La place de l’iran et de la Russie dans le conflit syrien

Alors que la situation politique, militaire et humanitaire en Syrie demeure dramatique et sans espoir d’issue à court et moyen terme, Daria Demchuk, spécialiste des relations russo-iraniennes au sein de Thinkestân/Lettres persanes, analyse les rôles et les intérêts de l’Iran et de la Russie dans ce conflit et, en résonance, sur l’échiquier régional et international.

Le conflit armé en Syrie, commencé comme la plupart des révolutions du printemps arabe, s’est vite transformé en guerre sanglante qui dure déjà depuis presque sept ans et qui, selon différentes ONG, a déjà fait plus de 500 000 morts. Plus de la moitié de la population syrienne a fui le conflit. De plus, c’est au cours de cette guerre que l’État islamique a vu le jour, après s’être détaché d’Al-Qaida. Aujourd’hui, la Syrie représente un grand champ de bataille de tous contre tous. Les nombreux groupes d’opposants, les organisations radicales et islamistes ne concluent que des alliances de très court terme. Le territoire national est partagé entre le régime officiel de Bachar Al-Assad, qui ne contrôle que la partie est de la Syrie, les différentes forces de l’opposition, les groupes affiliés à l’État islamique qui occupent le centre et le sud, et enfin les Kurdes qui ont quasiment créé leur propre État au nord du pays. Les seuls alliés du régime de Bachar al-Assad dans ce conflit demeurent Moscou et Téhéran. Sans les envois réguliers d’armes et de soldats en provenance de Russie et d’Iran, le pouvoir central se serait effondré depuis bien longtemps.       

S’esquisse au Moyen-Orient, notamment en Irak et en Syrie, une dynamique selon laquelle les conflits n’opposent plus des forces locales mais des puissances mondiales, comme la Russie et les États-Unis. À cette opposition des « Grands » s’ajoutent aussi des antagonismes forts entre puissances régionales – notamment entre l’Iran et l’Arabie Saoudite qui, tous les deux, souhaitent avoir un rôle international en soutenant différentes organisations radicales et nationalistes, ainsi qu’en jouant sur le marché des ressources naturelles. La collaboration russo-iranienne ne se limite pas uniquement à la résolution de la question syrienne. La Russie a soutenu le dossier nucléaire iranien devant la communauté internationale, les deux pays ont des projets communs, tant sur le plan culturel qu’économique… S’agit-il alors d’une alliance de circonstance, qui prendra fin une fois le conflit terminé, ou bien d’un axe géopolitique durable ?

Pourquoi la Russie et l’Iran sont-ils intervenus dans le conflit syrien ?

C’est sur la base d’un traité d’amitié et de collaboration, signé en 1980, que le président Bachar Al-Assad a sollicité l’aide militaire de la Russie, en septembre 2015. Le 30 septembre 2015, Vladimir Poutine obtient l’accord du Conseil de la Fédération sur l’utilisation des capacités aériennes russes sur le sol syrien. 

Quant à l’Iran, il est devenu l’allié de la Syrie à partir de 1979, au lendemain de la révolution islamique. Au début du conflit, l’Iran s’est contenté d’offrir une aide technique et de formation des soldats du régime, en envoyant des instructeurs du Hezbollah, qui, dès 2013, participent ouvertement aux opérations militaires du régime alaouite. Cet appui iranien en Syrie s’explique d’abord par une crainte, celle d’y voir naître un Kurdistan indépendant, susceptible d’embraser les velléités sécessionnistes des Kurdes iraniens. De plus, Bachar Al-Assad et l’ensemble de l’administration syrienne sont alaouites, une branche du chiisme, reconnue comme telle en 1973. Ainsi, à la dimension politico-laïque, s’ajoute également la dimension religieuse, malgré les différences avec le chiisme duodécimain, la religion officielle de la République islamique. Enfin, l’Iran souhaite le maintien du régime syrien car son influence au Liban lui est profitable : depuis la fin de la guerre civile libanaise, le Hezbollah, parti politique chiite, est devenu une force politique de premier ordre au Liban et, de par ses ressources matérielles et humaines, possède une capacité d’action et de nuisance en Syrie et en Israël. Ainsi, en maintenant Bachar Al-Assad au pouvoir, l’Iran s’assure le contrôle du « croissant chiite », c’est-à-dire l’ensemble des territoires où la majorité de la population est chiite : le sud du Liban (où se trouve la plupart des camps d’entraînement du Hezbollah), la Syrie, l’Irak (qui, depuis la chute du régime de Saddam Hussein, est dirigé par un pouvoir chiite, avec Hayder Al-Abadi) et le Bahreïn, dont la population chiite est très réceptive aux idées du gouvernement iranien.

C’est en prenant en compte les intérêts de chacun de ces pays que la Russie et l’Iran ont décidé d’intervenir en Syrie. Il faut souligner que l’Iran a commencé à envoyer ses soldats pour les combats au sol en Syrie peu avant le 30 septembre 2015. Au total, le nombre de conseillers militaires iraniens, dont des pasdarans, est passé de 700 à près de 3000. Afin de mieux coordonner leurs opérations, la Syrie, la Russie, l’Iran et l’Irak ont fait construire un centre stratégique à Badgad.

Les deux guerres en Syrie : les confrontations Russie-États-Unis, Iran-Arabie Saoudite

Ce n’est un secret pour personne que de dire que le conflit syrien est, en réalité, la guerre des « Grands » sur son sol. La Syrie dispose à la fois d’un accès sur la mer Méditerranée et se trouve au centre du Moyen-Orient, une position stratégique à partir de laquelle des puissances étrangères pensent pouvoir obtenir, en soutenant Damas, des avantages économiques et géopolitiques, notamment un accès aux territoires situés entre l’Inde et les frontières du sud-est de l’Europe.

Il y a donc bien deux niveaux de confrontation : un niveau régional – entre les deux rivaux traditionnels, l’Iran et l’Arabie Saoudite – et un niveau global, entre la Russie et les États-Unis, alliés respectifs de l’Iran et de l’Arabie Saoudite.

L’Arabie Saoudite soutient surtout les forces de l’opposition sunnite, visant in fine à l’arrivée au pouvoir d’un groupe islamiste salafiste loyal au régime saoudien. Depuis le début du conflit en 2011, l’Arabie Saoudite a joué le rôle de soutien principal des forces sunnites salafistes anti-Assad, comme « Jabhat an-Nousra » ou encore « Ahrar Ash-Sham ». Parallèlement, l’Iran, tout en envoyant des hommes en Syrie, finance l’activité du Hezbollah, engagé aux côtés du régime syrien. De guerre civile, le conflit syrien est devenu une guerre qui oppose sunnites et chiites.

Le sol syrien est aussi le théâtre de la rivalité entre la Russie et les États-Unis. S’ils énoncent tous deux les mêmes objectifs – lutter contre le terrorisme et contre l’État islamique – les incidents opposant la coalition internationale, menée par les États-Unis, et la Russie, se sont multipliés (le dernier en date s’est déroulé début février 2018). Les deux « Grands » se disputent notamment le contrôle du sol et de l’espace aérien syriens.

Quant aux États-Unis, ils poursuivent trois buts principaux : approfondir leur présence militaire en Syrie et endiguer l’influence de l’Iran dans la région – ce qui passe par la fin du régime d’Assad. Aucun de ces objectifs ne vise directement la Russie mais ils restent néanmoins incompatibles avec les intérêts russes dans la région.

Des alliés ad hoc ou une véritable collaboration stratégique sur le long terme ?

Bien qu’apparaissant proches lors des négociations d’Astana, la Russie et l’Iran sont loin d’être de véritables alliés qui partageraient la même approche quant à la résolution du conflit syrien.

Pour Moscou, l’intervention en Syrie n’est motivée que par la volonté d’éliminer les organisations terroristes et leurs équipements, tandis que Téhéran cible l’ensemble des forces d’opposition sur le territoire syrien. Vladimir Poutine a affirmé que « la Russie respecte les intérêts nationaux de l’Iran dans la région mais la Russie, la Turquie et l’Arabie Saoudite ont également leurs propres intérêts nationaux », faisant en creux référence aux contrats de vente d’armes entre la Russie et l’Arabie Saoudite. De plus, l’essor de l’influence iranienne inquiète à la fois la Turquie et Israël, deux autres partenaires de la Russie. Dans ce contexte, le Kremlin pourrait accepter une solution politique sans Bachar Al-Assad, le maintien de ce dernier au pouvoir pouvant contrarier les relations russes avec Israël, la Turquie et l’Arabie Saoudite.

C’est sur ce point-là que divergent profondément les positions russe et iranienne. Selon le professeur Abd-al-Rasoul Davsalar, spécialiste des relations russo-iraniennes, « le Moyen-Orient ne représente pas la région prioritaire dans la politique extérieure de la Russie, il n’est que le moyen pour atteindre des objectifs plus globaux – le retour au statut de puissance mondiale ainsi que l’obtention d’un rôle plus important en Europe. En même temps, pour l’Iran, le régime de Bachar Al-Assad est le meilleur allié dans la région. Par conséquent, son maintien est l’une des priorités de la politique extérieure iranienne ».

Conclusion

Le maintien de Bachar Al-Assad au pouvoir dépend largement du soutien militaire de la Russie et de l’Iran. Ces deux puissances souhaitent que soit respectée l’intégrité territoriale syrienne, et notamment l’Iran qui redoute la création d’un État kurde indépendant et craint également de voir les Alaouites ne pas se maintenir au pouvoir.

La présence de la Russie est un élément fondamental de l’équilibre des forces dans la région. Si jamais elle se retire du jeu géopolitique, l’Iran, les États-Unis, la Turquie ou d’autres pays du Golfe tenteront alors de combler ce vide. Il est évident que les conséquences de cet éventuel nouveau conflit entre ces différents pays seraient dévastatrices pour tout le Moyen-Orient.

L’Iran en Syrie est face à un dilemme. D’un coté, Téhéran souhaiterait maintenir un statu quo favorable à la diffusion de son influence en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen. Mais, d’un autre côté, cette présence régionale lui est coûteuse et le maintien de ses forces militaires en Syrie n’est pas acceptable pour les autres pays.

Sur le même thème