Alors que le télétravail était jusqu’à présent peu pratiqué en France, l’épidémie due au coronavirus et le confinement qui en découle obligent désormais toutes les entreprises françaises qui le peuvent à encourager leurs salariés à rester travailler depuis leur domicile. Alors que les partenaires sociaux ont entamé le 3 novembre 2020 une négociation pour encadrer au mieux cette pratique, Pascal Priou, syndicaliste UNSA, analyse les enjeux économiques, légaux et sociaux de ce qui pourrait constituer une rupture majeure dans l’organisation du travail en France.
Le télétravail en chiffres
En 2017 :
- 3% des salariés déclarent pratiquer le télétravail au moins un jour par semaine. Parmi eux, 45% le pratiquent un jour par semaine, 26% deux jours par semaine et 29% trois jours ou plus par semaine ;
- les télétravailleurs sont essentiellement des salariés qualifiés ;
- le télétravail est développé de manière équivalente dans le secteur privé et le secteur public ;
- les hommes et les femmes pratiquent le télétravail dans les mêmes proportions ;
- le télétravail est plus fréquent dans les secteurs des services, et au contraire très faible dans d’autres secteurs comme le commerce.
En 2019 :
- en progression, le télétravail concernait entre 8% et 17% des salariés, soit 5,2 millions de Français ;
- au sein de l’Union européenne, 5,1% de la population active pratiquait régulièrement le télétravail. En Allemagne, 12% des salariés pratiquaient le télétravail de façon permanente, et 26% y avaient recours de façon irrégulière ;
- quand une entreprise française proposait le télétravail, 30% des salariés s’y déclaraient favorables ;
- les télétravailleurs étaient en moyenne absents du bureau sept jours par mois. 92% travaillaient chez eux, 21% dans un espace partagé et 35% dans un bureau satellite mis à disposition par l’employeur (en province, par exemple).
En 2020 :
- un mois après la fin du confinement, 41% des Franciliens étaient encore en télétravail ;
- quelques semaines avant le reconfinement, 82% des salariés sondés estimaient indispensable la reprise du travail en présentiel ;
- fin mai 2020, près de 50% des salariés travaillaient sur site, contre un tiers fin avril et un quart fin mars 2020 ;
- fin mai 2020, 23% des salariés étaient en télétravail.
Le télétravail a évolué avec les ordonnances de 2017
Depuis 2017, la possibilité du télétravail dans le secteur privé est inscrite dans le contrat de travail. L’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail a ainsi, dans son article 21, modifié le Code du travail concernant le télétravail.
Plusieurs notions particulièrement importantes sont définies par ces modifications :
- « Le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social économique (CSE), s’il existe. »
- « En l’absence de charte ou d’accord collectif, lorsque le salarié et l’employeur conviennent de recourir de manière occasionnelle au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen. »
- « Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise, notamment en ce qui concerne l’accès aux informations syndicales, la participation aux élections professionnelles et l’accès à la formation. »
- « L’employeur qui refuse d’accorder le bénéfice du télétravail à un salarié qui occupe un poste éligible à un mode d’organisation en télétravail dans les conditions prévues par accord collectif ou, à défaut, par la charte, doit motiver sa réponse. »
Le télétravail est très clairement un objet de dialogue social dans l’entreprise. Les ordonnances de 2017 qui précisent son organisation lui donnent un statut renforcé dans l’entreprise et invitent à ouvrir des négociations pour encourager sa mise en place. La France sort donc progressivement d’un modèle dans lequel le télétravail se décidait et se pratiquait de manière très informelle à un système désormais plus précis et organisé.
Dans la fonction publique, le décret n°2020-524 du 5 mai 2020 a modifié le décret n°2016-151 du 11 février 2016, qui fixe les conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail :
« En sus du télétravail régulier établi par le précédent décret de 2016, les agents publics, fonctionnaires ou contractuels, ont désormais la possibilité d’être autorisés temporairement au télétravail en raison d’une situation exceptionnelle perturbant l’accès au service ou le travail sur le site. Cette disposition permet de ne plus limiter le télétravail à trois jours par semaine, formule qui était déjà en place pour raisons de santé, de handicap ou pour les femmes enceintes. »
- « Le décret instaure le principe de jours flottants par semaine, par mois ou par an. »
- « Le décret élargit les lieux où le télétravail est possible en autorisant celui-ci dans un ou plusieurs lieux, le domicile de l’agent, un autre lieu privé, ou tout lieu à usage professionnel. »
- « La possibilité d’avoir recours au matériel informatique personnel est introduite. »
- « Les délais de réponse de l’administration à une demande d’un agent sont ramenés à un mois maximum. »
- « Les voies de recours en cas de refus par l’administration sont modifiées en permettant la saisine des commissions administratives paritaires (CAP) ou des commissions consultatives paritaires (CCP) pour la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale. »
- « Une période d’essai de trois mois est instaurée. »
Ce décret assouplit fortement les règles du dispositif précédent et facilite l’accès au télétravail dans la fonction publique.
Le télétravail et la crise sanitaire de 2020
Conséquence logique des mesures de confinement décidées par le gouvernement en mars 2020 puis au mois d’octobre, la crise de la Covid-19 a conduit à une massification du télétravail. Sur le site du ministère du Travail, on pouvait ainsi lire le 16 mars 2020 que « le télétravail est la règle impérative pour tous les postes qui le permettent ». Cette situation exceptionnelle a donc fait exploser le nombre de télétravailleurs de façon conjoncturelle. Pour expliquer l’ampleur de ce coup d’accélérateur, le Financial Times cite Wayne Kurtzman, du cabinet d’études IDC : avec le coronavirus, « le marché du télétravail a peut-être pris sept ans d’avance »
Même s’il est bien trop tôt pour prédire avec certitude l’avenir du télétravail une fois la crise passée, on peut déjà à la fois constater que la crise de la Covid-19 a conduit les entreprises et les administrations à adopter dans l’urgence le télétravail, et anticiper la possibilité que cette séquence pourrait constituer un tournant dans l’histoire de l’organisation du travail en France.
Le reconfinement décidé par le gouvernement à la fin du mois d’octobre 2020 et l’incertitude absolue qui entoure les prochains mois compliquent l’analyse de la situation. Il faudra ainsi attendre les chiffres affinés du nombre exact de salariés concernés par le télétravail durant cette période pour mesurer l’ampleur du phénomène. De la même façon, il sera également nécessaire de patienter jusqu’à la fin de l’épidémie et des mesures de confinement qui en dépendent pour pouvoir observer le nombre résiduel de salariés continuant à télétravailler en dépit du retour à la normale et ainsi estimer l’impact et la durabilité de cette marche forcée vers le télétravail.
Le travail à domicile « forcé » n’est pas du télétravail
Il est important de ne pas confondre ni assimiler le travail à domicile forcé et le « vrai » télétravail. Néanmoins, la situation imposée par la crise de la Covid-19 et le travail contraint à la maison conduisent à ouvrir de nombreuses pistes et réflexions sur cette forme d’organisation du travail :
- sur les bénéfices espérés pour le salarié ou l’entreprise : travail au calme, concentration, productivité,
- sur les risques déjà bien identifiés : isolement, démotivation,
- sur l’organisation nécessaire à son bon fonctionnement : volontariat, volume,
- sur l’indispensable négociation dans l’entreprise ou l’administration,
- sur la question de l’équipement en outils adaptés pour tous,
- sur le potentiel de cette forme d’organisation du travail comme alternative pour répondre aux pics de pollution, aux canicules, aux difficultés de transports, à la nécessaire conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle.
Télétravail : un risque d’émiettement du salariat
Il est probable qu’un nombre important de salariés ayant découvert le télétravail puisse souhaiter continuer à le pratiquer de façon adaptée. Il est également envisageable qu’un certain nombre de DRH qui étaient rétifs à cette pratique en mesurent à présent certains bénéfices et seront désormais plus enclins à négocier des accords sur ce sujet ou à passer des conventions de télétravail de gré à gré avec les salariés ou agents. Cette tendance s’observe aussi bien dans la fonction publique que dans le secteur privé.
Avec une généralisation du télétravail, on risque d’assister à un morcellement important du salariat, pour ne pas dire à un émiettement. Des milliers de salariés dont le quotidien était d’être regroupés sur un même lieu de travail, dans un même espace-temps, vont devenir des travailleurs isolés réalisant leur mission à domicile, en nomade (en déplacement, chez des clients, dans les transports…), ou encore dans un télé-centre (espace de co-working). De multiples formes hybrides de télétravail vont émerger.
La situation des travailleurs en termes de fonctionnement sera donc très variée :
- un commercial télétravailleur à 100% ;
- un agent de la fonction publique faisant deux jours de télétravail à domicile par semaine puis le reste au bureau ;
- un salarié qui ne télé-travaillera que pendant les vacances scolaires ;
- un télétravailleur exerçant avec d’autres télétravailleurs dans un espace de co-working.
Beaucoup de situations différentes donc, mais une certitude : pour les organisations syndicales, rencontrer ces salariés télétravailleurs, leur écrire, leur donner une information deviendra plus compliqué, voire parfois impossible. Cette situation n’a rien d’hypothétique : on peut d’ores et déjà la constater dans le cas des salariés des très petites entreprises (TPE) qui, bien que n’étant pas télétravailleurs, sont isolés et donc difficilement atteignables de façon physique.
Isolé, le télétravailleur peut perdre le sentiment d’appartenance à un groupe, à une équipe. Plus le temps en télétravail sera élevé, et plus le sentiment d’appartenance à l’entreprise sera vécu de façon individuelle, en dehors du groupe-collègues. Les managers sont sensibles à cette problématique et tentent d’y faire face en organiser le télétravail de façon à ce que le lien entre le salarié et l’entreprise puisse rester aussi fort que possible. Le télétravail implique donc des évolutions pour le salarié dans son exercice professionnel quotidien, mais aussi pour les managers, désormais obligés d’adapter leurs façons de piloter et d’animer les équipes.
Ce chamboulement va également perturber les organisations syndicales. En effet, la vie collective est le moteur de la mobilisation syndicale. C’est souvent le lien d’équipe, l’appartenance à un groupe de collègues, le témoignage d’un membre d’un service et l’observation du quotidien d’autrui qui conduisent à des prises de conscience collectives du besoin d’agir ensemble, de se syndiquer ou de présenter des listes aux élections de l’instance représentative du personnel (Comité social et économique).
Avec l’inévitable isolement et le progressif éloignement du groupe-collègue, la question de l’investissement des salariés dans l’action syndicale va se poser. Très souvent, l’implantation d’un syndicat résulte d’une démarche collective. Un groupe de salariés ayant un cadre de référence commun considère qu’il faudrait agir ensemble, collectivement, pour peser dans l’entreprise. Cette démarche peut prendre des formes diverses, dans des contextes particuliers. En général, c’est la prise de conscience groupée qui incite à créer ou à développer un syndicat. Est-ce qu’un tel processus de développement syndical pourra encore fonctionner dans une entreprise avec des salariés massivement télétravailleurs ?
La situation du secteur de l’intérim est à cet égard porteuse de leçons. Les entreprises d’intérim ont des salariés permanents, ceux qui gèrent le fonctionnement de l’entreprise, et des dizaines de milliers de salariés en mission chez des clients et dans des entreprises. Pourtant, l’ensemble des salariés d’une même entreprise d’intérim, qu’ils soient permanents ou intérimaires, n’ont qu’un seul comité social et économique au sein duquel ils peuvent se présenter et voter. Le constat qui découle de cette asymétrie non reconnue est à la fois flagrant et généralisé : alors que les permanents cultivent un sentiment d’appartenance à leur entreprise, participent aux élections et s’y présentent pour en influer sur les choix, les intérimaires qui travaillent hors de l’entreprise participent faiblement aux scrutins et sont peu nombreux à accepter d’être sur des listes syndicales.
La situation et l’état d’esprit des travailleurs intérimaires laissent présager de celle des futurs salariés télétravailleurs. Alors que les débats et les décisions du Comité social et économique les impactent au quotidien, les intérimaires n’y participent pas car leur lien d’appartenance à l’entreprise est distendu par l’éloignement physique. Par extrapolation, on peut aisément anticiper que le même phénomène de distanciation sera constaté à propos de l’investissement des salariés dans l’activité syndicale.
Les syndicats ont été inventés dans un modèle où le regroupement du salariat en un même lieu (l’usine, l’administration) était la règle. Avec quelques adaptations marginales adoptées au fil du temps, les organisations syndicales ont depuis continué à concevoir et organiser leurs actions au sein de ce modèle.
L’éclatement massif du salariat qui découlerait de la généralisation du télétravail constitue donc une dangereuse révolution pour le dialogue social. C’est impérativement au travers des organisations syndicales qu’il convient d’en négocier dès aujourd’hui les termes.
Négocier le télétravail : une exigence
La généralisation du travail à distance correspond à une aspiration profonde d’une partie des travailleurs français. Il faut encourager son développement tout en l’encadrant pour limiter les effets négatifs qu’il génère, au premier rang desquels se trouve l’affaiblissement de la frontière entre la vie privée et la vie professionnelle.
Pour concilier au mieux ses effets bénéfiques pour le salarié (gain de productivité, autonomie accrue, performance globale, gain de temps), pour l’employeur (économies réalisées sur le coût du m2, salariés moins fatigués par les déplacements) et pour l’intérêt général (baisse des émissions de gaz à effet de serre notamment), il faut ouvrir des négociations :
- pour encadrer obligatoirement le télétravail par un accord collectif dès lors qu’il devient régulier dans les entreprises ;
- pour conditionner l’accès au Fonds de transformation numérique pour les TPE/PME à la signature d’un accord ;
- pour permettre le télétravail conditionné par une simple charte dès lors qu’il reste occasionnel ;
- pour limiter les inégalités d’accès au travail à distance en équipant 100% des salariés ;
- pour limiter les inégalités d’accès au travail à distance en permettant aux bâtiments scolaires de devenir des espaces de « co-working/tiers lieux » quand ils ne sont pas occupés ;
- pour former les salariés les plus éloignés du numérique grâce à un abondement de l’État au compte personnel de formation (sur-abondement pour les salariés et 500 euros pour les demandeurs d’emploi) ;
- pour permettre d’échanger tout ou partie de l’indemnité versée par l’employeur au titre du travail à distance contre des heures de formation ou des jours de congé.
Les syndicats cherchent à encadrer le télétravail. Ils ont la volonté de trouver avec les organisations patronales des nouvelles règles qui limitent les dérives du travail à distance. Des discussions sont engagées, mais le patronat demeure manifestement encore trop frileux pour s’engager dans ce sens. Pourtant, les sujets à traiter ne manquent pas. En effet, si le télétravail est perçu par les salariés comme une potentielle source de confort (contraintes de transport réduites, heures de sommeil gagnées, autonomie plus grande…), il peut également avoir des conséquences négatives (sentiment d’un contrôle plus fort, conditions matérielles inadaptées, isolement, déficit d’informations…) qu’il convient de prendre en compte et d’anticiper.
Le télétravail a donc besoin d’un dialogue social de qualité pour être régulé, efficace et accepté. Le 14 mai 2020, les syndicats du pôle réformiste CFDT, CFTC, UNSA ont fait une déclaration commune dans ce sens :
« La CFDT, la CFTC et l’UNSA considèrent que le télétravail doit être repensé pour tenir compte des expériences vécues et construire des perspectives d’avenir. De nombreuses enquêtes ont vu le jour pour donner la parole aux télétravailleurs, comprendre les difficultés rencontrées tout comme les conditions de réussite et dégager des pistes d’amélioration. Il en est ainsi de l’étude menée par l’ANACT pendant le confinement ou encore du questionnaire réalisé par Res Publica sur le travail à distance durant cette même période. Ces éléments de diagnostic nous permettent d’enrichir les enseignements dont nos militants ont pu nous faire part, qu’il s’agisse de cette période particulière de lutte contre la Covid-19, ou de la pratique qu’ils ont du télétravail négocié par le biais d’accords ou discuté lors de la mise en place de charte.
Une opportunité se présente pour stabiliser les contours du télétravail au plus grand bénéfice des travailleurs comme des entreprises et administrations, tout en lui donnant une dynamique nouvelle tenant compte des attentes de toutes les parties prenantes.
C’est sur la base de ces analyses que nos organisations ont élaboré une série de préconisations, présentées dans le texte joint. Elles ont pour but de construire des repères communs et d’imaginer des pistes de réflexion pour se saisir du sujet dans le cadre d’un dialogue social de qualité.
Les modalités de ce dialogue restent à définir : accords interprofessionnels pour les travailleurs des secteurs privés et publics, accords d’entreprises et d’administrations, accords de branche dont le renouvellement nous apparaît nécessaire. Tout est possible. À une condition. Que l’ensemble des acteurs soient prêts à s’engager pour tirer les leçons de cette période inédite et améliorer les conditions des télétravailleurs. »
Les propositions de la CFDT, CFTC et l’UNSA :
- faire du télétravail un objet de dialogue social ;
- mettre en place le télétravail implique de questionner l’organisation du travail ;
- avoir une réflexion d’ensemble sur les postes éligibles ;
- distinguer les différentes formes de télétravail ;
- mettre en place des modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail ;
- envisager le télétravail autrement qu’au domicile du télétravailleur ;
- créer les conditions de réussite de la mise en œuvre du télétravail ;
- clarifier les usages des outils numériques et leurs limites ;
- intégrer les enjeux de préservation de la santé, de la sécurité des travailleurs comme ceux de la prévention de la désinsertion professionnelle pour les personnes pouvant être fragilisées par la mise en place de ce type d’organisation du travail ;
- prendre en compte les situations particulières des travailleurs handicapés ;
- réinvestir le bénéfice de la reconfiguration des locaux de l’entreprise/administration dans la mise en œuvre du télétravail au bénéfice de ses conditions d’exercice.
Garder le lien avec les télétravailleurs
Rencontrer les télétravailleurs là où ils se trouvent est un défi pour les organisations syndicales et, suivant les situations, la difficulté peut être plus ou moins grande. À l’image de ce qui est constaté dans le cas des salariés des très petites entreprises (moins de 11 salariés), la prise de contact avec les salariés qui travaillent à domicile est particulièrement difficile.
En effet, quand bien même un télétravailleur n’est jamais à 100% à son domicile, la présence de chacun dans les locaux de l’entreprise est aléatoire et il est proprement impossible de parvenir à organiser des communications syndicales sur site à un horaire qui conviendrait à tous. Si le télétravail nomade souffre des mêmes écueils, le télétravail en télé-centre (espaces de co-working), qui permet un regroupement de télétravailleurs à un endroit défini avec des possibilités de les contacter en une seule fois, est en revanche le dispositif dans lequel le travail syndical est le moins entravé.
Dans ce cadre, la massification du télétravail va contraindre les organisations syndicales à adapter leur mode de fonctionnement habituel. Pour parler de façon imagée et en caricaturant un peu, il va falloir passer de la harangue collective dans la salle de repos de l’atelier avec porte-voix et tracts à une communication plus fine, individuelle, ciblée.
Ce changement d’ère ne va pas sans poser de réelles questions légales. Le Code du travail détaille en effet les conditions de tractage, d’affichage et de permanence syndicale au sein des entreprises et des administrations, mais rien n’est prévu pour encadrer ces activités dans un contexte de télétravail généralisé.
Là encore, des espaces de négociations doivent s’ouvrir pour :
- prévoir un droit au contact individuel du salarié à son adresse personnelle avec son consentement ;
- intégrer un droit à la communication syndicale avec les salariés en télétravail dans les accords d’entreprise (ou les conventions individuelles de télétravail), quitte à inventer un droit d’envoi syndical via l’entreprise pour ne pas déroger à la confidentialité (RGPD) des données personnelles du salarié (mail personnel, adresse personnelle, téléphone personnel…) ;
- recenser les espaces de télé-centre en France (espaces de co-working) afin d’y autoriser une présence syndicale.
Télétravail : anticipation, préparation, négociation
Il fut une époque où il existait de nombreux obstacles pour l’organisation du télétravail : absence de fluidité numérique, sous-équipements, manque de formation, insécurités juridiques… Sur de nombreux points, les réalités ont positivement évolué, notamment grâce à la simplification de l’utilisation des outils numériques qui atténue les réticences et facilite l’accès au télétravail.
On sait cependant que, au-delà des outils, ce sont d’abord les mentalités des salariés et des dirigeants d’entreprises qui doivent évoluer. Il s’agit là d’un chantier déterminant si l’on veut aller vers un télétravail aux conséquences bénéfiques pour chacun, qu’il s’agisse de l’entreprise ou des salariés.
Cette période de télétravail massif auquel la crise nous contraint est riche d’enseignements. Il faudra savoir en tirer profit pour l’avenir afin de ne plus répéter les pratiques quelque peu anarchiques observées dans certains secteurs d’activité où la possibilité du recours au télétravail n’avait encore jamais été préparée ni même envisagée.
Par la négociation entre partenaires sociaux, il faut à présent glisser vers un télétravail porteur de progrès social. Les arguments ne manquent pas en ce sens :
- Le télétravail constitue un gain de temps majeur. Les Français ont en moyenne besoin de 50 minutes par jour pour se déplacer vers et depuis leur lieu de travail. Sur quatre semaines, ils perdent donc en moyenne 16,6 heures à se déplacer, soit plus de deux journées complètes de 7 heures chaque mois. Sur une année de 46 semaines travaillées, ce chiffre monte à 191,6 heures, soit plus de 27 journées complètes de 7 heures ;
- Le télétravail est donc un atout pour mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle. C’est particulièrement vrai pour les femmes, les parents isolés ou les personnes souffrant de handicap ;
- Le télétravail rentabilise aussi le temps de travail : il évite de la fatigue aux salariés ;
- Le télétravail est également bon pour la planète : il aide à limiter les déplacements et réduit les consommations énergétiques ;
- Le télétravail est source d’économie pour l’entreprise : il lui permet d’optimiser les surfaces de bureau occupées.