La déstructuration du système partisan

Dans quelle mesure cette séquence électorale marquera-t-elle une recomposition du système partisan ? À quelques jours du premier tour des élections législatives de juin 2022, Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, livre son analyse à partir des données de l’Enquête électorale française réalisée par Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et Le Monde dont la douzième vague vient de sortir.

Un chiffre illustre à lui seul la grande perturbation qui caractérise la situation actuelle : moins de 50% des Français ont voté au premier tour de l’élection présidentielle pour le candidat qui correspond à leur préférence partisane !

Reprenons au début. Lors des élections législatives, les partis politiques retrouvent une partie de l’espace qu’ils ont abandonné lors d’une élection présidentielle très personnalisée. Il suffit de regarder les affiches devant les bureaux de vote pour mesurer que les logos des partis, voire des coalitions, occupent une place sans commune mesure avec celle de l’élection précédente. Mais, si la nature de l’élection leur donne une place, le panel électoral permet de comprendre quel est, dans l’opinion, l’état de notre système partisan.

Première leçon : la singularité des préférences partisanes

L’analyse de la préférence partisane – « de quel parti politique vous sentez-vous le plus proche ou le moins éloigné ? » – est éclairante.

Si l’on examine la photographie de cette douzième vague, on voit à quel point elle diffère de celle du premier tour de l’élection présidentielle. La République en marche (LREM) et le Rassemblement national (RN) font la course en tête mais rassemblent l’un comme l’autre moins de 15% des Français ; La France insoumise (LFI) se situe en dessous de 10% ; les deux partis historiques, le Parti socialiste (PS) et Les Républicains (LR), font de la résistance en étant un peu en dessous de 8%.

Si l’on regarde le film et que l’on compare ces chiffres à ceux de la première vague de notre panel d’avril 2021, que voit-on ? Émergence de Reconquête ! – un peu en-dessous de 5% mais qui n’existait pas il y a quatorze mois -, progression de 4 points de LFI et de 3 points de LREM, quasi-stagnation (à la hausse) du PS et (à la baisse) d’EE-LV (5,5%), recul de 3 points de LR : on mesure que les mouvements sont d’ampleur limitée.

Une illustration pour le mesurer : 26 points séparaient Emmanuel Macron et Anne Hidalgo, 7 points séparent le niveau de préférence partisane de LREM et du PS.

Seconde leçon : la déstructuration du système politique

Au-delà de l’évolution du poids des différents partis, une double dissociation est frappante.

D’une part, il y a une dissociation entre le local et le national. L’équation était déjà posée avant l’élection présidentielle : les forces locales (LR, PS, EE-LV) sont impuissantes nationalement ; les forces nationales (LREM, RN, LFI) sont impuissantes localement. L’élection présidentielle n’a fait que conforter cette dissociation et les élections législatives, si l’on en croit les projections en sièges réalisées par Ipsos, s’inscrivent dans cette même logique.

D’autre part, il y a une dissociation entre les sympathisants – au sens de la préférence partisane – et les électeurs. Dit autrement, beaucoup d’électeurs ont voté au premier tour de l’élection présidentielle pour un candidat qui ne correspondait pas à leur préférence partisane. C’est ainsi que seuls 18% des sympathisants PS ont voté pour Anne Hidalgo, 40% des sympathisants LR pour Valérie Pécresse et 47% des sympathisants EE-LV pour Yannick Jadot. Ce comportement électoral, jadis marginal, est désormais majoritaire.

Troisième leçon : la fragilisation de la démocratie

On a mesuré lors de l’élection présidentielle l’importance du vote « stratégique » au premier tour et du vote « contre » au second. On mesure aujourd’hui le poids des « souverainetés négatives » qu’évoquait déjà Montesquieu.

La mesure de la « sympathie » et de « l’antipathie » que suscitent les principales formations politiques est à cet égard édifiante. Les partis les plus polarisés sont logiquement ceux qui suscitent le plus d’antipathie : les Français sont de 55% pour le RN et LFI jusqu’à 70% pour Reconquête ! à leur attribuer une note comprise entre 0 et 3 (0 indiquant une antipathie maximale et 10 une sympathie maximale). Pis, aucune formation politique ne recueille 30% de sympathie (c’est-à-dire une note comprise entre 7 et 10). Pis encore, toutes les formations politiques, sans aucune exception, suscitent davantage d’antipathie que de sympathie.

Enfin, lorsque la question est posée différemment – « quels sont les partis politiques pour lesquels vous ne voteriez en aucun cas ? » –, que constate-t-on ? Qu’une majorité, et même une majorité absolue, se dégage pour chacune des trois formations des candidats arrivés en tête (dès lors que l’on enlève du calcul, ce qui est logique, leurs propres sympathisants).

Reste une dernière question à laquelle les votes des 12 et 19 juin apporteront une (première) réponse : dans quelle mesure cette séquence électorale marquera-t-elle, dans le même temps, une décomposition et une recomposition – une recomposition non pas des partis politiques mais des blocs électoraux ?

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