La culture, oubliée ou maltraitée de la campagne ?

La culture aura été la grande absente des campagnes de la séquence électorale qui s’est achevée en France. Avait-elle pourtant été traitée dans les programmes ? Jean-Paul Ciret appelle, pour l’Observatoire de la culture de la Fondation, à ouvrir le débat sur les enjeux des politiques culturelles et leur rôle pour réduire les inégalités.

La culture aura été la grande absente des récentes campagnes électorales, que ce soit celles des présidentielles ou des législatives. Les médias le disent, le monde de la culture aussi. Chacun aura tenté d’y remédier, des états généraux de la culture de Télérama aux chantiers prioritaires de Libération.

Il est certain que la culture n’a guère été au cœur des questions au cours des débats télévisés, qu’il s’agisse des face-à-face candidats-journalistes ou alors des grandes confrontations entre tous les candidats. On en conclura logiquement que, lorsqu’un candidat ne dispose que d’un quart d’heure pour exposer sa politique, la culture n’entre pas au nombre de ses priorités.

Pourtant, la culture n’est pas absente des programmes électoraux. En effet, certaines émissions, certes relativement confidentielles, s’en sont préoccupées.

Par ailleurs, Emmanuel Macron déclarait que son projet était avant tout culturel et l’affichait comme sa priorité avec l’éducation. Malgré cela, il semblerait que le sujet ait été, par la suite, balayé jusqu’à devenir inexistant. Jean-Luc Mélenchon a, quant à lui, publié une brochure spéciale et tous les autres candidats y ont consacré au moins deux pages de leur programme.

C’est sans doute là que le bât blesse, car de quoi s’agit-il dans ces pages dédiées ? Essentiellement de mesures sectorielles ou disciplinaires au sens de disciplines artistiques, utiles et importantes pour les professionnels de la culture, mais qui n’ont guère de chance de mobiliser les électeurs. Est-ce sur l’amplitude des heures d’ouverture des bibliothèques ou sur la création d’une agence pour l’éducation artistique et culturelle ou même sur la réforme du financement du cinéma que l’on choisit un candidat plutôt qu’un autre ?

La réponse allant de soi, on peut en conclure que si la culture a été absente des grands moments de la campagne, c’est parce que la façon dont elle est abordée dans les programmes n’est pas à la hauteur des enjeux qu’elle représente.

Malgré cela, tout le monde ou presque semble d’accord sur les enjeux. Tant pour les individus que pour la société dans son ensemble, la culture joue un rôle essentiel. Facteur de cohésion, d’émancipation voire de compétitivité, liée au passé comme au futur, elle est appelée à la rescousse tant pour nous distraire que pour soigner les maux dont nous souffrons. L’ambition est bien haute au regard des moyens qu’on lui accorde et il ne s’agit pas ici que de moyens financiers.

Remarquons d’ailleurs que, les rares fois où le mot culture fut prononcé dans les débats politiques, ce n’était pas pour parler de mesures sectorielles mais bien d’une question fondamentale : celle des liens qui existent entre culture, identité et citoyenneté.

La culture est alors évoquée dans sa dimension la plus globale : celle du mode de vie qui apparaît comme un terrain favorable à l’affrontement entre les nostalgiques du passé et les tenants du métissage. Le débat se réduit alors à quelques stéréotypes ou polémiques caricaturales. Car vouloir réduire une question aussi complexe en quelques formules simples revient à inévitablement s’exposer à des réponses tout aussi simplistes, laissant le champ libre à la passion plutôt qu’à la réflexion.

Nous avons ainsi eu droit ces derniers mois à la recrudescence des polémiques sur les racines chrétiennes de la France, sur l’existence d’une culture française une et indivisible, sur la hiérarchie des expressions culturelles et artistiques, sur l’élitisme des programmations des institutions culturelles, pour ne citer que les plus récentes.

En revanche, la question fondamentale des droits culturels, pourtant inscrits dans une récente loi, n’a pratiquement jamais été abordée ni dans les programmes, ni dans les discours des candidats. Certains font cependant remarquer que le débat entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron a mis en évidence une opposition entre deux conceptions de la culture. Cela est vrai. Cependant, qui peut croire que le choix se résume à l’ouverture contre la fermeture, la tradition contre l’innovation ou encore le conservatisme contre le progressisme ? L’enjeu est plus complexe s’il s’agit, comme chacun le proclame à juste titre, de résoudre les maux qui rongent notre société.

La culture n’est donc pas la grande oubliée des campagnes électorales mais plutôt la grande maltraitée avec, d’un côté, un volet programmatique peu susceptible de toucher l’opinion publique et, de l’autre, un débat de fond réduit à la caricature. En réalité, cela importe peu puisque jamais une élection ne s’est jouée sur les questions culturelles, pas même celle de François Mitterrand en 1981. Néanmoins, même si la culture ne fait pas l’élection, elle demeure indispensable à tout gouvernement.

Ainsi, depuis plusieurs années, les résultats des élections mettent en évidence des fractures territoriales. Bien que la fracture entre Est et Ouest ou celle entre agglomération et périphérie méritent d’être nuancées, les inégalités entre les territoires sont évidentes et de plus en plus mal ressenties par les populations concernées.

Un ministère à l’Égalité des territoires et au Logement a été créé sous le quinquennat de François Hollande, signe d’une prise de conscience affirmée. Il vient d’être reconduit dans le nouveau gouvernement sous une nouvelle appellation : ministère de la Cohésion des territoires. Or comment traiter ces inégalités sans prendre en compte leur dimension culturelle ? Qu’il s’agisse de l’emploi, de la réussite scolaire, comme du sentiment d’abandon et de déclassement qui en découle, ces problèmes ne peuvent se résoudre sans l’apport d’une politique culturelle adaptée.

On reconnaît aujourd’hui le poids des activités culturelles dans la création d’emplois directs et indirects. Ce n’est cependant pas en multipliant les emplois culturels que l’on va réduire significativement le chômage. En revanche, ce que l’on sait moins, c’est que l’attractivité économique des territoires est tout autant liée à leur accessibilité physique qu’à leur connexion numérique et à leur vie culturelle. Le relatif désert culturel français correspond à son relatif désert économique. Une politique de développement économique des territoires ne peut connaître de succès sans une politique de développement culturel de ces mêmes territoires. Or, actuellement, dans l’architecture gouvernementale, rien ne dit comment ces deux approches pourront être traitées de pair.

Au-delà des fractures territoriales, la culture apparaît aussi comme une pierre angulaire s’agissant de l’éducation. En effet, de multiples études ont montré et continuent de montrer que la réussite scolaire est directement liée à la familiarité des enfants avec les codes de la culture classique. Familiarité renvoyant ici à la famille et donc à l’héritage culturel. Les thèses de Bourdieu et Passeron sont donc, malheureusement, toujours d’actualité.

D’autres études, moins nombreuses et moins connues, montrent que, pour compenser l’absence d’héritage, l’éducation artistique et culturelle, si ce n’est l’éducation par l’art, joue un rôle essentiel et efficace. Si la nouvelle ministre de la Culture a d’emblée affirmé son intention de faire de l’éducation artistique et culturelle une véritable priorité, il faudra également que le ministre de l’Éducation nationale s’y attelle, car aucun développement de l’Education artistique et culturelle (EAC) ne peut se concrétiser sans une très forte implication de l’Éducation nationale.

In fine, le sentiment d’abandon et de déclassement ressenti par une partie de la population favorise le repli sur soi et une affirmation identitaire, liée à un passé idéalisé quoique inventé. Les remèdes à ce que certains appellent l’insécurité culturelle ne peuvent se cantonner à la sphère économique. Si l’insécurité est culturelle, la réponse doit par conséquent être de même nature et ne peut faire l’impasse sur ce qu’on entend précisément par droits culturels et ce qu’implique leur mise en œuvre.

Afin que cette mise en œuvre ne tourne pas à la simple juxtaposition d’identités différentes, sorte de communautarisme tournant, au mieux, à la coexistence pacifique, il faut se donner les moyens de les dépasser. Dès lors, si l’affirmation des racines – qu’elles soient ethniques, régionales ou encore sociales – est indispensable à l’épanouissement individuel, il faut que cette affirmation puisse déboucher sur un projet collectif qui dépasse ces racines sans les nier. Voilà l’enjeu fondamental d’une véritable politique culturelle.

L’élaboration de cette politique ne peut relever du seul ministère de la Culture. Elle constitue un véritable enjeu de gouvernement et ne peut se contenter de l’engagement à ne pas réduire le budget du ministère éponyme.

Pour conclure, puisque ces débats n’ont pu avoir lieu pendant les campagnes électorales, il est grand temps de les ouvrir.

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