La lutte contre le coronavirus aux Pays-Bas

Comment les Pays-Bas font-ils face à l’épidémie de Covid-19? Eva Krivka, policy officer à la Fondation Max van der Stoel, analyse la stratégie du gouvernement de Mark Rutte qui a mis en place « un confinement intelligent » dans le but d’aboutir à une « immunité collective », dont les effets restent, cependant, à ce jour incertains. Eva Krivka rappelle aussi que les Pays-Bas ont été vivement critiqués par les États membres d’Europe du sud pour leur refus du partage de la dette et des euro-obligations.

Le premier cas de Covid-19 aux Pays-Bas a été signalé le 27 février 2020. Près de deux mois plus tard, le pays compte un peu plus de 28 000 personnes infectées et 3134 décès. Le nombre de personnes contaminées et de décès serait en réalité bien plus élevé, une différence qui s’explique par le nombre insuffisant de tests réalisés. Les Pays-Bas ont la capacité d’effectuer environ 17 500 tests par jour, avec la possibilité de passer à 29 000 tests quotidiens si nécessaire. Les autorités ne peuvent donc pas tester tous les citoyens. Le gouvernement néerlandais concentre ses capacités de test sur les populations les plus à risque de contracter le virus, à savoir le personnel de santé, et les personnes plus vulnérables souffrant de pathologies sous-jacentes. Les patients qui présentent de légers symptômes mais n’entrent pas dans l’une de ces deux catégories ne sont donc bien souvent pas testés. Cette démarche a un impact considérable sur la fiabilité des statistiques globales. /sites/default/files/redac/commun/productions/2020/2204/coronavirus_measures_in_the_netherlands.pdf

Les mesures du gouvernement

Le gouvernement néerlandais a toutefois pris certaines mesures sérieuses pour enrayer la propagation du virus. Les premières datent du 6 mars dernier dans la province du Brabant-Septentrional (dans le sud du pays), où une augmentation du nombre de cas a été constatée suite aux festivités organisées à l’occasion du carnaval. Les autorités ont exhorté toutes les personnes présentant des symptômes similaires à celui d’un rhume, de la fièvre ou de la toux à rester chez elles. Trois jours plus tard, de nouvelles mesures ont été prises à l’échelle du pays : les autorités ont demandé aux citoyens de ne plus se serrer la main, de tousser et d’éternuer dans le pli de leur coude et de se laver les mains régulièrement et pendant au moins vingt secondes. La semaine suivante, alors que le nombre de cas continuait d’augmenter, le Premier ministre Mark Rutte a annoncé que jusqu’au 6 avril 2020 au moins, tous les événements réunissant plus de 100 personnes seraient annulés, que tous les établissements scolaires, crèches, hôtels, restaurants et cafés devraient fermer leurs portes à 18 heures ce jour-là et que les citoyens devraient travailler de chez eux autant que possible. 

Outre les inquiétudes liées à la propagation du virus, les autorités néerlandaises redoutaient de plus en plus la saturation des unités de soins intensifs dans les hôpitaux. Le Premier ministre a annoncé que le nombre de lits au sein de ces unités pourrait passer de 1150 à 2000 si nécessaire, et que la capacité pourrait même être portée à 2400 lits. 

Au vu de ces préoccupations croissantes, le Premier ministre a décidé le 23 mars dernier d’adopter une nouvelle approche : le « confinement intelligent ». Cette approche consiste à éviter un confinement total comme en Italie ou en Espagne, et à compter sur le bon sens de la population et plusieurs nouvelles mesures pour enrayer la propagation du virus et alléger un peu la pression exercée sur le système de santé.

Trois approches différentes

La première et la principale raison pour laquelle ce type de confinement a été choisi est qu’il s’agit du meilleur moyen d’aboutir à une « immunité collective ». Comme l’a expliqué le Premier ministre, il existe trois approches différentes pour lutter contre le coronavirus. La première est celle adoptée par l’Italie et l’Espagne : un confinement total pour stopper la propagation du virus et alléger la pression sur le système de santé. Mais le problème avec cette approche, c’est qu’une fois le confinement levé, les citoyens recommencent à entrer en contact les uns avec les autres ; il est très probable que le virus revienne en force presque immédiatement et que le nombre de cas recommence à grimper en flèche. La deuxième approche envisagée par le Premier ministre Rutte consistait à ne rien faire, à ne prendre aucune mesure, dans le but de parvenir plus rapidement à une immunité collective. Mais dans un premier temps, une telle solution aurait conduit à une augmentation du nombre de décès et très certainement à la surcharge du système de santé. Le Premier ministre a donc annoncé que le gouvernement suivrait une troisième approche, à savoir celle de la « propagation contrôlée » au travers d’un « confinement intelligent ». Le gouvernement s’emploiera donc à protéger les personnes les plus vulnérables au sein de la société ainsi que le système de santé en adoptant des mesures qui permettront d’enrayer partiellement la propagation du virus. Le gouvernement n’interdit pas à ses citoyens de sortir, mais il les encourage à ne le faire que lorsque cela est absolument nécessaire (par exemple, pour faire des courses ou de l’exercice). La réalité est telle qu’il est impossible de stopper complètement la propagation du virus, mais il est possible de l’orienter de sorte que les personnes ayant le plus de chances d’y survivre (par exemple, les jeunes) soient infectées à la place des populations vulnérables. Reste à espérer que cette stratégie permettra de développer une immunité collective avec le temps et d’aplatir la courbe dès maintenant.

Le concept de l’« immunité collective » demeure néanmoins très controversé. Jusqu’à présent, il n’a en effet pas été prouvé qu’une personne ayant contracté le Covid-19 était par la suite immunisée. Le choix du Premier ministre Rutte a été vivement critiqué par les Néerlandais, car il pourrait coûter la vie à de nombreux citoyens sans garantie de résultats. Le virus étant relativement nouveau, il demeure très imprévisible. Il n’existe aucune garantie d’immunité suite à la contraction du virus et il n’est pas non plus possible de savoir comment les « populations non vulnérables » y réagiront. De plus en plus de jeunes sont admis aux soins intensifs, non seulement aux Pays-Bas, mais aussi ailleurs dans le monde, ce qui montre que le système de santé pourrait tout de même être gravement surchargé avec une telle approche. 

En quoi consiste le « confinement intelligent » ? 

Le gouvernement néerlandais est cependant convaincu que la stratégie du « confinement intelligent » constitue la meilleure des trois approches possibles. Étant donné que les citoyens sont autorisés à sortir, le gouvernement a mis en œuvre des mesures destinées aux espaces publics. Une fois dehors, les citoyens doivent se tenir à 1,5 mètre les uns des autres et une nouvelle mesure introduite par la suite a interdit la formation de groupes de trois personnes ou plus, afin de ralentir la propagation du virus. Le non-respect de cette règle est puni par une amende pouvant aller jusqu’à 400 euros par personne du groupe en question.  

En outre, de plus en plus d’entreprises, telles que les salons de coiffure et de manucure, ont dû fermer car elles ne pouvaient pas garantir le respect d’une distance de 1,5 mètre entre les individus. Les magasins tels que les épiceries, mais aussi les magasins de vêtements qui n’ont jusqu’à présent pas été obligés de fermer, se sont vu imposer des mesures strictes pour garantir une distance de 1,5 mètre entre les personnes et éviter les foules. L’amende en cas de non-respect de ces règles peut grimper jusqu’à 4000 euros pour ces commerçants. 

Aides et conséquences économiques

Dans le même temps, le gouvernement a annoncé des aides financières d’urgence et temporaires pour les entrepreneurs et les indépendants. Ce paquet de mesures comprend un revenu temporaire, une aide pour le paiement des salaires, un report de l’impôt et un assouplissement des crédits. Les secteurs culturels et créatifs peuvent également bénéficier d’une partie de ces aides. 

Un entrepreneur qui s’attend à perdre au moins 20% de son chiffre d’affaires peut introduire une demande auprès de l’Institut des assurances sociales (UWV en néerlandais), afin de bénéficier d’une aide couvrant jusqu’à 90% de ses coûts de main-d’œuvre (en fonction du pourcentage de diminution du chiffre d’affaires) pendant trois mois maximum. L’UWV débloquera dans un premier temps une avance de 80% de l’aide demandée, à condition qu’aucun membre du personnel ne soit licencié pour raisons économiques au cours de la période couverte par l’aide.

Les entrepreneurs ne sont pas les seuls à souffrir financièrement en cette période. L’ensemble de l’économie néerlandaise est mise à rude épreuve. Selon le Fonds monétaire international (FMI), l’économie des Pays-Bas se contractera de 7,5% en 2020, contre les 3% prévus pour l’économie mondiale. Le FMI prévoit qu’au deuxième semestre de 2020, l’économie mondiale se redressera dans une certaine mesure, pour peu que la situation liée à la pandémie de Covid-19 se stabilise bientôt. Si tel est le cas, l’économie mondiale dans son ensemble enregistrera probablement une croissance de 5,8% en 2021. L’économie néerlandaise empruntera elle aussi le chemin de la relance et devrait afficher une croissance de 3% en 2021. 

Euro-obligations et critiques internationales

Il est aujourd’hui évident que tous les pays sont concernés par la crise du coronavirus. La plupart des pays d’Europe sont en confinement, ce qui pousse l’Union européenne à chercher une réponse collective à l’impact économique de la pandémie. Les pays qui sont les plus durement frappés par le coronavirus, tels que l’Italie ou l’Espagne, sont ceux qui étaient déjà les plus endettés et ils ne seront certainement pas capables d’assumer le poids de la nouvelle dette qui résultera de la lutte contre le virus. Cette situation place l’Europe face à un dilemme. Ces pays ont besoin de pouvoir emprunter de l’argent pour relancer leur secteur privé, mais un nouvel endettement les placera de facto en situation de défaut de paiement, fera couler les banques et la partie du secteur privé qui était encore debout. 

La seule manière de sortir de ce dilemme est de répartir cette nouvelle « dette corona » – que tous les pays de l’UE devront inévitablement générer – entre les membres de la zone euro. Les pays les plus endettés pourraient ainsi voir leur fardeau quelque peu allégé. Le seul problème avec une telle approche est que le partage du poids de la dette est interdit par les traités à l’origine de la création de la zone euro. Pourtant, ces dernières semaines, le gouvernement français ainsi que les gouvernements de huit pays du sud de l’Europe ont demandé à ce qu’une nouvelle réflexion soit menée sur le partage de la dette, car en l’absence d’une telle mesure, c’est la stagnation économique qui attend tous les pays européens. Ils ont demandé la création d’« euro-obligations », des titres de créance communs qui permettraient de réduire la dette totale à long terme en transférant une partie de celle-ci depuis les États membres fortement endettés vers la zone euro qui, elle, ne l’est pas du tout. 

Les Pays-Bas ont été vivement critiqués sur la scène internationale pour leur position à l’égard des euro-obligations. Le Premier ministre Rutte a annoncé que le gouvernement néerlandais n’accepterait pas l’émission d’euro-obligations et qu’il préfèrerait également que le fonds d’urgence (MES) n’accorde pas des milliards d’euros de prêts à des pays tels que l’Italie et l’Espagne. La raison avancée par les Pays-Bas pour le refus d’accorder de tels crédits est qu’étant donné que tous les pays de l’UE contribuent au fonds, les Pays-Bas se retrouveraient au final très certainement à payer la dette nationale de l’Espagne et de l’Italie sans n’avoir jamais eu à utiliser ce fonds eux-mêmes. Ils continueraient donc à investir sans jamais bénéficier d’un retour pour leur propre pays. Même si d’autres pays, tels que l’Allemagne, l’Autriche et la Finlande, émettent aussi des réserves à l’égard de ces euro-obligations, les Pays-Bas sont de loin les plus catégoriques. La position néerlandaise a mis en rogne de nombreux responsables politiques et économistes qui ont accusé le gouvernement du Premier ministre Rutte d’« aller trop loin ».

Des pays du sud de l’Europe, tels que l’Italie, l’Espagne et le Portugal, s’insurgent eux aussi contre la position des Pays-Bas. Alors que des milliers de personnes meurent chaque jour, l’Europe méridionale a désespérément besoin d’une solidarité européenne. « L’image qu’ont les Italiens des Pays-Bas a été gravement ternie en quelques jours seulement […] Personne ne s’attendait à ce que les Pays-Bas, l’un des pays fondateurs de l’Union européenne, se comportent de la sorte en pareille situation », a déclaré l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta. 

Cette prise de position a également suscité l’indignation d’une partie de la population néerlandaise. Rob Jetten, qui est à la tête du groupe parlementaire D66, a publié sur Twitter : « Les Pays-Bas se sont enrichis grâce à l’UE. Maintenant que des emplois et des revenus sont menacés partout en Europe à cause de la crise du coronavirus, nous ne pouvons pas laisser nos amis suffoquer. Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons survivre. » Les partis de l’opposition ont eux aussi critiqué l’approche du gouvernement. Lodewijk Asscher, le chef du parti travailliste néerlandais (PvdA), a affirmé que « bien que confronté à un choc foncièrement différent de celui causé par la crise de la zone euro, le gouvernement néerlandais s’est à nouveau rabattu sur l’argument maintes fois utilisé de ‘l’aléa moral’. L’inaction risque de causer une crise sans précédent dans l’histoire de la zone euro. Il faut choisir : traverser cette tempête collectivement ou couler seuls ».

Reste à voir quelle solution sera choisie. Aux Pays-Bas, toutes les mesures annoncées ont été prolongées jusqu’au 28 avril prochain, à l’exception de la mesure relative à l’organisation d’événements, qui a quant à elle été prolongée jusqu’au 1er juin 2020. La prochaine conférence de presse se tiendra le 21 avril. Le Premier ministre Rutte devrait alors annoncer quelles seront les étapes suivantes aux Pays-Bas. Les mesures déjà en place seront très probablement prolongées pour quelques semaines supplémentaires. 

Sources : RIVM/NU/Trouw 1/Trouw 2/Rijksoverheid 1/Rijksoverheid 2/AD 1/AD 2/RTL Nieuws/The Guardian/Volkskrant/Politico/Breda Vandaag

Ce texte a été traduit de l’anglais vers le français par Amandine Gillet.

Sur le même thème