Quelles seraient les conséquences en termes juridiques, politiques, économiques et sanitaires si la Nouvelle-Calédonie accédait à l’indépendance ? Alors que le prochain référendum sur cette question sera posée à la population calédonienne le 12 décembre prochain, Abdelkader Saïdi, chirurgien et auteur de Comprendre la Nouvelle-Calédonie à travers son système de santé (Éditions de l’Harmattan, 2020), se penche sur les transitions qu’il faudrait, si le « oui » l’emportait, mettre en place dans différents domaines, en particulier dans celui de la santé.
Depuis des décennies, les responsables politiques, les plus avisés de gauche comme de droite ont recherché inlassablement le « statut » juridique idéal, taillé pour la Nouvelle-Calédonie. Alors que l’accord de Nouméa touche à sa fin, cette responsabilité revient désormais, en grande partie, au président de la République Emmanuel Macron. Hasard du calendrier, l’avenir de ce territoire français se décidera en amont d’une campagne présidentielle nationale où les débats sur l’identité et l’unité de la République risquent de concentrer toutes les attentions.
Le dimanche 4 octobre 2020, le « non » à l’indépendance, défendu par les « loyalistes » est arrivé en tête avec 53,3% des voix, lors du deuxième référendum d’autodétermination marqué par une mobilisation sans précédent (85,64%) malgré un climat de tension généralisée. L’écart entre les deux camps s’est sensiblement resserré en deux ans, et il n’est désormais que de 9 965 voix1Le précédent référendum s’est tenu le 4 novembre 2018 avec 80,63% de participation. 56,7% des électeurs ont répondu « non » à l’indépendance contre 43,3% « oui » ; l’écart était de 18535 votants..
L’issue de cette consultation laisse apparaître en trompe-l’œil une société calédonienne divisée en deux blocs de population se faisant face. Ces résultats ne sont que des chiffres bruts et ne reflètent pas la réalité du territoire. Partant de ce constat, les services de l’État ont interrogé les Calédoniens au travers d’une étude quantitative et qualitative, menée par le cabinet QuidNovi pour apprécier l’opinion publique calédonienne. L’étude rendue publique fait ressortir plusieurs points marquants. Tout d’abord, il apparaît que, au-delà de la volonté, par le plus grand nombre (94%), de conserver un lien avec la France, sans rompre l’attachement avec celle-ci (58%), il est attendu de l’État un geste pour clore la période coloniale (58%)2« Éclairages sur le référendum du 04/10/2020 : des rapports de forces théoriques confrontés à la réalité d’un choix », Quid Novi.nc, octobre 2020..
D’un point de vue politique, les résultats du dernier référendum peuvent être analysés comme une déconvenue dans les trois camps – loyalistes, indépendantistes et l’État.
Désillusion pour le camp loyaliste, car malgré leur courte victoire, ils n’ont pas réussi à dissuader les indépendantistes d’éviter ce référendum binaire pour trouver les bases d’un nouveau statut juridique innovant et ambitieux. Désaveu pour le camp indépendantiste, car le rêve de Jean-Marie Tjibaou3Jean-Marie Tjibaou (1936-1989) : porte-parole des indépendantistes kanaks pendant les affrontements politiques des années 1980 en Nouvelle-Calédonie ; toute sa vie, il a défendu l’égalité entre les différentes composantes de la société calédonienne et les traditions culturelles de son peuple. « de convaincre les autres de construire le pays indépendant de demain, de venir avec nous » ne s’est pas concrétisé. Enfin, c’est un désenchantement pour l’État qui malgré sa mise en retrait sur la gestion des affaires locales, tout en soutenant massivement le territoire, se retrouve toujours au centre de l’imbroglio colonial.
Bien que le bilan socio-économique de ces trente dernières années soit encourageant, l’horizon politique d’un destin commun imaginé par les pères fondateurs des accords de Matignon puis de Nouméa n’a pas été atteint. Après trente ans de partage du pouvoir dans la collégialité, les loyalistes restent persuadés que dans l’État de « Kanaky-Nouvelle-Calédonie », les discriminations ethniques se manifesteront à leur détriment et que seule la France a la capacité de les protéger.
Malgré un rééquilibrage économique significatif, une paix sociale acquise et une reconnaissance de la culture et de la coutume mélanésienne, les Kanaks considèrent que le destin commun envisagé par l’accord de Nouméa n’a pas été atteint.
Trente ans après, l’État est toujours en quête d’une solution exemplaire pour une décolonisation réussie et proposer ainsi une nouvelle conception sur le post-colonialisme.
Compte tenu de ces enjeux, il est souhaitable d’éclairer la société calédonienne afin qu’elle prenne connaissance des potentialités de l’accord de Nouméa, a posteriori, mais aussi des éléments nouveaux relatifs à la sortie de cet accord, et notamment en matière de protection sociale et de santé. Eu égard aux divisions politiques en Nouvelle-Calédonie, ce rôle revient en grande partie à l’État en tant que garant et arbitre de ce processus unique de décolonisation dans la République française. C’est dans ce cadre qu’un rapport détaillé sur les conséquences du « oui et du non » réalisé par le ministère de l’Outre-mer a été discuté en mai dernier et rendu public après les échanges entre les différents groupes, afin d’informer les électeurs sur les conséquences précises du scrutin4Discussions sur l’avenir institutionnel du territoire..
Dans l’hypothèse d’une indépendance, la Nouvelle-Calédonie deviendrait un État souverain et entretiendrait avec la France des rapports d’État à État, régis par des accords de coopération tels qu’ils existent classiquement dans la sphère internationale. Le territoire posséderait en particulier ce que le juriste Georg Jellinek appelait « la compétence de la compétence », c’est-à-dire la capacité de se doter de ses propres règles d’organisation, à commencer par une Constitution5Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, Panthéon-Assas, 2004, I, 147-148..
Dans cette optique, la question du lien avec la France, une fois la Nouvelle-Calédonie devenue souveraine, reste en principe à définir. On peut présumer qu’eu égard à l’histoire commune, la langue, la population, et aux nécessités objectives de la construction d’un pays souverain, la Nouvelle-Calédonie devenue souveraine et la France opteraient pour une collaboration étroite, au moins au départ6Jean Courtial, Ferdinand Melin-Soucramanien, Réflexions sur l’avenir institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Rapport au Premier ministre, La Documentation française, 2014.. Si la date du troisième et dernier référendum prévu par l’accord de Nouméa est fixé pour le 12 décembre 2021, toutes les attentions se portent aujourd’hui sur la configuration du jour d’après. L’État propose une période de convergence et de stabilité du 13 décembre 2021 au 30 juin 2023. Selon Sébastien Lecornu, « avec cette transition, l’État veut sécuriser la fin de l’accord de Nouméa dont il est signataire et donner de la visibilité sur les discussions qui suivront ».
À l’issue de cette période de transition, les projets indépendantistes sont relativement explicites sur cette volonté de poursuivre ce partenariat avec l’État : il restera à en définir les modalités précises et la durée. Il est raisonnable de penser qu’à la fin de cette période de transition, les montants des transferts financiers, logistiques et régaliens seront nettement inférieur qu’aujourd’hui. Dans ce contexte particulier, il est indispensable de définir les liens actuels entre la métropole et la Nouvelle-Calédonie, en particulier dans le secteur sensible de la santé et de la protection sociale, cher aux calédoniens. En 2021, le modèle social de la Nouvelle-Calédonie, solidaire et performant, protège l’ensemble de ses citoyens des principaux risques. Cet acquis est une valeur indiscutable de convergence entre les populations, favorisant la perspective d’un « destin commun ».
Dès sa création dans les années 1960, la sécurité sociale calédonienne protégeait des statuts, selon un modèle corporatiste, dans un contexte de forte croissance économique lié au « boom du nickel ». La société était alors constituée par une population jeune, des emplois stables et des risques sociaux de courte durée. L’élargissement progressif des missions de la Caisse d’assurance-maladie calédonienne (Cafat) et de la couverture assurantielle selon un concept de solidarité constituera le socle du modèle social calédonien. De nos jours, la démographie, la technologie, l’emploi et les risques ont changé de nature. Cette modification de notre environnement sociétal, confronté à un ralentissement économique durable, une remise en cause des dépendances aux chaînes de valeurs dans un contexte d’avenir institutionnel incertain, rend ce modèle de protection sociale fragile.
Alors même que le statut actuel confère au territoire une compétence dans le domaine de la santé et de la protection sociale, on relève plusieurs champs de compétences imbriqués qui sont autant de domaines à anticiper en cas d’indépendance.
Les compétences liées à la nationalité
En principe, selon le droit international, qui voit dans le territoire et dans la population deux des principaux éléments constitutifs de l’État, tout changement de souveraineté d’un territoire devrait entraîner aussitôt un changement de nationalité de la population alors fixée sur le territoire concerné. En pratique, la diversité des circonstances historiques conduit à des solutions diversifiées ; en l’absence d’accord entre les deux États, les dispositions spécifiques de l’article 32 du Code civil s’appliqueront7Code civil, Chapitre VII : Des effets sur la nationalité française des transferts de souveraineté relatifs à certains territoires (Articles 32 à 32-5).. La perte de la nationalité française conduira automatiquement à un rapport différent avec les institutions et administrations françaises et européennes : notamment l’accès aux universités, aux diplômes, aux hôpitaux métropolitains mais également pour l’accès à des traitements spécifiques, des échanges de tissus et dons d’organes, et l’inclusion dans des protocoles d’études cliniques.
Les compétences économiques
Les dépenses de l’État engagées directement en Nouvelle-Calédonie constituent une des principales ressources du territoire. Elles s’élèvent à 1,5 milliard d’euros par an, soit 4800 euros par habitant, un peu moins de 20% du PIB, et assurent ainsi 50% des dépenses publiques en Nouvelle-Calédonie8« Le rôle financier de la France », Journal du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, n°8, mai 2019.. Il faut rappeler que ces versements sont quasiment unilatéraux et donc à la seule charge des contribuables métropolitains, puisque la France ne bénéficie pas de compétences fiscales en Nouvelle-Calédonie. Ces transferts réguliers permettent une résilience solide de l’économie calédonienne par rapport à la volatilité de l’économie du nickel et la faible compétitivité du territoire.
Les dépenses mentionnées n’incluent pas l’aide européenne (à travers le FED), de même qu’elles ne prennent pas en compte le soutien sous la forme de prêts et cautions bancaires à travers l’Agence française de développement ou la Caisse des dépôts et consignations (CDC)9Discussions sur l’avenir institutionnel du territoire, p. 19-20..
Enfin, l’État soutient l’économie du territoire en lui permettant, grâce à l’ancrage du franc pacifique à l’euro, de financer une partie des déficits de sa balance des paiements. Le doute sur la convertibilité avec l’euro de la future monnaie du nouvel État entrainera très probablement une fuite anticipée des capitaux et un risque majeur sur la liquidité du territoire10Discussions sur l’avenir institutionnel du territoire, p. 10-11..
L’indépendance de la Nouvelle-Calédonie serait-elle de nature à impacter à court terme le niveau de financement de la santé et de la protection sociale ? La réponse est affirmative.
Les couvertures actuelles financées soit par les cotisations sociales, soit par l’impôt pourraient sembler peu sensibles aux évolutions statutaires de la Nouvelle-Calédonie, et notamment à l’accession éventuelle du territoire à la pleine souveraineté.
Effectivement, il est de mise d’avancer que la Nouvelle-Calédonie est autonome financièrement dans la gestion de sa protection sociale à l’exception d’une contribution à la marge, via les transferts, notamment pour la santé scolaire (0,3% des transferts).
Mais en y regardant de plus près, il apparaît des liens économiques non négligeables dans le financement de la protection sociale11Manuel Tirard, « L’hypothèse de la Nouvelle-Calédonie comme État associé à la France. Perspectives comparées à partir des finances publiques », Revue française des finances publiques, n°143, 2018. :
- l’État en Nouvelle-Calédonie contribue au financement par des cotisations sociales de la couverture santé en tant qu’employeur public. Cette contribution est financée par les transferts financiers de l’État via les salaires, soit environ 8% de l’ensemble des salariés du territoire dont 30% des emplois publics ;
- les transferts financent en outre le budget d’établissements publics nationaux qui participent également au financement de la couverture santé ;
- l’État finance également 12% du budget de fonctionnement des provinces, compétentes pour les aides médicales et le médico-social de proximité ;
- les emprunts pour la construction des hôpitaux publics ont été réalisés entre autres auprès de l’AFD et de la CDC ;
- l’État soutient le territoire en lui permettant, grâce à l’ancrage du franc pacifique à l’euro, de financer une partie des déficits de sa balance des paiements et donc d’équilibrer son budget12ISEE Nouvelle-Calédonie. ;
- « le choc de confiance », obtenu pendant la période 2000-2010 avec la signature de l’accord de Nouméa, peut s’inverser en cas d’indépendance et ralentir une croissance déjà compromise.
De plus, la crise systémique liée à la Covid-19 a mis en lumière les vulnérabilités du modèle économique et social du territoire. La dépendance financière envers l’État (subvention supplémentaire de 85 millions d’euros, prêt garanti) et logistique pour des « biens » aussi vitaux que l’alimentation, les médicaments, les vaccins et les tests diagnostiques doivent nous questionner13M. Ardoino, O. Fagnot, « Les impacts économiques du Covid 19 en Nouvelle-Calédonie », Cerom, décembre 2020..
En 2020, à l’exception du régime des prestations familiales, tous les régimes présentent des soldes déficitaires et subissent un effet ciseau entre baisse des recettes et augmentation des dépenses14Discussions sur l’avenir institutionnel du territoire, p. 15.. En cas d’indépendance, le nouvel État devra donc financer seul ses prestations sociales et il devra également mobiliser des ressources supplémentaires pour compenser les transferts de métropole et les conséquences économiques qu’entraîneraient le nouveau statut.
Les compétences juridiques
En cas de suppression de la compétence régalienne de l’État sur les libertés individuelles ou de la primauté de la personne humaine, quelle sera la protection sur les sujets de santé extrêmement délicats comme la restriction des libertés en période de crise sanitaire par exemple, la fin de vie et les lois de bioéthique ?
Les sources du droit de la santé sont multiples et complexes, entre la médecine traditionnelle et l’application des lois sur le don d’organes : quel sera l’appui juridique dans la construction d’un Code de la santé publique locale ?
Les projets indépendantistes évoquent un système judiciaire régi par la règle du double degré de juridiction et une Cour suprême pouvant cumuler les fonctions qui sont aujourd’hui celles du Conseil d’État, de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel.
Nous ne retrouvons pas dans ces projets de données sur la composition des juridictions, la formation des juges, la garantie de leur indépendance et de leur impartialité15Jean-Jacques Urvoas, « État associé ou fédéré, des pistes pour l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ? », Le Club des juristes, 24 juillet 2017..
En métropole, l’École nationale de la magistrature est extrêmement sélective. Cette exigence est nécessaire car les citoyens ont besoin d’une justice indépendante, impartiale et compétente : c’est le fondement de la légitimité du juge. En 2021, aucun Calédonien n’est issu de cette école.
Les compétences médicales
Actuellement la Nouvelle-Calédonie est soumise à une réglementation de la compétence de l’État et d’institutions métropolitaines en matière de protection du monopole médical, de formation des professionnels de santé, de codes de déontologie, d’ordre et représentation professionnelle ainsi que d’exercice illégal de la médecine. Quelles adaptations à prévoir en cas d’indépendance sur les compétences médicales et la formation des professionnels de santé ?
Un baromètre réalisé sur l’ensemble des professionnels de santé (médecins, kinésithérapeutes, infirmiers, dentistes et pharmaciens) montre des résultats sans appel :
- les professionnels estiment pour la majorité d’entre eux que la situation actuelle en Nouvelle-Calédonie et les perspectives d’avenir rendent leurs professions peu attractives aux professionnels de métropole, et éprouvent des difficultés croissantes pour trouver des successeurs ou des remplaçants ;
- 70% d’entre eux estiment que les liens avec l’État doivent être maintenus, voire renforcés, et que leur disparition dégraderait de façon significative le modèle social calédonien16Abdelkader Saïdi, Comprendre la Nouvelle-Calédonie à travers son système de santé, L’Harmattan 2020..
On comprend aisément que si un pays est faiblement peuplé, ses ressources humaines en termes de compétences et de qualifications professionnelles sont proportionnellement limitées. Or, le secteur sanitaire et de la gestion de la protection sociale nécessite des experts confirmés, qui devront être formés et recrutés.
Au niveau universitaire, que ce soit pour le PACES dans le cadre de la formation des professionnels de santé ou les études de droit et autres disciplines techniques en lien avec la protection sociale, l’organisation, le financement, l’excellence et l’indépendance resteraient à définir et à contractualiser en cas d’indépendance.
Toutes ces questions, dans un climat de morosité où l’attractivité du territoire est déjà de plus en plus compromise, méritent des pistes de réflexions rapides afin d’anticiper une chute de la démographie des professionnels de santé qui a malheureusement déjà débuté.
La compétence des agences de santé
Avoir une compétence en santé exige de s’appuyer sur des expertises d’excellence, impartiales et indépendantes. Aujourd’hui en France, il existe une dizaine d’agences de santé : Santé publique France, la Haute Autorité de santé (HAS), l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l’Agence de biomédecine (ABM), l’Agence nationale de la recherche (ANR), Autorité de sécurité nucléaire (ASN) avec son Institut de recherche sur la sécurité nucléaire (IRSN), l’Institut national du cancer (INCA), l’Établissement français du sang (EFS), l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’environnement et du travail (ANSES) et le Haut Conseil de santé publique (HCSP).
Du médicament aux bonnes pratiques médicales en passant par la certification des établissements de soins, sans oublier l’alimentation, la sécurité au travail, les greffes, la transfusion de sang, toutes ont en commun une meilleure prise en compte de la santé de la population. Elles possèdent un haut niveau d’expertise qu’elles partagent actuellement avec la Nouvelle-Calédonie, notamment pour la définition des bonnes pratiques, l’accréditation, mais également la biomédecine et le service médical rendu des médicaments (pour déterminer leurs remboursements). Toutes ces relations, sur lesquelles s’appuie naturellement le système de santé calédonien, devraient être contractualisées en cas d’indépendance.
Aujourd’hui, la Nouvelle-Calédonie arrive au terme d’un processus de décolonisation sans précédent dans l’histoire de la République. La revendication d’accession à la pleine souveraineté pour un territoire ayant un tel niveau de développement est une première dans l’histoire contemporaine.
Bien que le bilan de ces trente dernières années soit mitigé, nous pouvons relever trois faits robustes :
- la reconnaissance consentie de certaines dépendances vis-à-vis de l’État,
- l’évolution de la gouvernance et de la provincialisation,
- la résilience de l’État sur son passé colonial.
Ce sont ces trois dynamiques qui vont définir les contours de la Nouvelle-Calédonie de demain, un monde qui d’une certaine façon, est déjà là.
Malgré ses nombreuses dépendances vis-à-vis de l’État, le territoire est aujourd’hui largement souverain. Seules les fonctions régaliennes et quelques compétences techniques relèvent de la métropole, à l’instar d’un État fédéré.
Cependant, ce petit pas qui pourrait être fait vers l’indépendance totale est devenu le point irréductible de l’opposition entre indépendantistes et non indépendantistes.
Ce fait dominant n’a pas évolué depuis trente ans, et continue à cristalliser tous les enjeux du pays. Des solutions innovantes et ambitieuses comme le fédéralisme dans la République, ou encore l’indépendance-association n’ont pas réussi à séduire une vie politique figée en manque de confiance et, visiblement, d’inspiration. Le troisième et dernier référendum prévu le 12 décembre prochain sera donc une nouvelle fois un référendum binaire : pour ou contre l’accession du territoire à la pleine souveraineté.
Si l’indépendance est le choix des Calédoniens, la logique veut que l’internationalisation des relations soit réelle entre les États impliqués. En d’autres termes, le soutien français devrait persister eu égard à l’intensité du lien avec le Nouvelle-Calédonie, mais il devrait diminuer significativement par rapport à la situation actuelle. Les systèmes de santé et de protection sociale fragilisés par la conjoncture seront donc directement impactés et le contrat social calédonien sera d’une tout autre nature, sans compensations. Cette description factuelle des conséquences négatives du « oui » sur le modèle de protection sociale n’a pas pour but de condamner l’indépendance, mais d’alerter les acteurs afin de mieux l’envisager financièrement et techniquement.
Si le choix des Calédoniens se porte, au terme du processus, sur le maintien dans la France, il faudra réécrire le titre XIII, transitoire, de la Constitution française. Le modèle de protection sociale sera maintenu et les réformes indispensables pour le sauvegarder entreprises sans délai. Le nouveau modèle devra repenser sa gouvernance et son financement, en restant auto-administré et solidaire, afin de protéger des Calédoniens dotés de droits sociaux individuels contre des risques sociaux de plus en plus longs.
L’État, les indépendantistes et les loyalistes auront alors dix-huit mois pour présenter aux citoyens un nouvel accord. L’équation reste inchangée depuis plus de trente ans : rendre leur dignité aux Kanaks, intégrer les citoyens investis dans le pays dans le corps électoral, assurer la sécurité de tous, garantir le développement économique dans la justice sociale et maintenir l’influence de la France dans la région ; le défi reste immense. Si ce nouveau statut répond à toutes ces exigences, alors le miracle de l’horizon à atteindre prévu par l’accord de Nouméa se concrétisera enfin.
En Nouvelle-Calédonie, encore plus qu’ailleurs, les chiffres issus des urnes ne reflètent pas l’identité d’un pays. Le territoire est un espace singulier dont la devise « Terre de parole, terre de partage » ne pourra se réaliser que si ses citoyens arrivent à se transcender ensemble au-delà du point irréductible de l’accession à la pleine souveraineté. Ainsi une nouvelle page à écrire pleine de promesses s’ouvrira entre la Nouvelle-Calédonie et la France.
- 1Le précédent référendum s’est tenu le 4 novembre 2018 avec 80,63% de participation. 56,7% des électeurs ont répondu « non » à l’indépendance contre 43,3% « oui » ; l’écart était de 18535 votants.
- 2« Éclairages sur le référendum du 04/10/2020 : des rapports de forces théoriques confrontés à la réalité d’un choix », Quid Novi.nc, octobre 2020.
- 3Jean-Marie Tjibaou (1936-1989) : porte-parole des indépendantistes kanaks pendant les affrontements politiques des années 1980 en Nouvelle-Calédonie ; toute sa vie, il a défendu l’égalité entre les différentes composantes de la société calédonienne et les traditions culturelles de son peuple.
- 4Discussions sur l’avenir institutionnel du territoire.
- 5Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, Panthéon-Assas, 2004, I, 147-148.
- 6Jean Courtial, Ferdinand Melin-Soucramanien, Réflexions sur l’avenir institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Rapport au Premier ministre, La Documentation française, 2014.
- 7Code civil, Chapitre VII : Des effets sur la nationalité française des transferts de souveraineté relatifs à certains territoires (Articles 32 à 32-5).
- 8« Le rôle financier de la France », Journal du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, n°8, mai 2019.
- 9Discussions sur l’avenir institutionnel du territoire, p. 19-20.
- 10Discussions sur l’avenir institutionnel du territoire, p. 10-11.
- 11Manuel Tirard, « L’hypothèse de la Nouvelle-Calédonie comme État associé à la France. Perspectives comparées à partir des finances publiques », Revue française des finances publiques, n°143, 2018.
- 12ISEE Nouvelle-Calédonie.
- 13M. Ardoino, O. Fagnot, « Les impacts économiques du Covid 19 en Nouvelle-Calédonie », Cerom, décembre 2020.
- 14Discussions sur l’avenir institutionnel du territoire, p. 15.
- 15Jean-Jacques Urvoas, « État associé ou fédéré, des pistes pour l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ? », Le Club des juristes, 24 juillet 2017.
- 16Abdelkader Saïdi, Comprendre la Nouvelle-Calédonie à travers son système de santé, L’Harmattan 2020.