La réutilisation des données publiques : quelle place pour le service public culturel ?

A l’heure de l’émergence de l’open data ou d’Etalab, les citoyens affirment leur volonté de s’approprier les données publiques, à la fois dans un souci de transparence, de connaissance et de partage. La réutilisation de ces données pose un certain nombre de défis, au premier chef celui de la place du service public culturel.

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A l’heure de l’émergence de l’open data (notamment à Rennes, Brest et Paris) ou encore d’Etalab, les citoyens affirment de manière croissante leur désir de s’approprier les données publiques, à la fois dans un souci de transparence, de connaissance et de partage. La réutilisation des données publiques fait alors partie intégrante de la vie de la Cité, qui plus est par l’avènement du numérique, désormais incontournable dans tout projet d’appropriation et de réutilisation (bien que la réutilisation des données publiques existait avant l’émergence du numérique). Intégrée dans un cadre législatif relativement clair (directive européenne du 17/11/2003 ; ordonnance en France du 6 juin 2005), le droit français a ajouté un objectif économique certain à la réutilisation des données publiques, dont le but est à la fois de créer un marché et d’accroître les ressources propres des institutions publiques grâce à l’instauration de redevances. L’open data semble toutefois remettre en cause ce second aspect, porté par les principes de liberté et de gratuité totale. D’une manière générale, la réutilisation ne peut se réduire uniquement à l’économie, laissant inévitablement un espace de liberté aux utilisateurs.
Quand est-il de ce fait pour le service public culturel ? La réutilisation des données publiques culturelles a-t-elle un sens ? Il semble dans un premier temps que ce secteur soit encore en prospective, à la recherche d’une meilleure utilisation possible du numérique. Premier problème, les données publiques culturelles sont pour le moment exclues du périmètre d’Etalab, placé sous l’autorité du Premier ministre. Cependant, il est évident que le numérique, de par son omniprésence et ses facultés propres, offrent des perspectives de développement nouvelles aux données publiques culturelles. Plusieurs aspects sembleraient en tout cas confortés par le numérique : la collaboration entre internautes et l’exploitation commune des données, la participation active de ces derniers sur les sites, la simplification de l’accès aux données réutilisables (point des plus importants dans le cas des personnes à mobilité réduite), et enfin l’appropriation véritable des données grâce au téléchargement.
Ainsi, le service public culturel doit-il favoriser le développement des pratiques collaboratives et participatives ? Certains suggèrent de laisser la liberté d’initiative aux ré-utilisateurs et prônent un désengagement total du service public culturel envers la réutilisation, rendant de fait impossible une véritable médiation avec le public. Or, du fait de la spécificité des biens culturels, l’intervention de professionnels semblerait légitime. Loin d’être un « formatage » intellectuel, la médiation offerte par le numérique permettrait à chacun de tirer le plus grand bénéfice de sa relation avec la culture, bénéfice tant intellectuel que sensible. Cette médiation aurait alors un caractère « initiatique » nécessaire à une bonne compréhension et une bonne perception de tout bien culturel.
Ainsi, pour les auteurs de la Note, le service public culturel doit être un acteur majeur de la réutilisation et doit par conséquent s’en donner les moyens. Le première objectif est de favoriser et de revaloriser l’approche qualitative : sans nier les démarches déjà initiées par les institutions culturelles en faveur de la réutilisation (initiation à l’art destinée aux enfants dans les musées, soutien aux ateliers de création animés par les artistes…), le service public culturel doit accentuer ses efforts en faveur de la réutilisation numérique, véritable « multiplicateur de champ des possibles en matière de réutilisation ». La démarche participative dans la réutilisation doit alors être de mise, les internautes qui le souhaitent se devant de participer à la vie culturelle dans toutes ses dimensions. D’une manière générale, il faut à la fois moins mettre en ligne et mieux mettre en ligne.
De plus, les moyens consacrés au développement du numérique dans la réutilisation doivent être accentués, étant à ce jour insuffisants (le ministère de la Culture consacre moins de quatre millions d’euros au numérique). L’effort en faveur des services numériques innovants est également limité. D’une manière générale, les crédits alloués au numérique ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, bien que les collectivités locales et certains grands établissements publics culturels investissent beaucoup dans ce domaine.
En outre, pour une approche efficace et pertinente, le service public culturel ne pourra se passer de l’expertise de ses professionnels (sélection de ce qui peut être réutilisé, aide envers les utilisateurs pour une bonne appropriation, déchiffrage de documents anciens…). Garants de la qualité des contenus proposés par les internautes, les professionnels du service public culturel devront de fait être mobilisés dans cette politique de réutilisation, et donc être mieux formés aux outils qui leur sont proposés.
L’autre enjeu majeur, c’est la cohérence vis-à-vis de la réutilisation par des acteurs privés. Les conditions de cette réutilisation doivent bien sûr être définies (respect des droits de propriété intellectuelle, ne pas dénaturer les données réutilisées…), sans nier la pertinence d’une tarification lorsque la réutilisation est employée à des fins commerciales. L’enjeu de la gratuité et de la tarification doit également prendre en compte la distinction entre réutilisation de données publiques brutes (séries, statistiques…) – qui doivent être gratuites – et la réutilisation de données publiques enrichies (images numériques de documents ; informations administratives structurées) qui peuvent justifier une redevance.
Le web collaboratif offre donc des perspectives nouvelles et pertinentes dans les stratégies de réutilisation des données publiques culturelles. Etant aujourd’hui l’un des secteurs les plus discriminants socialement, la culture peut, grâce au numérique, permettre la participation de tous les publics sans distinction sociale et spatiale. Une politique de réutilisation appuyée par le numérique nécessitera nécessairement une « petite révolution culturelle », mais dont le service public et les populations tireront largement profit. C’est ce défi managérial que doivent désormais relever les chefs d’établissement publics culturels.

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