La proximité des électorats du Front national et du Front de gauche : mythe ou réalité ?

Peut-on parler de proximité, voire de porosité entre les électorats du Front de gauche et du Front national ? Dans cette étude très éclairante, Chloé Alexandre démontre que ce « bloc des extrêmes » est, jusqu’à présent, une illusion, à la fois politique, sociologique et électorale.

L’idée que le Front national et le Front de gauche partagent un même électorat et qu’un transfert de voix s’opère entre ces deux candidatures – le plus souvent en faveur du FN – est-elle fondée ou trahit-elle une illusion ? A partir de l’enquête postélectorale 2012 du Cevipof, Chloé Alexandre dénonce un préjugé et fournit une autre explication à l’essor du vote frontiste et à la stagnation de la gauche radicale.

Quel est l’état de la demande d’alternative en France, demande qui est au principe du vote pour le Front de gauche ou le Front national, et comment évolue-t-elle ? Entre 2007 et 2012, la critique du système politique et démocratique, celle qui vise les politiques économiques libérales et la demande de changement dans l’ouverture économique et culturelle n’ont pas connu de véritable hausse, si ce n’est concernant le rejet de la mondialisation.

La demande qui existe sur ces trois dimensions n’est pas portée par le même type d’individus, pas plus que le Front national et le Front de gauche n’attirent les mêmes électeurs. Les électeurs du FN sont caractérisés par leur antisystémisme, antimondialisation, euroscepticisme et xénophobie. Les questions de politiques économiques ne structurent pas le vote FN. Sur le plan sociodémographique, ce vote est surreprésenté chez les ouvriers et employés, habitants de petites villes périphériques, à revenus faibles et peu ou pas diplômés. Ces personnes sont aussi celles qui sont les moins intéressées par la politique, bien que nombreuses à s’auto-déclarer à l’extrême droite.

Les électeurs du Front de gauche sont plus caractérisés, quant à eux, par leur antilibéralisme, antimondialisation et rejet de la xénophobie. Ni l’Europe ni l’antisystémisme ne sont structurants. Le profil sociodémographique est hétérogène, avec une surreprésentation chez les diplômés du supérieur mais aussi chez les individus à faibles et moyens revenus. Le profil politique est plus parlant, quasiment tous s’auto-positionnent à gauche, dont une grosse partie très à gauche.

Les deux électorats sont bien différents et il est ainsi peu probable que le Front national attire vers lui des électeurs du Front de gauche et réciproquement. Les divergences sont fortes et sans appel, notamment sur la question de l’immigration, ce qui rend très peu probable une union des « souverainismes des deux bords ».

Malgré les bons résultats de chaque parti lors de l’élection présidentielle 2012, seul le FN conserve une dynamique de conquête, tandis que le résultat du Front de gauche en 2012 apparaît comme une percée conjoncturelle. Comment expliquer cette différence de succès ? Une piste de réponse se trouve dans la capacité de ces mouvements politiques à mobiliser leur électorat potentiel respectif. Tandis que le FN maximise son score dans son électorat potentiel, mobilisant ses électeurs et concentrant sur sa candidature électeurs de droite xénophobes et électeurs antisystème rejetant gauche comme droite, le Front de gauche peine à faire de même avec son propre électorat potentiel de gauche, antilibéral mais non xénophobe. Le Front de gauche est toujours devancé par le Parti socialiste, même dans ses catégories de prédilection.

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