La désintermédiation ou le péril de la société blockchain

La désintermédiation s’est imposée dans toutes nos dimensions sociales et sociétales, les agents intermédiaires étant effacés au nom de leur manque d’efficacité économique. Pour Maxime des Gayets, il serait temps de s’interroger sur leur utilité sociale, au risque d’un péril promis par la société blockchain.
 

Les dénonciations de la société bloquée les avaient délégitimés. L’horizon d’une société « liquide » va les achever. Les intermédiaires n’auraient plus de raison d’être. Il en va des professions réglementées bien sûr, des notaires aux chauffeurs de taxi. Mais aussi de tout ce qui est fait œuvre de médiation entre le consommateur et le produit, voire de moyen d’expression entre l’opinion et le pouvoir. Car la désintermédiation s’est imposée dans toutes nos dimensions sociales et sociétales. L’efficacité de la relation directe prévaut aujourd’hui à tout type de filtre, qui ne peut être vu que comme une entrave. Lui qui fut pendant si longtemps une protection.

La modernité de l’horizontalité

Cette exigence d’horizontalité se retrouve ainsi dans l’affaiblissement des médias traditionnels face aux potentialités des réseaux sociaux. Mieux vaudrait une information brute et « pure » que des faits analysés et retraités par des structures, par nature, suspicieuses. Elle s’immisce souvent aussi dans les réformes de simplification permettant de ne plus recourir aux avocats pour certains divorces ou de s’affranchir de toute expertise pour engager des procédures.

Elle laisse croire à des interactions libres et non faussées, dégagées de leurs « parasites ». Il y aurait alors un lien pur entre un produit et son acheteur, entre une revendication et un programme, entre une rumeur et une vérité. Ce serait ne voir, de cette logique de désintermédiation, que ce qu’elle veut bien montrer à sa surface.

Elle nourrit les remises en cause de tous ces acteurs de confiance qui, hier, étaient des passages obligés de nos vies comme de nos consommations. Des acteurs, rémunérés il est vrai, mais qui constituaient des chaînons intermédiaires entre un produit et son acheteur, une revendication personnelle et un programme commun, entre une rumeur et un fait. 

Une économie privative plutôt que collaborative

Cette logique de désintermédiation est devenue le moteur d’une économie des plateformes caractérisée par la dissimulation de l’allocation des ressources entre les différentes parties prenantes, renvoyant dos-à-dos – si ce n’est face-à-face – les clients et les producteurs à la logique exclusive de l’offre et de la demande.

Cette absence d’intermédiaires assumant une responsabilité sociale (mais empochant toujours une commission) n’est pas l’aboutissement d’une économie collaborative mais le déploiement d’une économie privative, affranchie de toute considération d’intérêt général.

On se réfugie dans un chacun-pour-soi, en oubliant les risques d’une société atomisée dans laquelle les rapports de force ne peuvent être que déséquilibrés. Sans garantie collective, on se bat pour soi-même. Sans média, on s’informe par soi-même. Sans agence de location, on se loge où on loue soi-même. 

Sous couvert de collaboration directe des citoyens, c’est un risque d’isolement qu’on organise dans la jungle du marché. La désintermédiation provoque la déréglementation. Sans intermédiaire, il n’y a plus de médiation. Et sans médiation, il devient difficile d’avoir une régulation publique.

Le péril de la société blockchain

L’intérêt des grands acteurs financiers pour l’économie de la « blockchain » se nourrit justement de cette promesse. Cette technologie de stockage et de transmission de données serait un levier de modernisation par l’individualisation des transactions. Celles-ci seraient ainsi facilitées et accessibles à tous. Mais elles seraient, de fait, exonérées de tout encadrement comme d’équilibre. Avec la « blockchain », on ne va pas seulement engager un transfert de confiance des intermédiaires centralisées vers une technologie dispersée, mais plus encore s’affranchir des règles de notre organisation sociale.

Celles-ci n’échapperont pas à des redéfinitions nécessaires mais restent pourtant essentielles dès lors que l’on se refuse à réduire les transactions entre individus à un simple processus de monétisation. Les scandales actuels liés aux conditions de travail des employés de Deliveroo, le développement des nouvelles précarités, les absences de régulation sur les « marketplaces », l’effacement des protections des consommateurs dans la vente directe ou encore les manques de garanties – comme de contrôle – des locations organisées par Airbnb, en sont des suffisantes illustrations.

Dans notre société, les agents intermédiaires sont effacés au nom de leur manque d’efficacité économique. Il serait temps de s’interroger sur leur utilité sociale. 

 

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