Dans le contexte sanitaire difficile, la campagne électorale se poursuit aux États-Unis, alors que le centriste Joe Biden est désormais le candidat démocrate officiel qui sera opposé à Donald Trump en novembre prochain. À l’approche du scrutin, Renan-Abhinav Moog propose une analyse électorale historique de quelques États permettant de saisir les rapports de force politiques locaux, décisifs quant à l’issue du scrutin fédéral, et s’attache ici, après le Vermont, à l’État de l’Alaska.
Avant-dernier territoire à être devenu un État – le 49e –, l’Alaska est séparé du reste du territoire américain par le Canada. Auparavant, les États-Unis avaient acheté l’Alaska aux Russes pour 7,2 millions de dollars en 1867 et en 1912, l’Alaska est devenu un « territoire » pour, le 3 janvier 1959, être admis au sein de l’Union, ce qui lui a permis de participer à son premier scrutin présidentiel, en 1960.
Il est le troisième État le moins peuplé, mais le plus vaste en termes de superficie. Par ailleurs, grâce à son économie basée sur le pétrole – exploité depuis 1977 –, le gaz naturel, l’exploitation minière (charbon, fer, cuivre et or), celle des forêts, le tourisme et la pêche, l’Alaska est particulièrement riche. Il tire 90% de son budget de la manne des hydrocarbures, ce qui lui permet de verser à chacun de ses résidents âgés de plus de cinq ans un « Permanent Fund Dividend », sorte de revenu universel. Son montant était de 1606 dollars en 2019. L’État est traversé du nord au sud, sur 1287 kilomètres, par le Trans-Alaska Pipeline System, qui relie les champs pétrolifères au port de Valdez.
Du fait de sa faible population, l’Alaska n’a toujours eu que trois grands électeurs – le minimum qu’un État puisse avoir. Anchorage, ville la plus peuplée de l’État avec ses 292 000 habitants, regroupe 40% de la population alaskan, mais n’en est pas la capitale, le titre revenant à Juneau, peuplée de seulement 31 300 habitants. Fairbanks, située au centre de l’État, rassemble de son côté 31 500 habitants. Pour l’anecdote, jusqu’en 1986, Air France a desservi Tokyo en faisant escale à Anchorage.
L’Alaska élit son premier représentant à la Chambre – auparavant, il était représenté, comme les autres territoires américains, par un membre non votant – en 1958. Le premier représentant est le démocrate Ralph Rivers, qui obtient 57,5% des voix. Il est réélu largement en 1960 (56,8%), 1962 (56%), mais de façon plus serrée en 1964 (51,5%). Candidat à un cinquième mandat en 1966, il est cette fois battu par le républicain Howard Pollock, qui remporte 51,6% des suffrages. Howard Pollock est réélu en 1968, l’emportant à 54,2% face au démocrate Nick Begich.
En 1958, l’Alaska élit également ses deux premiers sénateurs. Le démocrate Bob Bartlett est élu dans un fauteuil avec 83,8% des suffrages, pour un premier mandat de deux ans. De son côté, Ernest Gruening, lui aussi démocrate, remporte 52,6% des voix contre 47,4% au GOP (Grand Old Party, Parti républicain), pour un mandat de quatre ans. En 1960, Bob Bartlett est triomphalement réélu pour un mandat complet de six ans, avec 63,4%. De son côté, Ernest Gruening est réélu en 1962, l’emportant à 58,1% face à Ted Stevens.
Depuis 1960, l’Alaska n’a voté qu’une seule fois pour un candidat démocrate à l’élection présidentielle : en 1964, Lyndon B. Johnson obtient 65,9% des suffrages. Les démocrates n’ont dépassé les 40% qu’à trois reprises : en 1960, lorsque John F. Kennedy a récolté 49,1% des voix face aux 50,9% de Richard Nixon ; en 1968 (42,6% pour Hubert Humphrey) et en 2012 (40,8% pour Barack Obama).
À trois reprises, les démocrates sont passés sous la barre des 30% des suffrages. Ce fut le cas en 1980, avec 26,4% pour Jimmy Carter, alors que le candidat libertarien, Ed Clark, décrochait 11,7%, puis en 1984 avec 29,9% pour Walter Mondale. Enfin, Al Gore n’a remporté que 27,7% des voix en 2000, très fortement concurrencé par l’écologiste Ralph Nader à qui l’Alaska offre son meilleur score national, avec 10,1%.
En 1992, l’Alaska a apporté son deuxième meilleur score (après le Maine) à l’indépendant Ross Perot, lui offrant 28,4% des suffrages, contre 30,3% à Bill Clinton et 39,5% à George H. Bush. Une performance qui ne s’est pas reproduite quatre ans plus tard : Ross Perot, retombé à 10,9%, a permis à Bob Dole de distancer largement Bill Clinton, avec 50,8% contre 33,3% des voix.
L’élection à la Chambre des représentants n’a pas non plus été très contestée depuis les années 1970.
Battu en 1968, le démocrate Nick Begich retente sa chance en 1970 et l’emporte avec 55,1% des suffrages contre 44,9% au républicain Frank Murkowski. Mais le 16 octobre 1972, alors qu’il voyageait d’Anchorage à Juneau dans le cadre de sa campagne de réélection, en compagnie de son assistant et du Majority Leader de la Chambre, le démocrate de Louisiane Hale Boggs, son avion disparaît des écrans radar. Le 7 novembre 1972, Nick Begich est néanmoins réélu avec 56,2% contre le républicain Don Young. Les recherches sont interrompues le 24 novembre 1972 et, le 29 décembre suivant, le pilote et ses quatre passages sont déclarés morts. L’appareil n’a jamais été retrouvé. Lors de l’élection partielle organisée en mars 1973, Don Young prend sa revanche en battant le candidat démocrate avec 51,4% contre 48,6%.
C’était en 1973. Nous sommes en 2020. Et le représentant du district at-large (c’est-à-dire qui regroupe l’ensemble de l’Alaska, et non une circonscription ou un district) de l’Alaska est toujours… Don Young. Ce dernier a remporté les 23 scrutins ayant suivi sa première victoire !
Côté sénatorial, le jeu est à peine plus ouvert.
Décédé en décembre 1968, le démocrate Bob Bartlett est remplacé par le républicain Ted Stevens, réélu en novembre 1970, pour terminer le mandat de Bob Bartlett, qui courait jusqu’en janvier 1973. Il sera réélu à six reprises, avant d’être battu en 2008 par Mark Begich, maire d’Anchorage et fils de Nick Begich, dans un contexte un peu particulier. En effet, le 27 octobre 2008 – une semaine seulement avant le scrutin –, Ted Stevens est reconnu coupable de sept chefs d’accusation par un jury fédéral. Alors qu’il avait remporté 78,2% des voix en 2002 contre 10,5% au candidat démocrate, Ted Stevens s’incline avec seulement 46,5% des suffrages contre 47,8% pour Mark Begich, qui devient ainsi le premier démocrate représentant l’Alaska à Washington depuis 1981. Le règne de Mark Begich est de courte durée : en 2014, il est emporté par la vague républicaine, battu par Dan Sullivan.
De son côté, Ernest Gruening perd lors de la primaire démocrate organisée avant le scrutin de novembre 1968, face à Mike Gravel, ancien speaker de la Chambre des représentants de l’Alaska. Candidat indépendant, Ernest Gruening ne remporte que 17,4% des suffrages, contre 37,4% au candidat GOP et 45,1% à Mike Gravel. Ce dernier est facilement réélu en 1974, obtenant 58,3% contre 41,7% des voix au GOP. Mais six ans plus tard, il est rattrapé par sa propre ascension électorale. Lors de la primaire démocrate, il est défié par Clark Gruening, petit-fils d’Ernest Gruening. Gruening junior fait mordre la poussière à Mike Gravel, qu’il bat facilement avec 54,9% des suffrages contre 43,5% au sortant. Clark Gruening est sévèrement battu par le président de la Banque nationale de l’Alaska, Frank Murkowski, qui le devance de 7,8 points.
Frank Murkowski, bien installé dans son siège de sénateur, est réélu jusqu’en 1998, puis démissionne en décembre 2002 après avoir été élu gouverneur, en remplacement du démocrate Tony Knowles, atteint par la limite de cumul de mandat dans le temps. En tant que gouverneur, c’est à lui de désigner son successeur au Sénat. Et il choisit… sa fille, Lisa Murkowski, qui sera élue pour un mandat complet en 2004.
En 2010, Lisa Murkowski est concurrencée par le candidat du Tea Party Joe Miller, soutenu par la gouverneure de l’État et ancienne colistière de John McCain en 2008, Sarah Palin. Contre toute attente, Lisa Miller remporte la primaire avec 50,9%. Le 17 septembre 2010, après avoir vainement tenté d’être investie par le Parti libertarien, Lisa Murkowski annonce son intention de concourir comme « Write-in » candidate. Ce type de candidature est très risquée : en effet, pour voter en sa faveur, les électeurs devront écrire son nom sur leur bulletin de vote. Finalement, Lisa Murkowski est réélue avec 39,5%, contre 35,5% à Joe Miller et 23,5% au maire démocrate de Sitka, Scott McAdams. Lisa Murkowski retrouve Miller sur sa route en 2016, cette fois sous l’étiquette libertarienne. Elle remporte 44,4% des suffrages, contre 29,2% à Miller, 13,2% à l’indépendante mais ex-GOP, Margaret Stock, et 11,6% seulement au démocrate Ray Metcalfe, lui-même ancien républicain.
Le dernier scrutin organisé en novembre 2018 en Alaska, pour désigner le gouverneur de l’État, a été le théâtre d’une scène peu courante. Le gouverneur indépendant sortant, Bill Walker, s’est en effet retiré de la course en pleine campagne afin de soutenir le candidat démocrate, Mark Begich, qui a finalement été largement battu, n’obtenant que 44,4% contre 51,4% au républicain Mike Dunleavy.