La stratégie de la Chine face au changement climatique

Responsable d’un tiers des émissions mondiales de carbone, pays vulnérable aux catastrophes climatiques, la Chine est fortement attendue dans la lutte contre le réchauffement climatique. Léa Lagesse, chargée de mission au secteur International de la Fondation, propose un décryptage des enjeux environnementaux auxquels la Chine doit faire face ainsi que son positionnement stratégique dans ce domaine.

Un enjeu de suprématie nationale et internationale

En 2007, la Chine devient le plus gros émetteur de CO2 au monde, devant les États-Unis. Deux ans plus tard, à l’occasion de la COP15 de Copenhague, Pékin s’engage à réduire de 45% son intensité carbone, c’est-à-dire les émissions de CO2 rapportées à la production de richesse du pays (PIB) d’ici à 2020 par rapport à 2005. L’objectif est atteint dès 2018, mais ne suffit pas à faire baisser les émissions chinoises de CO2. La priorité étant donnée à la croissance, le pays continue de se développer à un rythme forcené.

Le 13 janvier 2013, la pollution de l’air de Pékin atteint un pic extrême : pendant trois semaines, le niveau de concentration en particules fines dans l’atmosphère dépasse les 993 microgrammes par mètre cube – un seuil quarante fois supérieur à celui que l’Organisation mondiale de la santé estime sans risque ; à titre de comparaison en France, le seuil d’alerte se situe à 80 microgrammes par mètre cube d’air. Les médias chinois parlent d’« airpocalypse ». Les années qui suivent, des rapports d’enquête révèlent que 16% des terres et 80% des eaux souterraines peu profondes du pays sont polluées. Devant l’inquiétude majeure de la population et le risque de déstabilisation sociale encouru, le Parti communiste est forcé de reconnaître l’étendue des dégâts environnementaux et sanitaires. Xi Jinping et son Premier ministre Li Keqiang déclarent officiellement la guerre à la pollution. Le gouvernement chinois développe le concept de « civilisation écologique » et met en place un cadre législatif et institutionnel de protection environnementale.

Responsable d’environ 28% des émissions de CO2 mondiales, la Chine est paradoxalement le premier investisseur dans les énergies renouvelables avec un budget de 100 milliards de dollars par an. En voulant passer d’une économie industrielle à une économie de l’innovation, Pékin souhaite devenir leader mondial dans l’innovation et la fabrication des technologies d’énergie propre. En 2018, le parc solaire chinois représente 71% du parc mondial et, en 2020, sa production d’électricité éolienne compte pour 40% du total mondial. Pourtant, cela ne représente respectivement que 2,5% et 5,4 % de la production électrique nationale, tant les besoins en énergie de la Chine sont colossaux. Comme pour l’énergie solaire, la Chine est de loin le plus grand marché éolien du monde et demeure le premier fournisseur mondial d’équipements. Le pays se classe parmi les plus grands dépensiers publics en recherche et développement (R&D) énergétique, et se situe deuxième derrière les États-Unis en termes de dépenses dans le domaine des énergies bas carbone. D’après l’AIE, la Chine pourrait compter pour 45% des installations mondiales de capacités renouvelables en 2022-2023. Dans son rapport publié en mars 2022, l’AIE ajoute que « l’innovation en matière d’énergie propre jouera un rôle crucial pour atteindre les objectifs de la Chine en matière de pic carbone d’ici 2030 et de neutralité d’ici 2060, et figure parmi les principales priorités du gouvernement pour la période du 14e plan quinquennal (2021-2025) ».

Autre exemple de son implication dans le financement de projets avant-gardistes, la Chine accueillera la première « ville-forêt » du monde à Liuzhou Forest City, dans le sud du pays. Ce concept développé par l’architecte italien Stefano Boeri consiste à bâtir une « forêt verticale » pour améliorer la qualité de l’air dans les villes. Grâce aux 40 000 arbres et près d’un million de plantes d’une centaine d’espères différentes implantées sur les bâtiments, les objectifs du cabinet d’architecture sont d’absorber environ 10 000 tonnes de CO2, 57 tonnes de polluants, tout en produisant approximativement 900 tonnes d’oxygène. Également 100% autosuffisante en énergies renouvelables (solaire et géothermique), la ville est traversée par une ligne ferroviaire électrique et rapide. Initiés en 2020, les travaux de construction sont toujours en cours.

Une autre préoccupation écologique majeure de la Chine concerne la désertification. Chaque année, l’avancée du désert de Gobi au nord du pays avale quelque 3 000 km2 de terres arables et habitées. Ce phénomène a poussé près de 400 000 réfugiés climatiques à abandonner leurs villages. Pour tenter, entre autres, de freiner les tempêtes de sable surnommées les « dragons jaunes » qui envahissent les villes alentour, le gouvernement a lancé un vaste programme national de reforestation en 1978, intégrant la construction d’une « grande muraille verte » qui s’étendra de 4 800 kilomètres sur 1 500, le long du désert. Ce chantier pharaonique prévu jusqu’en 2050 devrait permettre aux forêts d’occuper 24% du territoire national d’ici à 2025.

Côté alimentaire, Pékin a pris conscience du phénomène de l’explosion de la consommation carnée des Chinois et de l’incapacité de la planète à suivre. Alors qu’en 1980, les Chinois ne mangeaient en moyenne que 13 kilos de viande par an et par personne, ils en consomment 46 kilos (dont 65% de viande de porc) en 2018. Avec ses 1,4 milliard d’habitants, la Chine comptait pour 28% de la viande consommée dans le monde en 2018. Elle est maintenant le plus gros consommateur et importateur de viande sur la planète, toute catégorie confondue. En 2016, Pékin annonçait l’objectif de diminuer de moitié la consommation de viande des Chinois d’ici à 2030 ; un objectif difficile à atteindre selon Steve Blake, chef du bureau de WildAid en Chine, tant il existe encore des résistances de la part des consommateurs. Sans intervention, les émissions provenant de la consommation de viande en Chine devraient augmenter de 51% d’ici à 2030. Au regard de l’impact fort de l’élevage industriel sur l’environnement, le défi pour le gouvernement va être de répondre à cette demande exponentielle sans ébranler l’engagement du pays à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. La manière dont la Chine gère la demande croissante en viande revêt une importance capitale pour la lutte contre le réchauffement climatique à l’échelle mondiale.

Une planification écologique à l’épreuve de la pénurie énergétique

Cette année, la Chine a été frappée de vagues de chaleur extrême conjuguées à des inondations record entraînant de grosses difficultés dans l’approvisionnement énergétique, la distribution d’eau et la production agricole. Tandis que les provinces de Hubei, Sichuan, Jiangxi ont subi des sécheresses exceptionnelles conduisant à une diminution de la capacité de production d’hydroélectricité, des régions du nord-ouest et du sud de la Chine ont été touchées par des pluies torrentielles entraînant des dégâts matériels et des pertes humaines considérables. Dans le Sichuan, des usines ont dû cesser leur activité en raison des pénuries d’électricité. Pour compenser ces pénuries ainsi que l’augmentation du prix de l’énergie, les autorités ont décidé de faire tourner les centrales à charbon à plein régime. Très polluant, le charbon est la source d’énergie dont le pays dépend largement pour la production de son électricité (environ 60% de son mix énergétique). Depuis le début de l’année, la production de charbon a ainsi augmenté de 11,5% par rapport à 2021 et 56% des nouvelles centrales à charbon construites dans le monde en 2021 se trouvent en Chine. Le pays afficherait alors un nouveau record de production, après celui de 4,03 milliards de tonnes extraites en 2021. Un véritable cercle vicieux quand on sait que les pénuries d’électricité sont causées par des catastrophes dues au réchauffement climatique.

La raison principale de ce phénomène est la priorité donnée à la sécurité énergétique et au développement économique. En effet, trois ans après le début de la pandémie, la croissance chinoise donne des signes de fort ralentissement. La consommation intérieure et l’industrie sont mises à mal par l’application formelle de la politique « zéro Covid ». Le secteur immobilier, principal secteur d’investissement des épargnants chinois, est en crise. Fortement dépendante de ses exportations vers l’Europe, la Chine redoute le ralentissement de l’économie mondiale, conséquence directe de la guerre en Ukraine. Du côté de l’emploi, le chômage des 16-24 ans atteint un taux record de 18,4%. Loin de la prévision officielle d’une croissance du PIB à 5,5%, certains experts prédisent un taux autour de 3% d’ici la fin de l’année 2022. En augmentant ses capacités de production de charbon, la Chine vise également à réduire sa dépendance aux importations. Ainsi, tandis que la guerre en Ukraine propulse les prix de l’énergie à des niveaux record, une étude publiée par l’Australian National University révèle que les importations chinoises de charbon pourraient chuter de 26% d’ici à 2025.

Un positionnement ambigu

Dans son discours du 20e Congrès le 16 octobre dernier, Xi Jinping déclare vouloir « accroître la planification et le développement d’un nouveau système énergétique » tout en précisant que « le charbon sera utilisé de manière plus propre et plus efficace » et que « des efforts accrus seront déployés pour explorer et développer le pétrole et le gaz naturel, découvrir davantage de réserves inexploitées et augmenter la production ». Force est de constater dans ces propos l’ambiguïté affichée dans le positionnement de la Chine vis-à-vis de sa lutte contre le réchauffement climatique.

Actuellement, le pays s’est engagé à atteindre son pic d’émission autour de 2030, avec l’intention d’y parvenir avant, et la neutralité carbone en 2060. Le 14e plan quinquennal (2021-2025) fixe la part des énergies non fossiles à 20% de son mix énergétique d’ici à 2025, et ambitionne de porter la puissance nucléaire en service à 70 GW la même année. À l’issue du sommet des leaders de la COP27, l’émissaire chinois pour le climat Xie Zhenhua a, quant à lui, déclaré que « la détermination de la Chine à participer activement à la gouvernance climatique mondiale ne reculera pas ». Les engagements nationaux du gouvernement chinois pour respecter l’accord de Paris n’ont, en revanche, pas été revus à la hausse.

L’absence de Xi Jinping à la COP27 (également absent de la COP26) nourrit les interrogations sur les intentions réelles de la Chine en matière climatique. Malgré son virage vert, le pays continue d’être pris dans ses contradictions en poussant sa croissance intérieure et sa consommation à outrance, incompatibles avec les exigences environnementales imposées par le gouvernement central. Le fait que certaines provinces aient été contraintes à l’automne 2021 de suspendre l’activité de leurs entreprises afin de respecter les quotas d’émissions carbone traduit ce paradoxe. Xi Jinping a ainsi fixé pour objectif de doubler le PIB à l’horizon 2035 par rapport à 2020 et faire de la Chine un « pays moyennement développé ». Du côté des énergies fossiles, la priorité est donnée à la stabilité énergétique. Comme le précise Li Shuo, expert climat à Greenpeace Asie, Pékin est « coincé entre deux objectifs contradictoires : maintenir ses objectifs de décarbonation et sécuriser son approvisionnement en énergie ». Ainsi, la part du charbon diminue en valeur relative, mais puisque la consommation électrique augmente, elle progresse en valeur absolue.

Pourtant, une étude du Massachusetts Institute of Technology (MIT) datant de 2018 montre que la plaine du nord de la Chine, région la plus densément peuplée et la plus importante sur le plan agricole, pourrait devenir inhabitable d’ici la fin de ce siècle, en raison de la combinaison mortelle de chaleur et d’humidité. D’après le professeur Elfatih Eltahir du MIT, « la Chine est actuellement le plus grand contributeur aux émissions de gaz à effet de serre, avec des implications potentiellement graves pour sa propre population ». À moins que des mesures drastiques ne soient prises pour réduire les émissions de carbone, cette région qui s’étend de Pékin à Shanghai et abrite 400 millions d’habitants pourrait être confrontée à de telles conditions mortelles à plusieurs reprises entre 2070 et 2100. De même, malgré les efforts déployés pour replanter des forêts entières détruites sous l’ère Mao, les tempêtes de sable continuent de recouvrir Pékin et le nord du pays. Pour Liu Junyan, activiste de Greenpeace Chine, « planter des arbres n’est pas suffisant. Les températures extrêmes, la sécheresse et la dégradation des écosystèmes sont directement liées au réchauffement climatique, autant de facteurs qui contribuent aux tempêtes de sable et à l’avancée du désert. Il n’y a pas d’autre choix que d’accélérer les mesures qui permettent de lutter contre le changement climatique. »

Conclusion

Susceptible de devenir la première puissance mondiale, la Chine a fait de la bataille climatique un enjeu de suprématie nationale et internationale. Territoire particulièrement vulnérable et exposé aux désastres environnementaux, force est pourtant de constater le véritable paradoxe dans lequel se positionne le pays. Premier investisseur mondial dans les énergies renouvelables, la Chine demeure le premier pollueur de la planète ; pays de l’« airpocalypse », elle accueillera prochainement la première ville-forêt du monde.

L’ambition de la Chine de devenir leader en énergies vertes s’inscrit dans une véritable stratégie d’innovation de Pékin. À ce titre, si les objectifs climatiques de la Chine ne sont pas remis en cause selon certains observateurs, ils seront en revanche plus coûteux. Dans la mesure où le pays est responsable d’un tiers des émissions mondiales de carbone, les actions climatiques menées par la Chine et le choix du modèle de consommation de ses 1,4 milliard d’habitants revêtent une importance capitale pour la nation et le reste du monde. Rappelons qu’une grande partie des émissions chinoises sont liées à des produits exportés vers l’Europe ; à ce titre, il est également de notre responsabilité de raccourcir et optimiser nos chaînes d’approvisionnement. Sans réduction de ses émissions, la Chine risque de connaître des vagues de chaleur de plus en plus meurtrières, des inondations dévastatrices et des pertes de terres agricoles précieuses. Comme le précise la directrice d’Oxfam-France Cécile Duflot, si ses habitants sont exposés au scénario gravissime d’extrême température combinée à une extrême humidité, « la Chine serait capable de faire un virage d’une grande rapidité » car elle bénéficierait d’une marge de manœuvre qu’un système démocratique n’admet pas. C’est en effet une possibilité. Mais à cette affirmation, la question se pose : pourquoi attendre d’être confronté au pire scénario possible pour n’avoir d’autre choix que d’engager une diminution drastique de ses émissions de gaz à effet de serre ? Pour le géant asiatique qui table sur le développement économique, il est fort à craindre que les catastrophes climatiques mettant en danger des centaines de millions de Chinois ne provoquent l’effet complètement inverse. Le cas de la Chine risque de révéler de la manière la plus brutale l’incompatibilité entre croissance forcenée et lutte contre le réchauffement climatique.

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