Quel schéma institutionnel pour la métropole du Grand Paris ? Maxime des Gayets, conseiller régional d’Île-de-France, livre ses propositions.
« Certains ont des malheurs ; d’autres, des obsessions. Lesquels sont le plus à plaindre ? » Alors que la date de la conférence territoriale du Grand Paris n’est toujours pas connue, on ne sait si c’est l’absurdité de Ionesco ou le scepticisme de Cioran qu’il convient de convoquer pour prendre la mesure des débats qui ont cours.
Du Ionesco, chacun a pu en trouver une trace dans les multiples épisodes qui ont égrainé l’histoire du Grand Paris ces dix dernières années, et la création d’un secrétariat d’État à la Région capitale par Nicolas Sarkozy. Des péripéties d’un projet de transport initialement conçu – on l’oublie – pour n’assurer que la desserte de pôles économiques aux aléas d’une construction métropolitaine aux multiples interprétations, les décisions ont longtemps flirté avec l’absurde avant que chacun ne retrouve une part de raison.
Des compromis ont été esquissés pour permettre tout à la fois de mettre le Grand Paris des transports sur les rails, et la métropole du Grand Paris dans le réel. S’il est évident que ces projets, d’infrastructure pour l’un, institutionnel pour l’autre, nécessite des évolutions dans la durée, ils ne peuvent être l’otage de nouvelles obsessions. Or c’est précisément ce à quoi nous semblons assister aujourd’hui. Alliant exigence écologique et sociale, attractivité et égalité territoriale, le projet de transport du Grand Paris ne semble désormais plus peser lourd face aux logiques de Bercy. Quant au schéma institutionnel en Île-de-France, le voici (re)devenu un terrain de jeu pour tocades et marottes, précipitant des décisions dont on peine à voir les logiques ni les raisons.
Comment ne pas juger ainsi la proposition d’élargissement des frontières de l’Île-de-France aux départements limitrophes ? Alors même que la précédente réforme territoriale cherchait justement à doter chaque région de notre pays d’une taille critique suffisante pour assurer son développement et son attractivité, la modernité pousserait donc à renforcer l’étendue de l’Île-de-France qui constitue déjà la centralité majeure et aspire, dans une tradition jacobine, l’essentiel des richesses françaises… Paris et le désert français… Les interactions évidentes entre la région capitale et ses territoires limitrophes doivent conduire à articuler leurs développements réciproques, certainement. Mais non à les aspirer au risque de déséquilibres préjudiciables.
Il en va aussi de la proposition de fusionner les départements de la petite couronne avec une métropole perçue – à défaut d’être vécue – comme la réponse stratégique des temps modernes. L’exemple lyonnais suffirait ainsi à justifier d’une réforme mêlant des structures aux périmètres et aux principes d’action différents. L’amour « du geste » simplificateur étoufferait alors la complexité du sujet, comblant ceux qui ont des obsessions sans prendre en compte ceux qui ont des malheurs…
Les malheureux en Île-de-France sont pourtant nombreux. Si la région capitale représente un tiers de notre richesse nationale, elle est aussi le théâtre de disparités majeures au sein de sa population comme de ses territoires. Ces inégalités sont des facteurs de fragmentation des destins et de différentiation des desseins. Et ce doit être pour y répondre exclusivement, et non pour assouvir d’autres obsessions, qu’une réforme institutionnelle en Île-de-France mérite d’être engagée. Celle-ci devra ainsi rompre avec la défiance historique qu’entretient le pouvoir central vis-à-vis de la région capitale dont les spécificités sont souvent des prétextes pour maintenir l’influence de l’État dans toute prise de décision.
Dégagé de tous ces dogmatismes, il est possible de partir des carences de l’action publique sur le territoire régional pour définir les transformations nécessaires à son amélioration.
Renforcer la cohésion de l’Île-de-France
L’Île-de-France a besoin de cohésion pour assurer un développement équilibré des territoires. Les exemples en sont malheureusement quotidiens. D’un coin à l’autre de cette région capitale, les trajectoires de croissance sont productrices de contrastes et de contradictions pour les habitants qui y résident. L’intensité des possibilités offertes sur le territoire régional ne peut effacer la concentration des inégalités qui l’irriguent. Comme le relèvent régulièrement les études de l’Insee, les écarts entre communes riches et communes pauvres persistent à se creuser, les revenus moyens déclarés étant cinq fois moins élevés à Clichy-sous-Bois qu’à Neuilly-sur-Seine.
Centre-périphérie, ville riche-ville pauvre, est/ouest… Les fractures sont nombreuses et ne peuvent être résorbées sans être appréhendées à une juste échelle. La dimension régionale doit répondre à cet enjeu d’équilibre par sa capacité à réconcilier des territoires aspirés par des dynamiques opposées. Pour ce faire, elle doit pouvoir mettre en œuvre les politiques d’investissements nécessaires à une égalité partagée en termes de mobilité, de développement économique, d’accès à l’emploi… L’action régionale doit être la garante de l’égalité des possibles. Son bloc de compétences doit évoluer en conséquence.
Pour assurer une domestication équilibrée des transformations en cours, les schémas d’orientation régionaux méritent d’être renforcés et de s’appliquer à l’intégrité du territoire francilien. On ne peut, en effet, soutenir la perspective d’une région en « peau de léopard » coexistant avec des territoires d’exception.
S’il devenait nécessaire parallèlement de revoir le statut des conseils départementaux, ni l’effacement des départements de la petite couronne ni les tentatives séparatistes des Hauts-de-Seine et des Yvelines ne permettraient de répondre au besoin de péréquation et de cohésion de l’ensemble régional. Les huit départements franciliens doivent être appréhendés de la même façon sous peine d’accélérer le développement d’une région à deux vitesses.
Dans cet objectif, la mise en œuvre de la réforme Sarkozy « à l’envers » pourrait offrir une piste constitutionnelle, efficace et efficiente de simplification. En 2010, celui-ci avait imaginé « fondre » le conseiller général et le conseiller régional sous le statut nouveau du « conseiller territorial ». Permettant à l’époque de diviser le nombre d’élus de ces différentes collectivités par deux, cette réforme visait à alors « cantonaliser » les régions avec de nombreuses conséquences négatives, au premier rang desquelles une absence de parité liée au mode de scrutin.
Mais en reprenant aujourd’hui cette réforme « à l’envers », il serait possible d’assurer en Île-de-France tout à la fois une meilleure lisibilité des acteurs et la péréquation nécessaire entre les territoires. Le mouvement consisterait à « régionaliser » les départements en distinguant deux fonctions pour cette nouvelle assemblée désignée par le scrutin régional: d’une part assurer ses fonctions premières au niveau régional, d’autre part permettre la tenue de commission permanente départementalisée dans lesquelles siégeraient les conseillers régionaux par département, leur permettant d’individualiser les crédits départementaux. Une telle réforme donnerait une capacité d’agrégation des moyens des départements franciliens au niveau régional, ouvrant par là-même les possibilités de péréquation et donc de cohésion. Elle fusionnerait – de fait – un échelon de collectivités tout en respectant la Constitution et renforcerait la cohérence d’action du couple initial « département/région ».
Assurer le développement polycentrique de la région
Dans une telle hypothèse, une négociation pourrait être ouverte avec les Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) franciliens pour leur attribuer une partie des compétences actuellement assurées par les départements. Après la restructuration intercommunale de la métropole parisienne, les schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI) ont doté l’Île-de-France de 65 EPCI (en y incluant les 11 établissement publics territoriaux). Longtemps à la traîne, l’Île-de-France a donc comblé récemment son retard en matière d’intercommunalité.
Ces structures, sous réserve d’un indispensable travail d’harmonisation et de modification de périmètre, méritent d’occuper une place majeure dans la conduite de l’action publique. Elles constituent les instruments pertinents au développement polycentrique de la région capitale par leurs capacités d’action à une juste échelle (de bassin de vie ou d’emploi). Elles méritent donc d’être dotées de compétences et de ressources complémentaires. Ce fut le sens même de l’amendement déposé dans le cadre de la loi Maptam attribuant aux Établissements publics territoriaux (EPT) une personnalité juridique et une autonomie financière.
En renforçant ainsi les EPCI, en leur permettant de fonctionner en réseau, ce sont les Franciliens qui deviendront bénéficiaires d’une meilleure répartition d’équipements et de services de proximité au plus près de leurs lieux de vie. Cette perspective d’une région organisée non de manière radiale, mais bien plutôt alvéolaire, épouse les choix récents en matière d’organisation de la mobilité en Île-de-France : suppression des zones tarifaires et développement des liaisons interpoles avec les 68 gares pour le Grand Paris Express. Enfin, cette consolidation des EPCI s’inscrit pleinement dans les objectifs du schéma directeur de la région d’Île-de-France (SDRIF) et dans la volonté publiquement partagée de réduire la congestion liée à la centralité métropolitaine et ses nuisances induites.
Favoriser la mutualisation dans la métropole
Mais dans cette vision territoriale de l’Île-de-France, quelle place octroyer dès lors à la métropole ? Plusieurs visions s’affrontent. Certains aimeraient consacrer la métropole comme une collectivité à part entière. Mais si le fait métropolitain est un élément incontestable, peut-on l’institutionnaliser alors qu’il reste fondamentalement une dynamique économique et sociale ?
Reconnaissons que la place de Paris dans cet ensemble rend spécifique toute construction institutionnelle. Mais aussi – et il s’agit peut être du véritable intrus dans la gouvernance de l’Île-de-France – en raison de la place d’un État qui peine à s’effacer devant les collectivités. Quoi qu’il en soit, lors des précédents débats, les hésitations ont été nombreuses entre les deux modèles proposés : une métropole intégrée ou une métropole confédérée.
La centralisation des ressources que permet la première option peut être légitimement perçue comme une avancée en termes de péréquation. Mais elle pose aussi de nombreux questionnements sur sa gouvernance, son statut, son périmètre d’action et son articulation avec non seulement les 12 EPT qui la composent mais aussi avec le reste de l’Île-de-France.
Poser l’enjeu de l’organisation métropolitaine en termes de fonctionnalités amène à privilégier la seconde option. C’est pour répondre à des problématiques propres au fait métropolitain qu’une adaptation de l’action publique mérite d’être engagée, et non pour construire une « institution métropolitaine » en soi. Cette vision ascendante est compatible avec le développement de communautés de projet. Cette métropole confédérée, dont la gouvernance serait assurée par les représentants des EPCI, permettrait de respecter la pluralité des acteurs en incitant à la mutualisation de leurs moyens sur les domaines constituant des intérêts métropolitains : gestion des réseaux, opérations spécifiques d’aménagement, nouveaux services urbains… Il lui reviendrait ainsi de rationaliser les réponses publiques aux enjeux auxquels est confrontée la métropole dans le domaine du logement et de la transition énergétique et de mutualiser plus encore ses outils et ses représentations au sein des grands syndicats techniques.
Dans cette option, la métropole du Grand Paris constituerait donc une confédération d’EPCI sur des logiques de projet dans l’intérêt des habitants. Il ne lui reviendrait pas de faire preuve de voracité pour agglomérer les seuls territoires producteurs de richesses (comme Roissy) mais bien plutôt de mutualiser l’action publique par des actions adéquates au sein de la métropole dans un dialogue constant avec les EPCI du reste de l’Île-de-France. Dans ce dispositif, il reviendrait alors à la Région de jouer son rôle d’intégrateur en s’assurant du développement harmonieux de cette métropole comme des autres EPCI, en veillant à ce que ceux qui captent la croissance ne génèrent pas que des nuisances pour les autres.
Mais il faudrait, pour ce faire, que le Conseil régional assume ses ambitions plutôt que de se désinvestir de politiques pourtant structurelles pour le devenir de l’Île-de-France. Qu’il privilégie la péréquation territoriale au désengagement austéritaire. Qu’il soit une collectivité solidaire et non solitaire dans l’action. Quant aux autres collectivités locales, elles doivent pouvoir s’asseoir sur des ressources pérennes et ne plus être la cible systématique du pouvoir central. Elles doivent pouvoir agir, de manière ordonnée certes, mais avec volontarisme pour transformer le réel de nos concitoyens.
C’est ainsi que la puissance publique pourra s’intéresser aux malheureux plutôt qu’aux obsessionnels.