Dans l’Italie d’aujourd’hui, Matteo Renzi incarne le « décisionnisme », un courant considérant que la modernisation de l’État nécessite un exécutif fort. Christophe Bouillaud analyse ici son ascension, qui couronne un processus de recomposition du centre-gauche italien autour du Parti démocrate.
Le Parti démocrate (PD) italien est en position de force en Italie. Il est ressorti des dernières élections européennes avec 40,8 % des votes valides. La victoire de ce qui a été appelé le « PdR » (pour Parti de Renzi) a semblé donner à Matteo Renzi toute la latitude pour mener à bien les réformes structurelles dont le pays a cruellement besoin. Son accession au pouvoir ainsi que le début de la présidence semestrielle de l’Union européenne par l’Italie – à compter du 1er juillet 2014 – ont levé un vent d’enthousiasme dans tout le pays.
Mais au fil des mois, l’enthousiasme est retombé et a laissé la place aux mêmes inquiétudes qu’avaient connues les gouvernements Monti et Letta depuis 2011. Matteo Renzi, face aux réalités, est passé d’un programme de réforme en cent jours à un programme en mille jours. Il fait en effet face aux mêmes problèmes que les autres, à savoir des difficultés à faire voter les textes, des difficultés à faire appliquer les textes selon les attentes une fois qu’ils sont votés, et enfin une situation économique qui ne cesse de se dégrader. La réforme structurelle du marché du travail dit « Jobs Act » cristallise toutes ces difficultés, mais pas seulement. En effet, il est aussi le symbole de l’éloignement du PD de sa base électorale historique qui est le monde ouvrier.
Face à la situation économique inquiétante, l’électorat italien s’en remet en la personne charismatique qu’est Matteo Renzi et en son leadership pour réformer le pays sous la houlette de ce que l’on appelle le « décisionnisme démocratique ». La réponse aux différentes rentes, aux corporatismes et donc au marasme économique en particulier depuis la crise serait d’élire une personne capable de décider et de vouloir les réformes structurelles. Une personne non seulement avec un fort leadership, mais aussi soutenue par une solide majorité pour gouverner durant une législature entière. Cette réponse place Matteo Renzi directement devant les électeurs, d’où une personnalisation du pouvoir accrue, typiquement italienne mais traditionnellement de droite.
Le PD est résolument positionné au centre de l’échiquier politique italien. Depuis 1994 et la « descente sur le terrain » de Silvio Berlusconi, la vie politique italienne s’organise en deux camps : d’un côté les partisans de ce derniers, et de l’autre les opposants à Silvio Berlusconi venant notamment de deux expériences partisanes d’avant 1990 (le Parti communiste italien et l’aile gauche de Démocratie-chrétienne). Créé en 2007, le PD rassemble des élites seulement réunies par leur opposition à Silvio Berlusconi, venant à la fois du communisme, du socialisme, de la démocratie-chrétienne et de l’écologie politique. Le PD nourrit la culture du compromis et a évité de choisir entre ces héritages. Lors de la chute de Silvio Berlusconi en 2011, le Parti démocrate, qui était alors la première force parlementaire d’opposition, a accepté de soutenir la formation d’union nationale de Mario Monti, conjointement avec la droite de Silvio Berlusconi et les formations du centre.
Matteo Renzi a su s’imposer, dans ce contexte, lors des primaires ouvertes de 2012, en s’opposant à la classe politique traditionnelle qualifiée alors de caste (« la casta ») suite à de multiples scandales de corruption. De plus, il a su anticiper le phénomène populiste du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo en adoptant une communication à la fois moderne – via les réseaux sociaux – mais aussi proche des Italiens. De nouvelles primaires ouvertes sont organisées en 2013 et cette fois-ci Matteo Renzi l’emporte avec 68 % des 2 814 801 votes. Au mois de janvier 2014, il s’accorde avec Silvio Berlusconi pour réformer le mode de scrutin et la constitution.
Matteo Renzi fait voter la direction du PD contre Enrico Letta, provoquant sa démission le 14 février 2014. Il le remplace le 22 février 2014 au poste de président du Conseil, et obtient la confiance des deux Chambres d’une majorité composée, comme celle d’Enrico Letta depuis octobre 2013, des élus du PD, du NCD, du PSI et de quelques autres partis centristes de moindre importance. Pour la première fois, le sort du PD est lié à celui de Matteo Renzi, qui dispose d’une force électorale bien plus grande que ses concurrents directs.
Il s’inscrit dans la continuité d’une politique centriste, acceptant l’économie de marché libérale, ainsi que la structure européenne telle qu’elle est, et enfin la posture progressiste sur les sujets de société et la reconnaissance des droits individuels. Le PD de Renzi occupe de facto tout l’espace politique à gauche et au centre. Les partis plus à gauche n’arrivent pas à percer, tiraillés entre une volonté d’ouverture et leur électorat traditionnel opposé aux coalitions auxquelles ils ont pour la plupart participé.
Matteo Renzi a tout l’espace politique nécessaire, face à une droite sans réelles perspectives, pour s’engager sur la voie des grandes réformes, dont le « Jobs Act » est un premier pas et une réussite. Matteo Renzi et le PD devront apporter des résultats en termes notamment de croissance économique à un pays qui doute de plus en plus et où les partis d’extrême droite comme celui de Matteo Salvini sont très présents, car l’horizon demeure à ce jour très incertain. Si lui n’y arrive pas, faute de plan de secours, qui le fera ?