autres pays seront préservées.
Quoi qu’il en soit de l’orientation future du gouvernement, de centre droit, social-chrétienne ou néolibérale, selon les alliances qu’il concrétisera, le problème est que la chute brutale du prix des matières premières et la situation économique mondiale, où les politiques libérales échouent, ne présagent rien de bon. À cela, il faut ajouter la crise inquiétante au Brésil et en Chine, principaux partenaires commerciaux, investisseurs et prêteurs de l’Argentine – de manière « classique » pour la Chine avec l’achat de matières premières, surtout du soja, et la vente de produits industriels.
Mais dans l’immédiat, le principal problème du gouvernement est l’inflation, qui, dans une société habituée aux caprices brutaux de l’économie et de la politique, est repartie à la hausse « prévisible » de 4% en décembre lorsque le nouveau gouvernement a pris le pouvoir. En janvier, il était question de 3%, ce qui annonçait un taux très élevé d’ici la fin de l’année, rendant plus complexes les négociations salariales entre le gouvernement et les syndicats. Un symptôme de cette complexité : au 1er mars, l’année scolaire n’a pas pu commencer dans huit provinces car les syndicats d’enseignants étaient en grève. À la fin du mois de février, il a élargi le plan du gouvernement : canaliser les augmentations de salaires en dessous de 30% (pourcentage inférieur à la détérioration des salaires à cause de l’inflation précédente, sans compter celle prévue pour le restant de l’année) en échange de la reformulation complète de l’impôt sur le revenu – qui touche lourdement les salaires moyens –, l’augmentation et l’universalisation des allocations familiales et la distribution d’un fond de plusieurs milliards de dollars pour des œuvres sociales syndicales.
Outrages populistes
La situation dont le nouveau gouvernement a hérité est extrêmement grave. En mai 2012, Yacimientos Petrolíferos Fiscales (YPF) a été renationalisé mais le pays a ensuite perdu son indépendance énergétique. Pour la seule année 2013, les importations de pétrole et de gaz représentaient 13 000 millions de dollars. Puis, YPF a signé un contrat avec la multinationale Chevron pour exploiter un gisement de pétrole colossal dans le sud du pays, « Vaca Muerta ». Les termes de l’accord ont été maintenus « secrets » sur ordre du gouvernement Kirchner jusqu’à ce que la Cour Suprême les rende publics. Dans ce contexte, le nouveau gouvernement a décrété « l’urgence énergétique » jusqu’en 2017 pour « éviter un effondrement » du secteur. En 2008, Kirchner a également renationalisé Aerolíneas Argentinas qui avait de sérieux problèmes opérationnels et connaissait une perte annuelle d’environ 400 millions de dollars.
YPF et Aerolíneas Argentinas, entre autres, ont été pendant des décennies des entreprises d’État efficaces et excédentaires jusqu’à ce que le péronisme ménémiste (Carlos Ménem, président de 1989 à 1999) les privatise dans les années 1990. La renationalisation, l’incompétence, la corruption et le favoritisme ont porté à des postes de gestion hauts placés des cadres politiques sans expérience en la matière mais loyaux politiquement, et aux postes de niveaux inférieurs des « militants ». Résultats : baisse de la production et de l’efficacité, graves déficits économiques.
Quant à la politique de « plein emploi » menée par Kirchner, il y a eu une tentative pour « grossir » l’État : le nombre de fonctionnaires est passé de 2 300 000 en 2003 à 4 200 000 à l’heure actuelle, bien que le chiffre varie selon les sources. Par exemple, le personnel de la bibliothèque du Congrès a augmenté de 38% au cours des quatre dernières années, atteignant les 1 558 « travailleurs »… Son personnel dépasse celui des principales bibliothèques dans le monde alors que sa collection est considérablement plus petite.
Ce chaos s’explique par le fait que tous les gouvernements argentins, y compris les dictatures, se sont toujours servis de l’État pour pratiquer le népotisme et pourvoir des postes de fonctionnaires en échange de loyauté politique et de « retour » en argent (dans le meilleur des cas, pour financer des campagnes politiques). L’administration publique s’en est trouvée surdimensionnée. Le gouvernement Kirchner a poursuivi cette pratique. Dans certaines provinces, les emplois de la fonction publique représentent jusqu’à 41% des emplois. La loi argentine prescrit que les fonctionnaires doivent passer un concours, mais depuis deux décennies, la grande majorité des employés du secteur public est entrée sans le passer, y compris ceux de l’enseignement public.
Cela a rouvert en Argentine le vieux débat entre État « grand » ou « petit » que Lucio Castro, directeur du développement économique du Centre pour la mise en œuvre des politiques publiques pour l’équité et la croissance (CIPPEC) résume ainsi : « Il n’y pas de taille optimale pour un État. Il y a des pays avec des États grands, avec une excellente offre de services publics, comme les pays nordiques, et des pays avec des États de taille similaire, comme le Venezuela et certains pays africains, où cette offre est nettement insuffisante. Il y a aussi des pays avec des États petits, comme le Mexique, avec de graves problèmes de services publics. »
Selon cette classification, l’Argentine se situe clairement au niveau des « États grands et insuffisants », qui connaît en plus une importante corruption. Un dernier exemple révélateur : au début du mois de février, après un audit, les nouvelles autorités de l’Institut national des services sociaux pour les retraités (PAMI) ont indiqué que, au moins depuis 2013, le PAMI a fourni des médicaments pour une valeur estimée à 500 millions de pesos par an à 7 500 retraités… décédés. Un médecin du PAMI avait signé 39 000 ordonnances en un an ! Et ainsi de suite à tous les niveaux de l’État. Le populisme, tel qu’il existe en Argentine et au Venezuela, ne fait que prétendre à un État fort, efficace et transparent, au service des citoyens.
En ce qui concerne la pauvreté, afin d’évaluer la gestion effectuée par le gouvernement Kirchner, la principale donnée sociale, le pourcentage de ménages pauvres (taux de pauvreté) est passé de 4,7% en 2010 à 17,8% en 2013 ; le nombre de personnes pauvres est passé de 7,3% à 27,5% sur la même période selon un rapport de l’Université catholique d’Argentine.
La corruption et le trafic de drogue
Les différents gouvernements kirchneristes, dernière version du populisme péroniste, présentent, comme au Venezuela, un bilan plutôt négatif en termes de corruption et une détérioration économique, institutionnelle, politique et sociale graves. Mais, tout comme au Mexique, ces gouvernements se trouvent désormais « imprégnés » au niveau institutionnel et économique par le trafic de drogue : « l’Argentine est passé d’un pays de transit à un pays de consommation et de production [de drogues illégales] » selon le Pape François, argentin et péroniste.
La corruption politique et le trafic de drogue sont liés, et de leur démantèlement dépendront la gouvernance et l’avenir du pays. Le premier « problème » auquel le nouveau gouvernement est confronté est l’évasion de trois trafiquants de drogue condamnés à l’emprisonnement à vie pour des crimes graves, en plein jour, par la porte d’entrée, sans que personne ne les dérange, d’une prison dite de « haute sécurité ». Ils ont été capturés quinze jours plus tard grâce à d’évidentes complicités de la police. Le gouvernement a destitué la direction du pénitencier de Buenos Aires, l’un des plus corrompus du pays avec la police provinciale, bien que d’autres forces de sécurité, y compris les agences de renseignement, aient fait l’objet de contrôle.
L’un des évadés avait accusé Aníbal Fernández, chef de cabinet de Cristina Kirchner, d’être impliqué dans l’assassinat de trois personnes liées au trafic d’éphédrine, élément essentiel pour la fabrication de la méthamphétamine, l’une des drogues synthétiques les plus consommées dans le monde. Lorsque Fernández avait été ministre de la Justice entre 2007 et 2009, l’importation habituelle de l’éphédrine à des fins légales a augmenté de… 800% : « entre 2006 et 2008, des groupes ou des individus mexicains se sont installés en Argentine afin d’acquérir une substance interdite dans leur pays et dont la vente était légale dans notre pays : l’éphédrine […]. En Argentine, ils achetaient un kilo à 100 dollars. Au Mexique, son coût pouvait atteindre les 10 000 dollars […]. Les cartels mexicains, principaux exploiteurs du marché de l’éphédrine, se sont installés au cœur de Buenos Aires ». Bien que sa culpabilité n’a pas encore été prouvée, Fernández a sa propre histoire : en octobre 1994, maire de la ville de Quilmes, il a échappé à la police en se cachant dans le coffre d’une voiture, après qu’un juge a ordonné sa capture.
En janvier 2011, les frères Gustavo et Eduardo Juliá et Matías Miret ont été arrêtés à l’aéroport El Prat de Barcelone lorsque les autorités espagnoles ont découvert 950 kilos de cocaïne pure dans un jet privé qu’ils pilotaient. Les détenus sont les fils d’officiers hauts placés de la Force aérienne. La drogue avait été chargée à la base aérienne de Morón à Buenos Aires qui est administrée conjointement par la Force aérienne et le gouvernement national, selon le décret 825/2009 publié au Journal officiel, avec les signatures de l’ancienne présidente Cristina Kirchner et son ministre de la Défense Nilda Garré. D’importantes cargaisons de drogues en provenance d’Argentine ont été saisies dans les ports du Portugal et du Canada.
En décembre dernier, le tribunal a condamné l’ancien secrétaire des Transports Ricardo Jaime et son successeur, Juan Pablo Schiavi, à six et huit ans de prison pour leur rôle dans la corruption politico-entrepreneuriale en février 2012 qui a provoqué une tragédie ferroviaire au centre de Buenos Aires, faisant 52 morts et 789 blessés. Le tribunal a également demandé des preuves et des témoignages afin de déterminer si la responsabilité de l’ex-ministre de la Planification kirchneriste Julio De Vido était en jeu.
Diverses organisations sociales et des proches désespérés exigent des réponses au sujet des nombreuses femmes enlevées pour la « traite », la prostitution clandestine. La justice recherche plus de sept cents femmes enlevées. Un autre dénominateur de la « traite » est le travail souterrain, dans des conditions de véritable esclavage. La Fondation La Alameda, liée au pape François, a publié un plan des ateliers clandestins en fonctionnement dans le seul quartier Once à Buenos Aires, estimés en tout à environ 3 000 dans tout le pays : « le plan du crime du septième commissariat de police (quartier Once) est composé de six maisons closes, de neuf ateliers d’esclavage dont l’un est situé juste à l’extérieur du commissariat de police lui-même, de deux narco bunkers situés à deux pâtés de maisons de la station de police ».
Le football, sport national, forme maintenant un réseau mafieux de clubs en faillite, de commerces illégaux, de blanchiment d’argent, de trafic de drogue et de hooligans qui s’affrontent, commettent des meurtres et rendent dangereuse la fréquentation des stades. Depuis que le gouvernement péroniste a décidé de les subventionner – 45 millions de pesos par jour pour la seule année 2015, – des millions de pauvres en Argentine peuvent regarder gratuitement leur sport préféré à la télévision, mais le football reste entre les mains d’hommes d’affaires corrompus et dans son ensemble il est au bord de la faillite. Les matchs ne se jouent qu’en présence des supporters locaux puisque les visiteurs sont interdits d’entrée pour éviter les affrontements qui finissent très souvent avec des morts et des blessés graves. En février 2010, un bus de supporters de Newell’s a ainsi été mitraillé à Rosario par des hooligans. Un adolescent est mort et la police a été fortement soupçonnée d’avoir fourni des armes.
Cristina Kirchner elle-même, son vice-président Amado Boudou et même la présidente des « Mères de la place de Mai », Hebe de Bonafini – ainsi que plusieurs autres hauts fonctionnaires – sont dans le collimateur de la justice. Kirchner est soupçonnée d’être impliquée dans de nombreuses affaires. La principale d’entre elles concerne le blanchiment d’argent dans un complexe hôtelier lui appartenant dans la province de Santa Cruz. Boudou fait face à trois procès, dont un, le principal, « pour des délits de corruption passive et de négociations incompatibles avec la fonction publique ». La Fondation « Rêves partagés » de Bonafini, fervente kirchneriste, consacrée à la construction de maisons avec de l’argent fourni par l’État, a fini par éclater en un scandale de détournement de fonds.
La justice examine également le cas du suicide ou assassinat (plus d’un an plus tard, on ne sait toujours rien) du procureur Alberto Nisman, que l’on a découvert mort dans sa propre maison avec une balle dans le cou, deux jours avant d’expliquer au Comité du droit pénal de la Chambre des représentants sa plainte contre la présidente Kirchner et le ministre des Affaires étrangères Héctor Timerman, qu’il accusait de conspirer pour supprimer le mandat d’arrêt international lancé contre cinq anciens responsables iraniens accusés d’avoir conçu et orchestré l’attaque de l’Association mutuelle israélite argentine (AMIA) en 1994. Nisman soutenait que l’Argentine avait signé un mémorandum secret avec l’Iran pour qu’une « Commission de la vérité » fasse disparaître toute preuve judiciaire recueillie dans le cas AMIA contre l’Iran et annule les mandats d’arrêts établis par Interpol pour ces cinq anciens responsables iraniens en contrepartie d’un rétablissement des relations commerciales. Il s’est appuyé sur des écoutes téléphoniques qui suggéraient cet échange avec l’Iran. En mai dernier, le tribunal a déclaré que ce mémorandum avec l’Iran était inconstitutionnel. Le 30 décembre de l’année dernière, le procureur a demandé d’enquêter sur Timerman, après la révélation d’une conversation dans laquelle il reconnaît avoir des connaissances sur la culpabilité de l’Iran dans le bombardement de l’AMIA. Au début du mois de mars, l’ancien agent de renseignement Jaime Stiuso, qui avait été en contact direct avec Nisman, a déclaré que « Nisman a été tué par un groupe lié au gouvernement précédent pour la plainte déposée contre l’ancienne présidente Cristina Kirchner ». L’ancienne présidente pourrait être appelée à témoigner devant la justice dans cette affaire.
En résumé, le nouveau gouvernement doit prendre en charge une situation extrêmement complexe. Mauricio Macri a promis « une lutte implacable contre l’inefficacité et la corruption », ainsi qu’un taux zéro de pauvreté à moyen terme. L’héritage reçu, les premiers événements liés à l’action de son gouvernement et la situation politique et sociale indiquent clairement que l’un ne va pas sans l’autre. S’il échoue, l’Argentine risque cette fois d’entrer dans une spirale de chaos et de violence incontrôlable.