Le cycle qui débute en 1971 au congrès d’Epinay et s’achève en 1995 avec la fin du second septennat de François Mitterrand, représente un moment charnière dans l’histoire du socialisme français, marqué notamment par la conquête puis l’exercice durable du pouvoir. Constitutive de l’identité socialiste actuelle, cette période est à la fois un passé commun et un objet de mémoire controversé pour les membres du Parti socialiste.
S’interroger sur la mémoire de ce passé proche constituait ainsi pour nous un moyen détourné d’appréhender la réalité actuelle d’un parti et de ses militants. Mais à travers la mise au jour des discours concurrents qui s’expriment à l’intérieur de la sphère partisane, c’était aussi les difficultés et les hésitations de la transition que nous entendions étudier. La mémoire du mitterrandisme au sein du Parti socialiste, c’est ainsi à nos yeux aussi bien un contenu à identifier, un stock d’images communes à propos d’une période passée, qu’un processus à analyser, celui de l’élaboration parfois conflictuelle de cette représentation du passé.
La dimension partagée de la mémoire, loin d’être un postulat de départ, constitue au contraire l’un des points d’interrogation d’une étude qui s’attache à identifier et à confronter les différents vecteurs de mémoires au sein du parti, discours officiels, commémorations, production historique, témoignages de personnalités, mais aussi souvenirs individuels recueillis par entretien. Enjeu de pouvoir à l’intérieur d’un parti en transition, la représentation de la période mitterrandienne est l’objet de conflits internes qui mettent aux prises autour de clivages évolutifs, fidèles et adversaires de l’ancien Président, partisans de la rupture et défenseurs de l’héritage.
A côté d’une position officielle qui fluctue au gré des circonstances, d’autres discours « autorisés », portés par des personnalités légitimes, cherchent à diffuser une lecture alternative du passé. Au-delà toutefois de ces représentations institutionnelles, la mémoire d’un parti, ce sont aussi les souvenirs individuels d’évènements vécus que conserve chaque militant, ou du moins qu’il reconstruit en fonction d’une trajectoire singulière. En ne nous contentant pas des seules expressions officielles d’un rapport au passé, et en sollicitant les souvenirs d’une vingtaine de militants, c’est la mémoire « vive » du parti que nous avons cherché à saisir. Marquée par des groupes de référence extérieurs au parti, famille ou communauté amicale, imprégnée d’une plus grande part d’affectivité dans le rapport à l’homme François Mitterrand, celle-ci n’en est pas moins influencée par les différents discours autorisés qui fournissent des cadres de lecture à l’intérieur desquels viennent s’ordonner les souvenirs individuels.
La mémoire socialiste du mitterrandisme, loin d’être un ensemble homogène, se situe à l’interaction entre ces différents pôles. Structurée par des clivages historiques, entre mitterrandistes et rocardiens ou entre partisans et adversaires du « droit d’inventaire », elle n’est véritablement collective que quand il y a rencontre entre les intérêts tactiques de la direction et le vécu militant, dans l’exploitation affective de la référence à l’homme du 10 mai, comme dans l’occultation des heures troublées du second septennat.
Cette étude est issue d’un travail de recherche universitaire, lauréat du Prix de la Fondation Jean-Jaurès en 2002.