La gestion du temps en politique

Le temps est un enjeu central pour les sociétés occidentales. Aujourd’hui, notre quotidien est fortement impacté par les nouvelles technologies qui viennent perturber notre rapport au temps et, de fait, à l’espace. La difficulté grandissante à établir des limites précises entre les différents pans de nos vies en est une démonstration saisissante. Le temps, la vitesse et notre capacité à ne pas nous sentir totalement noyés par celle-ci sont au cœur de nos préoccupations quotidiennes, sans pour autant être centraux dans le débat public.

La vie politique n’échappe évidemment pas à cette évolution du rapport au temps à tel point que la gestion de celui-ci semble, plus que jamais, être devenu un élément essentiel. Il ne s’agit pas ici d’évoquer la construction des carrières, telle qu’elles pouvaient être organisées il y a encore quelques années, mais bien de mesurer l’impact du temps sur la décision publique comme sur la vie quotidienne de la classe politique avec, en filigrane, la capacité des représentants à répondre aux grands défis contemporains.  

Évocation du temps et de la décision politique

Concernant la décision politique, il va de soi que les paradigmes de notre époque génèrent une dichotomie grandissante entre le temps nécessaire pour construire la décision politique et la réactivité attendue par les citoyens. En effet, vitesse et complexité sont deux éléments qui caractérisent notre modernité, le premier comme conséquence de la révolution numérique et le second comme intersection entre les grandes transitions qui traversent notre société. Le rapport à la politique se trouve fortement impacté par ces deux éléments et évolue à mesure que les citoyens portent un regard critique sur la capacité des représentants élus à lier les deux. Surinformés, parfois mal informés, capables d’une expression individuelle et immédiate grâce aux réseaux sociaux et désireux d’être reconnus dans la totalité des dimensions de leur existence, les citoyens attendent une réponse immédiate à la moindre problématique soulevée. Dans le même temps, la gestion politique de la complexité impose une démarche singulière de construction de la décision et d’acceptation sociale. Par exemple, il est aujourd’hui impossible de penser la transition énergétique sans intégrer les conséquences sociales, notamment sur les plus fragiles, des différentes mesures à appliquer pour tendre à sa mise en œuvre. Ce qui impose pédagogie, échanges, construction de consensus, dont temps.

Nombreux sont les écrits1Hartmut Rosa, Accélération, une critique sociale du temps, La découverte, 2010 / Gilles Finchelstein, La dictature de l’urgence, Fayard, 2010. mettant en exergue la difficulté à articuler le temps incompressible de la décision politique dans ce contexte et le temps jugé acceptable par les citoyens. Nombreuses sont les réformes visant à accélérer le temps politique pour tenter de répondre à l’impatience citoyenne. S’il est parfaitement légitime de s’interroger sur l’efficacité d’une telle accélération du cycle politique, alors que les cycles sociaux et économiques accélèrent toujours plus que ce dernier, la présente note entend se concentrer sur un autre aspect de la question, dans un moment où les accents populistes nombreux ne cessent de vilipender la classe politique pour sa distance – volontaire – avec un « peuple » dont il est difficile de tracer ici les contours. 

Temps et quotidienneté politique

Au-delà de la vitesse de la décision politique, c’est la capacité même des responsables politiques – à tous les échelons – à remplir convenablement leur fonction qui peut être interrogée. Autrement dit, la concentration des missions dans un mandat – dont la durée et les attentes restent inchangées – limite la capacité d’action des élus, opérant une compression du temps au quotidien. De plus, l’évolution profonde du paysage institutionnel depuis la rédaction des textes qui encadrent les mandats électifs – précédant les questions technologiques évoquées précédemment – posait déjà les bases de cette situation.

Concrètement, à quoi s’occupe une personnalité politique élue ? Grossièrement, il est possible de définir cinq activités occupant l’immense majorité du temps des élus : la gestion des dossiers locaux et le travail parlementaire (suivant les mandats) ; les interactions au sein de son écosystème restreint ; la représentation ; la constitution de réseau ; la participation à la vie de son organisation ; la communication.

la gestion des dossiers et le travail parlementaire : cœur des mandats locaux et nationaux, il s’agit de ce sur quoi les Français jugeront de l’efficacité et de l’utilité du mandat. Dès l’élection, c’est bien la gestion de ces dossiers qui est censée occuper l’esprit des élus. Pourtant, ce « cœur de métier » est aujourd’hui en pleine mutation : la complexité grandissante des sujets locaux et la multiplication des acteurs y intervenant alourdit la vitesse de réalisation quand, au niveau des mandats nationaux, la puissance du fait majoritaire et l’extrême spécialisation des sujets limitent la capacité de plein exercice de ses prérogatives, sans même parler de la passion française pour la fabrique de la loi au détriment des activités d’évaluation et de contrôle. Résultat, le temps nécessaire pour véritablement œuvrer ne cesse de s’allonger et les processus d’accélération du cycle de décision, notamment parlementaire, pose une question d’acceptation sociale de la décision qui réapparaît régulièrement ;

les nécessaires interactions au sein de son écosystème restreint : la politique n’est pas une aventure solitaire, quoi que certains puissent penser. Les interactions avec le premier cercle de ses partenaires – exécutif et/ou groupe politique, localement ou nationalement – sont un élément essentiel de la vie des élus. Le maintien de la cohésion politique, les arbitrages multiples et les confrontations d’idées sont des éléments à maîtriser pour permettre l’avancée des dossiers. Ils génèrent également des tensions, tensions qui ne sont donc pas des conséquences de la lutte des ambitions et des inimitiés – même si cela existe évidemment –, mais principalement de la confrontation entre les sujets, de la priorisation de ceux-ci ;

le devoir de représentation : élus locaux comme élus nationaux sont soumis à la même obligation tacite : assurer une représentation forte afin de maintenir le lien avec les corps intermédiaires de leur lieu d’élection. Dans une période d’incertitude comme celle que nous vivons, et celle-ci s’entend avant l’apparition de la Covid-19, le maintien d’une proximité avec les corps intermédiaires est essentiel à la cohésion nationale comme locale. Pour autant, ce temps consacré n’est que marginalement utile à l’avancée des dossiers de fond, même si une part d’information/conviction est à intégrer dans la représentation ;

la constitution d’un réseau d’entraide : complexité dans la construction de l’action, élargissement des écosystèmes à mobiliser pour y parvenir, mais également place du statut dans la société française et mille-feuille institutionnel sont autant de causes de découragement pour les élus. La constitution de réseaux, permettant de gagner du temps, d’accéder à des niveaux de décision ou de contourner les freins, constitue un autre aspect de l’agenda des politiques. Basé sur la convivialité et la connivence, il impose de libérer du temps dans les moments les moins denses : repas, soirées, vacances, liant à la fois intérêt et – les deux ne sont pas forcément incompatibles – amitié ;

la participation à la vie de son organisation : nombreuses sont les personnalités élues à participer à la vie d’une organisation politique, qu’elles soient solides ou plus gazeuses, parti centenaire ou mouvement récent. L’établissement d’une ligne politique, la conservation ou la conquête de la majorité interne, les processus de désignation interne aux différents scrutins sont autant d’étapes essentielles à la bonne marche de la démocratie tout en constituant une source quasiment infinie de réunions chronophages et parfois dénuées de sens. Le paradoxe de notre période qui voit les organisations affaiblies est que les personnalités fidèles doivent redoubler d’engagement pour les maintenir à flot… ; 

last but not least, la communication : c’est, évidemment, l’activité qui a pris le plus d’espace dans le quotidien des élus, à mesure que les difficultés à faire avancer de manière rapide et concrète les dossiers imposaient une obligation de s’adresser aux représentés et que ces derniers, inondés de nouveaux médias, ne cessaient de demander plus de transparence. Ainsi, à la communication institutionnelle traditionnelle – presse écrite, médias locaux, tracts – est venue s’adjoindre la communication numérique – sites Internet, blogs, etc. – et, plus récemment, la communication via les réseaux sociaux. Hélas, abreuvés par les chaînes d’information/opinion en continu, les réseaux sociaux sont devenus des écosystèmes répondant à leur propre logique et demandant une présence toujours plus grande des élus. Toute actualité doit être commentée, toute singularité doit être saluée sous peine d’être accusé de mépris. Plus récemment encore, la communication interne via les boucles numériques est venue compresser à nouveau le temps des politiques et renforcer un sentiment d’absurdité de certaines discussions. La communication semble être devenue une activité en tant que telle. Pas simplement le moyen d’informer sur l’avancée des dossiers ou des discussions, de montrer les manifestations auxquelles les représentants participent, de peser sur son groupe ou son organisation, d’être utile à son réseau d’entraide, mais tout cela à la fois et bien plus encore. La communication, du fait des réseaux sociaux, des chaînes d’information/opinion en continu, de l’immédiateté des interactions, est devenue une source de débats et d’actions politiques.   

La superposition de ces différentes activités occupe la totalité du temps des élus, avec évidemment des nuances et des spécificités dues à la strate de population dans laquelle évolue leur commune, leur fonction au sein d’une chambre parlementaire ou de leur organisation, etc. Quelles que soient les différences, force est de constater que le temps dédié aux dossiers est de plus en plus noyé dans des missions qui peuvent s’avérer secondaires. En temps d’incertitude, la priorisation dans ces missions pourrait permettre un renforcement de la capacité d’action des élus. Hélas, la congestion de leur temps disponible provoque des conséquences qui participent de la défiance généralisée dont ils sont l’objet.    

Des conséquences réelles et exponentielles 

La diversité des temporalités de la vie politique – la lenteur de la mise en œuvre, l’instantanéité de la communication –, associée au besoin d’expliquer plus que jamais le sens de l’action, aboutit à une impasse. Il n’est pas possible, sauf exceptions comme toujours, de mener à bien son mandat en respectant toutes les dimensions de celui-ci.

Mesurons-en les conséquences :

un rapport au temps contrarié : cette succession d’accélérations et de ralentissements est totalement néfaste à la bonne prise en compte du temps. Dans une société où tout accélère, la capacité des décideurs à accepter l’accélération ou, au contraire, à estimer que celle-ci n’est pas synonyme de progrès, est une qualité essentielle pour éviter le revers néfaste de la médaille moderne. Sans cela, elle valide une vision réactionnaire de l’évolution de notre société, rejetant tout progrès par principe. La fatigue ressentie par de nombreux élus provient notamment de cette situation qui, si elle n’est pas mise dans le débat public, ne fera que croître ;   

une vie de famille déstabilisée : lorsqu’une activité professionnelle en vient à déstabiliser la vie de famille, c’est toujours un drame. Lorsqu’il s’agit d’un engagement de représentant élu, l’inacceptable devient la règle, dans une suspicion de profit que le populisme ambiant entretient allègrement. Pourtant, qui irait décemment remettre sa destinée entre les mains d’une personne dont les bases familiales sont totalement fragilisées à cause de son engagement ? Il suffit de se tourner du côté de l’Allemagne ou de l’Europe du Nord pour constater que l’équilibre entre vie familiale et engagement politique est un élément essentiel à la confiance en les politiques ;

une distance avec la « vraie vie » : comment être connecté à la réalité dans de telles conditions ? Mais comment pourrait-il en être autrement ? Le procès en distance fait aux politiques est injuste au moins dans la cause de celle-ci : ce n’est pas, la plupart du temps, par volonté de s’exfiltrer du reste de la société que les élus s’éloignent, mais par volonté de réussir leur mandat dans les conditions que nous venons d’évoquer ; 

une absence de prise de recul sur les événements : au-delà de la question de la vitesse de la société, au-delà de leur propre équilibre familial, les élus sont confrontés à une période de mutation qui appelle une prise importante de recul. Place de la technique dans notre société, réchauffement climatique, révolution démographique, sujets culturels et identitaires viennent s’ajouter aux conséquences de la mondialisation qui ont déjà perturbé la fin du XXe siècle et aux réponses à apporter aux inégalités économiques et sociales qui ont structuré la vie politique jusque dans les années 1990. Toute action politique entraîne automatiquement des réactions qu’il faut anticiper, penser, pour éviter de subir et pour rassurer une population toujours plus perplexe dans notre capacité collective à construire l’avenir. Trop concentrés sur l’accessoire, les élus peuvent en perdre de vue l’essentiel…

Ces conséquences ne sont pas futiles. Bien que concernant une catégorie de la population vilipendée, parfois à raison, souvent à tort, elles méritent une réflexion globale sur la manière dont nous souhaitons armer les élus face aux défis à relever. Elles disent également beaucoup de nous.

Que dit de nous cette situation ?

À qui la responsabilité ? Cette question, bien française, ne manque pas d’être posée en l’état. Mais la réponse, multiple, doit nous amener à sérieusement nous interroger sur notre manière de nous décharger sur les politiques.

– les politiques sont, bien sûr, en partie responsables. Après tout, ils sont capables de dire « non ». J’ai toujours en tête un parlementaire qui limitait à trois soirées le temps accordé à la politique, lui permettant de garder du recul sur les évènements et de moins subir les soubresauts de la vie politique. La volonté de ne pas apparaître comme dépassé par la lourdeur de la tâche et une certaine capacité à tout accepter pour ne jamais reconnaître la moindre faiblesse sont deux explications, qui ne tiennent pas, que l’on peut avancer ;

– mais ils sont confrontés à des médias « pousse-au-crime » les amenant à communiquer, toujours plus. Analyser l’actualité, donner son opinion sur les sujets que l’on maîtrise, également sur les autres… L’avènement d’une société dans laquelle les chaînes d’information/opinion en continu tiennent lieu de boussole pour le reste des médias impose une présence permanente de personnalités politiques, la loi du nombre faisant que tout refus sera compensé par une autre personnalité ayant, elle, accepté. Là aussi, nous connaissons tous ces spécialistes des chaînes d’information qui passent de l’une à l’autre et qui se voient abîmés par le commentaire d’une politique qu’ils semblent regarder plus que provoquer ;

– au-delà des acteurs, nous faisons face à un cadre réglementaire obsolète : 1958 pour la Constitution, 1982 pour la première décentralisation, avant le Web, avant les réseaux sociaux, avec les chaînes d’information, avant les smartphones… Les mandats ont été pensés à une époque où la communication politique était encore déterminée par la rareté et non par l’abondance, à une époque où la complexité du monde pouvait encore être expliquée par des grilles de lectures binaires, où les élus ne devaient pas jongler avec des activités dont la hiérarchie semble s’être retournée ;

– la responsabilité nous incombe aussi tous en que citoyens. Qui se trouve en effet à l’autre bout de l’écran, du réseau ? Qui s’indigne dès que sa situation, sa cause, sa singularité se trouve niée par l’absence d’une reconnaissance numérique ? Le rapport que nous entretenons en direction des politiques est ambigu : nous ne leur laissons rien passer tout en leur demandant l’impossible et en compliquant concrètement leur tâche par des injonctions éloignées du cœur de leur fonction ;

– enfin, est-ce une spécificité française ? Finalement, ce rapport peu sain entre représentés et représentants, dont cette relative indifférence à l’évolution de la structuration même du temps consacré aux tâches essentielles de leur mandat, ne serait-il pas une bizarrerie autochtone dont notre pays a parfois le secret ? Ce rapport contrarié, malsain, suspicieux, entre représentants et représentés d’un pays éminemment politique n’expliquerait-il pas notre incapacité à poser un regard honnête sur cette situation ? Comment expliquer, en effet, les différences d’approche dans tant d’autres pays. Les six semaines de congé maternité de la Première ministre néo-zélandaise en 2018 seraient-elles transposables en France – sans même parler de l’occupation par une femme de cette fonction ? Que dire des ministres norvégiens, femmes et hommes qui, quand la gauche était au pouvoir, ont pris des congés au cours de l’année en l’assumant ? Que dire encore de l’Irlande, le Royaume-Uni ou le Canada qui tous permettent les congés maternité pour les ministres. L’exemple est donné au plus haut niveau de l’État et montre un rapport différent aux représentants, basé avant tout sur une forte culture de l’exemplarité et de la normalité qui, de fait, n’introduit pas un biais genré en politique, les femmes allant davantage s’autocensurer en politique pour ne pas sacrifier leur vie de famille.

Que faire ?

Pourra-t-on encore longtemps remettre notre destinée entre les mains de représentants eux-mêmes pleinement absorbés par les conséquences de ce que nous dénonçons dans notre vie quotidienne ? La prise en compte de la complexité de notre époque – en fait d’une superposition constante de nouveaux défis venant s’ajouter aux plus anciens – ne mériterait-elle pas que nous portions un regard moins négatif sur les élus de tous échelons ? Si par le plus grand des hasards, tant ce sujet est éloigné des préoccupations des représentés comme des représentants, la question venait à être posée, plusieurs enseignements devraient être tirés.

D’un point de vue institutionnel, la question de la gestion du temps devrait poser deux principes. Le premier pourrait être la décorrélation de la gestion des sujets de court et long termes, notamment au niveau parlementaire, via la création d’une chambre du temps long permettant un débat en profondeur au sein de la société et une capacité accrue à comprendre, expliquer et convaincre. Le second principe qui pourrait consister en la prise en compte de cette compression du temps pour les élus devrait conduire à une augmentation de leurs moyens – en termes matériel et humain, en revoyant le nombre de collaborateurs – afin de leur permettre de regagner en capacité de réflexion et de prise de recul sur les sujets. Une telle proposition dans la période peut paraître totalement saugrenue, aussi l’évocation d’une image doit-elle s’imposer : à l’heure où les multinationales de la nouvelle technologie ont une capacité d’investissement supérieure à de nombreux États, où la concentration de cerveaux leur permet un niveau d’innovation élevé et où leur réflexion se tourne de plus en plus vers des sujets qui dépassent la seule question commerciale, il est urgent de réarmer les élus afin qu’ils soient en mesure de peser réellement sur la direction du monde.

C’est également au niveau éthique que des enseignements pourraient être tirés. Les représentants élus portent en eux une partie de la réponse. D’abord en ne « jouant plus le jeu » d’une communication qui dépasse ce que l’on peut attendre d’elle. Ce qui ne veut pas dire tout stopper, mais parfois limiter, prioriser, ne pas être analyste de l’actualité – ce qui peut être fait par d’autres. Ensuite, en expliquant en quoi la fonction de représentant est devenue de plus en plus lourde et protéiforme. Le malentendu persistant existant entre les attentes des Français et la capacité réelle des élus tient notamment dans la méconnaissance des premiers de la sédimentation du pouvoir des seconds. Dire que la fonction d’élu a changé, ce n’est pas acter une fragilité, c’est, au contraire, poser le principe de la construction d’un nouveau rôle, plus complexe, mais tout aussi important. Enfin, et c’est peut-être le plus important, savoir dire « non » tout en expliquant pourquoi. Dire « non » à une représentation pour favoriser sa vie familiale, dire « non » à une réunion pour simplement se reposer et prendre du recul, dire « non » à une fonction pour garder des marges de manœuvre sur le reste… Beaucoup d’élus sont atteints du syndrome de l’incontournabilité – être partout tout le temps, c’est être incontournable et reconnu – qui s’avère peu efficace et générateur d’immenses frustrations et fatigues.  

C’est enfin au niveau culturel que les choses doivent évoluer. C’est notre regard sur ce que doit être un élu qui aura le plus d’impact sur la manière dont évoluera notre modèle de représentation démocratique. Ni surhumain – la notion même de représentation disparaît à partir du moment où l’on nie nos limites physiologiques –, ni sacerdotal – le risque de voir les candidats s’amenuiser à mesure que l’on ne fait voir la représentation démocratique que sous un aspect de renoncement –, l’engagement au service des autres doit être pris pour ce qu’il est : la volonté de mobiliser ses compétences, son analyse, ses valeurs, pour participer à la mise en œuvre de notre volonté collective. Noyer les élus dans des actions les empêchant d’être pleinement dédiés à cette tâche, les amener à être en décalage du reste de la société dans leur rapport à la famille, au repos, à la notion de temps utile ou inutile, est le meilleur moyen de les voir prendre de mauvaises décisions par manque de lucidité ou manque de distance. Un rapport apaisé avec les représentants et une franchise réciproque sur la réalité de la vie politique et ses capacités réelles seraient aujourd’hui le meilleur moyen de redonner plus de confiance en la politique.  

La conjonction de ces trois enseignements – institutionnel, éthique et culturel – pourrait nous permettre de mieux intégrer l’accélération de notre époque et d’allier regard critique et intégration de ce qu’elle peut porter de positif. Aussi utopique puisse-t-il paraître, ce sujet mériterait une petite place dans le débat public.

  • 1
    Hartmut Rosa, Accélération, une critique sociale du temps, La découverte, 2010 / Gilles Finchelstein, La dictature de l’urgence, Fayard, 2010.

Du même auteur

Sur le même thème