Dans un contexte de montée des puissances du Sud global et de crise du modèle énergétique, pour des raisons climatiques, environnementales et géopolitiques, la France opère visiblement un rapprochement vers les pays de l’Amérique du Sud. Le 21 novembre dernier à Valparaíso, Emmanuel Macron annonçait le retour d’un lien franco-chilien fort, un lien « politique ». Maya Laurens, chargée de mission à la Fondation, nous éclaire sur la signification de ce déplacement présidentiel français en Amérique du Sud de novembre 2024.
Le 16 novembre, Emmanuel Macron se rendait en Argentine, puis au Brésil et enfin au Chili, afin d’effectuer un exercice d’adresse : convaincre Javier Milei de ne pas faire sécession avec les accords globaux, exposer le refus français de voter « en l’état » le vétuste accord UE-Mercosur, en dissuader les quatre pays signataires1L’accord devait se faire à l’unanimité. Le 6 décembre 2024, à l’occasion du sommet du Mercosur à Montevideo, se sont exprimés en faveur les présidents Luis Lacalle Pou (Uruguay), Javier Milei (Argentine), Lula (Brésil) et Santiago Peña (Paraguay)., assister au G20 et ménager les ententes bilatérales. Si la vaste majorité des regards se sont portés sur l’omniprésence de la thématique UE-Mercosur, à l’agenda pourtant flou et aux négociations obscures, ainsi qu’aux tensions générées par la présence de Sergueï Lavrov2Le chef de la diplomatie russe était présent au sommet du G20 au titre de sa participation au sein de l’Alliance contre la faim, rassemblant 82 pays, combat à la tête duquel Lula s’affiche en leader. Une présence jugée par certains observateurs comme un subterfuge de la part du président brésilien pour faire s’asseoir la Russie à la table. Philippe Ricard et Bruno Meyerfeld, « Au G20 de Rio, la grande mésentente entre les Occidentaux et les États émergents du Sud », Le Monde, 20 novembre., les déclarations des présidents Emmanuel Macron et Gabriel Boric à l’issue de la visite diplomatique à Santiago et Valparaíso sont passées quelque peu inaperçues, portant sur l’annonce d’un retour d’une relation politique entre la France et le Chili. Plus largement, il semble qu’en s’opposant à la signature de l’accord UE-Mercosur dans sa forme actuelle et en renouvelant les relations bilatérales brésilienne, argentine et chilienne, Emmanuel Macron cherche à dessiner, s’il n’est pas tout à fait possible de déceler les contours d’une doctrine, une singularité de la ligne française et une indépendance diplomatique nationale.
Le 21 novembre dernier, donc, en visite au Congrès chilien, à Valparaíso, Emmanuel Macron annonçait le retour d’une relation franco-chilienne en bonne et due forme, en soulignant le retour du « politique » comme vecteur de l’approfondissement amical, à la différence de la relation à dominante largement commerciale de ces dernières décennies, principalement marquées par un effacement des relations diplomatiques bilatérales entre la France et les pays du sous-continent sud-américain. Une déclaration qui, plus généralement, annonce un rapprochement français avec lesdits pays dont on peut questionner à la fois la profondeur et la nature « politique », en tout cas la présence d’une marque de fabrique « macronienne ».
En ce début d’année 2025, retour sur le second déplacement du président français en Amérique du Sud et le sommet du G20, les perspectives d’évolution de la relation franco-chilienne et l’évolution de la relation diplomatique française vis-à-vis du sous-continent latino-américain.
G20 à Rio : faibles résultats et imposition des puissances du Sud
Alors absent de la COP26, Emmanuel Macron effectue un voyage diplomatique qui le porte d’abord à Buenos Aires pour rencontrer un Javier Milei fraîchement revenu de Mar-a-Lago (la résidence de Donald Trump en Floride), où il avait affirmé faire une alliance avec l’Italie et Israël afin de défendre « les valeurs occidentales », menacées par les gauches. Cet exercice diplomatique consistait à convaincre le président argentin de « participer au consensus international » et ne pas trop vite suivre les pas du président élu, Donald Trump, dans l’isolement au sein du G20 et dans le retrait national aux accords globaux et climatiques alors qu’il avait déjà retiré sa délégation – déjà numériquement faible – de Bakou. Certains médias supputent un message directement envoyé à la France, à quelques jours de la visite diplomatique bilatérale, Emmanuel Macron faisant a priori figure de leader mondial sur le plan environnemental.
Au-delà du potentiel accord agricole avec l’Europe, l’intérêt de la relation avec l’Argentine résulte en grande partie des investissements commerciaux français en matière de métaux critiques, de lithium en particulier, ainsi que des intérêts de défense : une nouvelle mine de lithium a été inaugurée par l’entreprise Eramet à l’été 2024 et la France vient récemment de vendre des sous-marins Scorpène à son partenaire sud-américain. Au sortir de la « visite de travail » à Buenos Aires, Emmanuel Macron évoquait, en garantie supplémentaire face au mouvement social des agriculteurs français, une réticence de Javier Milei à appuyer la forme actuelle de l’accord UE-Mercosur, « très mauvais pour [la] réindustrialisation [de l’Argentine], et [pour la France], très mauvais pour [son] agriculture3« Déplacement en Amérique latine : la déclaration du Président Emmanuel Macron depuis Buenos Aires », Élysée, 17 novembre 2024. ». Convaincre Javier Milei de ne pas donner son assentiment à l’accord UE-Mercosur, un exercice qu’on sait désormais raté, exécuté par une délégation française qui a brandi la menace que représentait l’accord pour les secteurs industriel et agricole argentins. En somme, un discours qui aurait sans doute fonctionné si adressé à un candidat kirchneriste, mais qui ne fait pas particulièrement mouche chez Javier Milei. Erreur d’interlocuteur. Aucune certitude non plus quant au devenir de l’engagement argentin dans l’Accord de Paris, que le président étasunien élu s’est déjà engagé à quitter une nouvelle fois.
On ne retient rien de grandiose du sommet du G20, si ce n’est la présence de Sergueï Lavrov, la révision de la doctrine nucléaire russe suite à l’utilisation de bombes américaines par l’armée ukrainienne et le succès de la présence chinoise en contraste avec un Joe Biden en fin de piste. Lula s’étant engagé pendant ces trois jours à ne pas mettre l’Ukraine sur la table – la Chine et l’Inde avaient annoncé au préalable qu’elles se refuseraient à dénoncer la Russie dans le cadre du sommet –, le texte final de la rencontre se caractérise finalement par l’absence de toute qualification de « l’agression » russe en Ukraine, ce dont se félicite le ministre russe des Affaires étrangères, alors que la Russie bombardait intensivement le pays la veille du sommet. Il semble tout de même que le sommet ait tracé une ligne de faille davantage visible séparant les puissances émergentes du Sud et l’Occident, parmi lesquelles la Chine, le Brésil et la Russie, grands protagonistes des BRICS.
Du reste, le projet de taxation commune des ultra-riches en est resté au stade de l’évocation et aucun réel progrès n’a été réalisé quant à l’arrêt des énergies fossiles, victoire arrachée lors de la COP28 à Dubaï, du fait d’un appui étasunien très faible à l’approche du second mandat de Donald Trump. Ce retour de l’ancien président étasunien se fait d’ailleurs ressentir dans l’aisance que prend Javier Milei à annoncer dès le 18 novembre 2024 qu’il ne signerait qu’« en partie » le texte issu du sommet, réfractaire à l’augmentation des moyens pour la lutte contre la faim et sur la limite de la liberté d’expression, thème mis en exergue pendant la rencontre.
Quant à Gabriel Boric, il était convié par Lula à Rio, représentant le Chili en tant que nation invitée. Il participait au lancement de l’Alliance globale contre la faim et la pauvreté ainsi qu’à la session sur la Réforme des institutions de la gouvernance globale. Quelques jours auparavant, le président chilien était au Pérou pour le sommet pour la coopération Asie-Pacifique (Apec) qui se déroulait le 16 novembre à Lima, en présence notamment du président chinois Xi Jinping et du Premier ministre canadien Justin Trudeau. L’exécutif chilien a en particulier annoncé avoir tenu des réunions en haut lieu avec le Premier ministre indien Narendra Modi et le Premier ministre du Royaume-Uni, Keir Starmer. Le sommet de l’Apec confirme une appétence croissante pour la Chine de la part de certains pays sud-américains, le Brésil en premier lieu, alors que le rapprochement bilatéral entre les deux pays s’est manifesté encore davantage à Rio.
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Abonnez-vousL’accord de Montevideo
Du côté français, la fin 2024 s’est soldée par un échec temporaire post-G20 : celui de la conclusion des négociations de l’accord UE-Mercosur entre Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et les exécutifs des quatre pays membres de l’alliance commerciale sud-américaine (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay), ce qui représente une avancée conséquente dans le processus législatif. Face à la menace d’une importante hausse des taxes étasuniennes sous Donald Trump4Lors de sa campagne présidentielle, le président élu a annoncé une hausse des droits de douane entre 10% et 20% pour le monde entier, et de 60% pour la Chine., l’Union européenne tente de préserver son poids économique global.
Les négociations avaient abouti à un texte il y a cinq ans, en juin 2019, dont la signature avait toutefois été suspendue, principalement en raison de l’opposition de la France qui exigeait déjà des garanties environnementales et un respect de l’Accord de Paris, et en raison de l’arrivée de Jair Bolsonaro à la tête du Brésil. L’accord avait également été repoussé au dernier sommet du Mercosur à Rio, en partie du fait de l’Argentine qui refusait d’envisager une signature avant la prise de fonction de l’alors président élu Javier Milei.
La validation des bases de l’accord de Montevideo, les 7 et 8 décembre derniers, sauve provisoirement la trajectoire d’un traité en négociation depuis vingt ans et que la prochaine présidence du Mercosur, celle du Paraguayen Santiago Peña, menaçait de ne pas reprendre. Si Ursula Von der Leyen – qui de retour d’Uruguay n’a pas honoré le rendez-vous des leaders à Notre-Dame de Paris – a réussi le pari du voyage, l’entrée en vigueur du traité paraît encore bien loin. Une fois validé au niveau du Conseil de l’Union européenne et ratifié au sein du Parlement européen, le texte devrait être ratifié par les congrès nationaux sud-américains, au sein desquels les exécutifs nationaux ne possèdent généralement pas la majorité. Bien sage qui peut prédire l’issue du processus.
De 2019 à 2024, peu de dispositions changent au sein du texte négocié. On y trouve quelques clauses en plus, de la part de l’Union européenne comme de l’Amérique latine5Alan Hervé, « Accord UE-Mercosur : et maintenant ? », Le Club des juristes, 15 janvier 2025.. Surtout, la prise en compte des clauses environnementales figure en plus grosses lettres, sans qu’on y trouve un gage d’effectivité. Même le respect de l’Accord de Paris n’engage pas les États membres de manière très contraignante, et l’accord mentionne que les accords environnementaux passés après celui-ci ne sont pas engagés.
La position française vis-à-vis des accords de libre-échange européens
De l’autre côté de l’Atlantique, la Commission européenne a un choix stratégique à faire : présenter un accord regroupant le volet commercial et le volet politique de l’accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur, ou présenter deux accords distincts.
Parmi les nombreux débats autour de l’accord de libre-échange, on en oublie, il est vrai, que l’accord UE-Mercosur est un accord plus large d’association, comprenant un volet économique et un volet qualifié de « politique et de coopération » qui se destine à approfondir les biais de coopération bilatérale dans un contexte géopolitique de plus en plus crispé. S’il semble que ce volet fasse a priori consensus, le contenu des négociations le concernant, effectuées entre la Commission et ses interlocuteurs du Mercosur, n’a pour l’instant pas été rendu public, en dépit du temps long sur lequel celles-ci ont été menées.
Dans le premier cas, la Commission européenne peut choisir de soumettre au vote un texte comprenant les deux volets susmentionnés au Conseil de l’Union européenne à l’unanimité, puis à la ratification par les 27 parlements nationaux des États membres. De fait, l’accord inclura des compétences qui sont propres à l’Union et des compétences qui relèvent de l’échelon national. Dans un processus classique de ce type, la France possède par conséquent un droit de véto.
Dans le second cas, la Commission européenne peut choisir de soumettre au vote un texte ne présentant que le volet commercial de l’accord d’association avec les pays du Mercosur, et un second par la suite. Cette division pourrait permettre de faire voter les domaines qui relèvent des compétences étatiques, le volet « politique », à l’unanimité et le volet strictement commercial à la majorité qualifiée615 États sur 27.. Dans ce cas, la France devra réunir autour d’elle une « minorité de blocage », au sein de laquelle pourraient se retrouver l’Italie, la Pologne, l’Autriche ou encore la Croatie. La Belgique est divisée entre la Flandre et la Wallonie. Pour l’instant, seule l’Italie – du moins son ministre de l’Agriculture – s’est déclarée en opposition. La Pologne de Donald Tusk, qui sera alors à la présidence de l’Union, se positionne également plutôt clairement parmi les réfractaires à l’accord commercial dans sa forme actuelle.
Le 26 novembre dernier en France, en écho au discours d’Emmanuel Macron au sommet du G20, et autour d’une distinction opposant le refus « en l’état » et le refus « tout court » de l’accord, les parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat se sont massivement opposés au traité UE-Mercosur7À l’Assemblée nationale : 484 voix pour la position du gouvernement rejetant l’accord, 70 voix contre ; au Sénat : 338 voix pour, 1 voix contre.. Au niveau national, l’enjeu d’une signature de l’accord par les membres du Mercosur intervenait également dans un contexte de mobilisation des agriculteurs français, notamment issus de la filière bovine et avicole8Les filières européennes de bœuf, de volaille et de sucre sont susceptibles d’être fortement impactées, quand les filières du fromage et du vin, et plus largement pharmaceutique, automobile, machine et textile, pourraient bénéficier de l’accord., et plus largement dans un contexte de crise sociale, politique et institutionnelle. Parmi les demandes émanant de l’exécutif et du Parlement figurent le respect de l’Accord de Paris et la garantie du principe de réciprocité, l’imposition des fameuses clauses miroir, dont il sera probablement impossible de vérifier l’application.
Cette position oppose la France à l’Allemagne et à l’Espagne qui souhaitent s’établir sur les marchés automobile et pharmaceutique sud-américains. Dès 2022, l’Allemagne utilisait la diversification du libre-échange comme stratégie d’évitement de la Russie, quand la France y associait la réindustrialisation et la souveraineté agricole européenne9Marie Krpata et Ana Helena Palermo, « L’accord UE-Mercosur : un trilemme insoluble ? Entre règles de la concurrence, ambitions normatives et diversification des approvisionnements », IFRI, 3 octobre 2024, pp. 4-5.. De l’autre côté du Rhin, l’intérêt se porte principalement sur l’opportunité que représente le quatrième marché automobile mondial pour l’industrie allemande. L’Espagne est quant à elle surtout intéressée par la filière de maïs et de soja sud-américain dont l’importation favoriserait sa filière porcine.
Emmanuel Macron, de Santiago à Valparaíso
Le contraire eut été très étonnant, Emmanuel Macron n’est pourtant pas réfractaire aux accords de libre-échange à l’échelle européenne. Lors de sa visite à Santiago, puis à Valparaíso, il utilise d’ailleurs la comparaison entre l’accord UE-Mercosur et l’accord renouvelé UE-Chili, en passe de ratification, pour renforcer la relation bilatérale franco-chilienne.
Cette opposition française à l’accord « viande et voitures », sur lequel l’Union européenne doit statuer d’ici fin février 2025, n’impacte pas le Chili. En effet, depuis février 2024, le Parlement européen a approuvé l’accord intérimaire de libre-échange UE-Chili. Il s’agit d’un renouvellement de l’accord d’association en vigueur depuis 2002, qui incluait déjà un accord de libre-échange. Le nouveau texte avait été négocié entre la France et l’ex-président de droite libérale Sebastian Piñera, sans que Gabriel Boric ne parvienne à obtenir des renégociations avec l’Union européenne.
Les États membres de l’Union européenne doivent désormais ratifier le traité. Le 21 novembre dernier, discourant devant le Congrès chilien, Emmanuel Macron souligne les qualités d’un « accord commercial moderne, adapté aux enjeux du siècle, et notamment au défi climatique qui ne transige ni sur notre ambition économique, ni sur le respect de la souveraineté de chacun, qui définit un cadre clair, des terres et des minerais critiques, jusqu’à l’industrie en passant par le climat10« À Valparaíso, discours du Président Emmanuel Macron devant le Congrès national du Chili », Élysée, 21 novembre 2024. », qu’il met en parallèle, comme il l’avait fait deux jours plus tôt en conclusion du G20 avec l’accord européen de libre-échange avec le Canada, avec l’accord UE-Mercosur en tension : « c’est ce modèle que nous recherchons aussi pour vos voisins du sous-continent, en particulier les membres du Mercosur ».
Les inquiétudes « traditionnelles » que soulève la mise en place d’un accord de libre-échange sont nombreuses : asymétrie entre exportation chilienne de matières premières non transformées et exportation européenne de biens manufacturés, grande dépendance de l’économie chilienne à l’exportation de matériaux critiques sur un marché du lithium qui sera dominé par l’Argentine et l’Australie en 2050, mise en danger des entreprises locales, etc. Au-delà de ces dernières, on ne peut pas dire que les préoccupations environnementales chiliennes soient entre de bonnes mains. En dépit de la mention appuyée que fait le président français des incendies menaçant le territoire chilien, l’extraction à marche forcée du lithium présent sur le territoire national menace les terres des communautés autochtones encore plus qu’elles ne le sont et aggravera, à terme, la crise de l’eau, qui est une denrée privée.
C’est ainsi par le commerce qu’Emmanuel Macron introduit la résistance à deux blocs hégémoniques, les États-Unis et la Chine, face auxquels l’Union européenne serait la seule à respecter les règles fixées par l’OMC. Le président français souligne la volonté européenne des partenariats avec les « pays de ce sous-continent (…) qui ne veulent pas céder aux hégémonies ni de l’un ni de l’autre ». Vis-à-vis de l’Ukraine, du cessez-le-feu à Gaza et au Liban, il positionne chaque fois la France et le Chili comme des protagonistes de l’indépendance, de la paix et de l’intégration régionale multilatérale. Il le fait également en mentionnant Caracas, alors que la crise diplomatique entre le Venezuela et le Brésil s’intensifie à la suite de la réélection de Nicolás Maduro – contestée et contestable – et du déplacement de ce dernier au sommet des BRICS, en Russie, en octobre 2024. Le géant sud-américain peine désormais, au sein du jeu des alliances globales, à s’imposer comme leader de la région. Le 28 août dernier, la réélection de Nicolás Maduro a d’ailleurs provoqué une crise au sein de la coalition officialiste chiliennne Apruebo Dignidad alors qu’une partie des membres du Parti communiste chilien (PCC) se sont offusqués de la déclaration de Gabriel Boric condamnant « une dictature ayant falsifié les élections11« Au Chili, la coalition du président Boric “fracturée” par la crise vénézuélienne », Courrier international, 27 août 2024. ». Alors que le président du PCC, Lautaro Carmona, répondait en soulignant l’existence d’une séparation des pouvoirs au sein du système politique vénézuélien, le Parti social-chrétien a déposé, le 28 août 2024, une motion de censure à l’encontre de Karol Cariola, figure de la coalition officialiste et présidente communiste de la chambre des députés, pourtant modérée sur le sujet.
La relation franco-chilienne entend se poursuivre dans la diversification et le renforcement des coopérations préexistantes, un renforcement de « la relation politique et économique des deux pays, ainsi que la coopération commerciale, environnementale, en matière d’énergies renouvelables, d’intelligence artificielle, et en approfondissant l’échange culturel12« G20: Presidente Gabriel Boric sostiene reuniones bilaterales con el Primer Ministro de Reino Unido y la India », site du gouvernement chilien, 19 novembre 2024 [trad. de l’autrice]. ». Le partenariat bilatéral franco-chilien est particulièrement développé en termes d’ingénierie de transports (la société Alstom, qui a remporté l’appel d’offre pour la construction de la ligne 7 du métro de Santiago il y a trois ans, a signé en octobre 2024 un contrat portant sur la modernisation du système ferroviaire régional chilien, quasiment inexistant dans un pays de 4000 kilomètres de long), ainsi qu’en coopération culturelle (partenariats universitaires et francophonie).
Le déplacement dans la capitale culturelle du Chili a été également l’occasion de lancer l’Appel de Valparaíso, une déclaration réalisée par les deux chefs d’État depuis le brise-glace Amiral Viel – navire chilien, dit « à capacité glace » – annonçant d’ici à 2030 une première grande campagne de recherche scientifique franco-chilienne, effectuée côté français depuis le navire baptisé « Michel Rocard », du nom de l’ancien Premier ministre socialiste, artisan du protocole de Madrid dans le cadre du traité de l’Atlantique en 1991, nommé premier ambassadeur français pour les pôles en 2009. À ce titre, la France et le Costa Rica lanceront la « décennie des sciences et de la cryosphère », le 8 juin prochain, à Nice. Parmi les quatre objectifs de l’Appel de Valparaíso, Emmanuel Macron a officiellement soutenu la candidature de la ville éponyme comme lieu d’accueil du siège du traité Marine Biodiversity of Areas Beyond National Jurisdiction (BBNJ), destiné à protéger l’océan et la biodiversité marine grâce à un multilatéralisme environnemental et la mise en place d’un « arsenal judicieux et contraignant ».
La stratégie énergétique et commerciale chilienne
À l’instar de ses voisins d’Amérique latine possédant une diversité de richesse souterraine, le Chili est le plus gros producteur de lithium au monde, avec l’Argentine et l’Australie. 34% de la production mondiale sont extraits dans la mine Chuquicamata, au nord du pays. Commerçant principalement avec la France au sein de l’Union européenne, le Chili est le troisième partenaire sud-américain de l’Hexagone. Au sein du triangle sud-américain du lithium (Bolivie-Argentine-Chili), le Chili s’annonce être un partenaire indispensable dans la transition européenne vers une économie bas-carbone, surtout dans le contexte de contournement de la Russie, enjeu qui concerne particulièrement l’Allemagne.
Dépositaire d’un bilan mitigé, arrivant au terme d’un mandat présidentiel qu’il n’avait pas envisagé comme tel – qui a pris un virage à partir de l’échec du premier processus constitutionnel, le 4 septembre 2022 –, Gabriel Boric a été confronté à deux thématiques qui mettent traditionnellement les gauches à mal : la sécurité et la croissance économique. Interviewé dans la revue Espaces latinos, ce dernier déclarait se concentrer sur ces deux thématiques pour cette dernière année de mandat13« Gabriel Boric revient sur deux ans du gouvernement et les perspectives avant la fin de son mandat en 2026 », El Pais repris par Espaces latinos, 16 mars 2024.. La relance économique passe, entre autres, par la mise en place d’un plan stratégique afin que le Chili devienne « le principal producteur de lithium du monde14Louis de Catheu et Florent Zemmouche, « Lithium chilien : comprendre la stratégie de Boric », Le Grand Continent, 10 janvier 2024. », que le gouvernement a négocié non sans faire grincer la gauche avec l’entreprise SQM de Julio César Ponce Lerou. Alors que le lithium est propriété d’État depuis 1979, l’homme le plus riche du pays, ancien gendre d’Augusto Pinochet et magnat du lithium, a obtenu une co-tutelle du précieux métal jusqu’en 2030.
Aucune surprise à ce que le Chili ait été désigné « pays prioritaire à l’investissement » par la France en 2020, la société Eramet venant d’obtenir une future concession de lithium sur un terrain de 120 000 hectares dans le désert d’Atacama.
Vis-à-vis du lithium, la politique de Gabriel Boric prend deux directions principales : la mise en place d’un Plan national du lithium et une refonte du système d’exploitation dans le cadre de laquelle il aurait aimé, sans doute, créer une entreprise nationale du lithium – ce à quoi il ne parviendra vraisemblablement pas dans le temps qu’il lui reste. En partenariat avec l’Allemagne, il est possible que le Chili cherche à développer le raffinage et la manufacture des processus électrochimiques et d’éléments pour batteries15Ibid.. Le gouvernement a également mis l’accent sur la production d’hydrogène vert, les aménités chiliennes permettant une grande efficacité des éoliennes on shore.
Les déclarations conjointes des deux présidents réinstituent donc l’utilité et l’importance de la coopération bilatérale en matière d’innovation industrielle et scientifique et en matière culturelle, en mettant plus que jamais l’accent sur un partenariat commercial centré autour du lithium. Pour autant, au-delà des arrangements commerciaux desquels peuvent se déduire des alignements géopolitiques à grands traits, peut-on dessiner les contours d’une doctrine diplomatique de la France vis-à-vis du Chili et, plus largement, de l’Amérique latine ?
Le politique dans la relation franco-chilienne
Afin d’apprécier à sa juste mesure la déclaration officielle, et sans vouloir retracer exhaustivement une histoire transatlantique franco-chilienne, il apparaît nécessaire de dresser un petit historique de la relation bilatérale, avant d’aborder les enjeux très contemporains qui nous sont familiers et d’introduire un peu de profondeur dans l’analyse.
À partir de la fin du XVIIIe siècle, la relation franco-chilienne relève de la présence de la France en Amérique du Sud et de l’influence de la culture politique européenne, entre autres française, sur le futur pays. La construction même de l’État-nation chilien comme république démocratique à partir de 1818 et la rupture avec le passé monarchique et colonial espagnol sont inspirées par les principes politiques de la Révolution française et se font dans l’admiration de la pensée des Lumières comme principe d’une modernité universelle, dont l’esprit est accentué par la déclaration d’indépendance des États-Unis, dès 1776, et l’invasion napoléonienne en Espagne (1808-1809). Si le modèle institutionnel chilien se cherche entre 1822 et 1828, allant jusqu’à essayer le fédéralisme inspiré du cas étasunien, la République chilienne se consolide après 1929, à travers la figure politique de Diego Portales : elle se veut dotée d’un gouvernement fort, centralisé, libéral ; y participeront tous les citoyens16Cristián Gazmuri Riveros, « Le Chili et l’influence de la culture française (1818-1848) », Raison présente, n°93, 1990, p. 61.. La construction de l’État et la rédaction des constitutions qui se succèdent se font en tension entre Pelucones et Pipiolos, schématiquement conservateurs et libéraux, et d’abord dans le maintien d’un ordre oligarchique établi dans le Chili colonial. Toutefois, la culture intellectuelle française se déploie au sein de cette oligarchie dans la décennie 1820, au sein de la « période de formation et d’apprentissage politique » chilienne (1810-1830) par son importation de la suite d’envoi d’étudiants chiliens dans les écoles parisiennes17Idem, « Julio Heisse cité par Hernan Godoy : La cultura chilena, p. 256 » (p. 68).. En matière académique, l’Université du Chili est fondée en 1843 en s’inspirant de l’Institut de France et chargée de repenser l’ensemble du système éducatif national.
Cette compréhension de la Révolution et de la première expérience démocratique françaises se fait à travers une interprétation nationaliste dans sa prise en compte des ingérences des monarchies européennes : le développement de la démocratie française se fait dans la défense du territoire national contre les menaces impériales aux frontières18Jean-Jacques Kourliandsky, « Les paradoxes électoraux de l’Amérique latine », Nouveaux Espaces latinos, avril-août 2024.. Cristián Gazmuri Riveros cite Fray Melchor Martínez en soulignant toutefois une différence notable à faire entre l’impression d’horreur, réponse émotive négative, causée par la Révolution française dans sa réalisation, ce au moins jusqu’en 1840-1850, et l’acceptation de la pensée politique de l’événement.
À partir de 1830, l’influence culturelle et politique française est tempérée par un foisonnement intellectuel et culturel plus largement européen, mais aussi sud-américain (en particulier argentin et vénézuélien). L’arrivée d’Andrés Bello en politique, intellectuellement européen mais plutôt britannique et non anti-espagnol, a selon l’historien et politologue Cristián Gazmuri Riveros des conséquences sur l’ampleur de l’influence française. La présence française sur le sol chilien est entre autres caractérisée par deux canaux principaux : l’activité de la main-d’œuvre française à Valparaíso avant la construction du canal de Panama19Avant la construction du canal de Panama, permettant aux chercheurs d’or d’éviter le gigantesque détour par le Cap Horn pour rejoindre la Californie, Valparaíso était le troisième port de l’Amérique du Sud. L’existence du Canal en a précipité le déclin économique. et la colonisation du sud du Chili face aux populations autochtones20Enrique Fernández-Domingo, « Chapitre 3. La colonie et la culture française comme instruments de pénétration de France au Chili », dans Le négoce français au Chili, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006.. Au milieu du XIXe siècle, on estime que 2% de la population chilienne est originaire de France. Après la Première Guerre mondiale, qui est perçue comme un échec de la France, les populations des colonies françaises sont assimilées et le Chili sera davantage sujet, dans l’entre-deux-guerres, à une influence nord-américaine.
Près d’un siècle plus tard, le tropisme français pour le pays du Cône sud est fortement lié à l’expérience du socialisme chilien et alimenté par les figures politiques et culturelles du XXe siècle : Vicente Huidobro, Gabriela Mistral, nommée consule à Paris, décorée de la Légion d’honneur et première femme à recevoir le prix Nobel de littérature, Pablo Neruda, également consul à Paris, Violeta Parra, etc. Des liens politiques, donc, et revêtant un aspect profondément intellectuel et culturel, puisque les personnalités artistiques éminentes sont également au premier plan politique.
À partir de 1973, la politique française est une politique d’accueil des réfugiés politiques chiliens, ce jusqu’à la fin de la dictature. Ce sont près de 15 000 Chiliens et Chiliennes qui trouvent refuge en France (dont près de 7000 obtiennent l’asile), en seize ans de dictature. Se mobilisent une part importante de la classe politique et des personnalités artistiques et culturelles engagées et se développent en nombre les associations d’accueil21Nathalie Jammet-Arias, « Radiografia del exilio chileno en Francia a traves de los archivos administrativoss de la oficina francesa para los refugiados y apatridas », Revista de Historia Social y de las Mentalidades de la USACH, 2018.. Cette période est notamment marquée par l’investissement politique de François et Danielle Mitterrand, de l’ambassadeur français à Santiago Pierre de Menthon et de sa femme Françoise de Menthon, ainsi que de Jean-Noël de Bouillane de Lacoste et d’Yvonne Legrand, au consulat.
Au tournant des années 2000, l’avenir du pays et plus généralement du sous-continent provoque un grand désintéressement de la part du monde occidental, qui devient, au moins pour les gauches françaises, une épave grandiloquente des tentatives socialistes, à la fois portées aux nues et vouées aux gémonies.
À la différence de son pays voisin, l’Argentine, la transition « pactée22Cette expression qualifie la nature de la transition de régime politique, qui s’est effectué à partir de 1987, par l’intermédiaire de négociations entre les responsables de la Junte et les représentants de l’opposition. Augusto Pinochet et ses subordonnés ont, entre autres nombreuses mesures, négocié l’immunité des responsables des crimes commis pendant les seize années de dictature. » à la démocratie, négociée entre les représentants de la junte militaire d’Augusto Pinochet et les responsables d’un système de parti nouvellement reformé se fait sans aucun procès. Sur le territoire national, il faut dès à présent annihiler toute possibilité de déstabilisation de l’ordre démocratique. Il ne faut plus parler du passé. Le salut du pays se fait alors dans l’héritage économique des Chicago Boys et par les institutions héritées de la Constitution de 1980, que les gouvernements de la Concertación tâcheront de réviser maintes et maintes fois. En 2010, le Chili devient le trente-et-unième pays à intégrer l’OCDE. Le nouveau jaguar sud-américain pare l’impossibilité d’exister politiquement par sa dynamique « d’oasis » économique et commerciale23Selon les termes de l’ex-président Sebastian Piñera. Voir Juan-Pablo Pallamar, Chili : la révolution des débiteurs, Fondation Jean-Jaurès, 29 septembre 2020.. Aussi, du lien profondément politique du XXe siècle, on voit opérer un glissement qui accompagne l’avènement des politiques néolibérales du début du siècle nouveau. L’avènement du Chili se fait par le biais économique.
Vers une relation politique renouvelée ?
Depuis les visites de Jacques Chirac en 200624La délégation française accompagnant Jacques Chirac comprend alors cinq ministres (affaires étrangères, défense, économie, éducation, industrie) et une vingtaine de grands patrons, notamment ceux d’Alstom, Saint-Gobain, Areva, Suez, Thales. et de François Hollande25Un déplacement fait de signatures de coopération bilatérale dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la recherche, de la visite du parc solaire EDF dans le désert d’Atacama et de la visite du Musée de la mémoire et des droits humains. Achim Lippold, « L’Histoire au cœur de la visite de François Hollande au Chili », RFI, 22 janvier 2017. en 2017 à Michelle Bachelet, lors son premier puis second mandat, c’est la première fois que le président de la République français effectue un déplacement au Chili. C’est d’ailleurs seulement la seconde fois qu’Emmanuel Macron effectue un voyage diplomatique en Amérique du Sud sur ses sept ans de mandat effectif, la visite au président brésilien Lula Da Silva et les photos prises en mars 2024 ayant suscité un émoi international. Gabriel Boric s’est lui déplacé en France du 19 au 23 juillet 2023, une visite régularisée, notamment par l’ancien président Sebastian Piñera26Visites présidentielles en France : mai 2009, présidente Bachelet ; octobre 2010, président Piñera ; 8-9 juin 2015, présidente Bachelet ; 8 octobre 2018, président Piñera ; 24-26 août 2019 (G7), président Piñera ; 6 septembre 2021, président Piñera ; 19-23 juillet 2023 : Gabriel Boric..
Les coopérations bilatérales, on l’a vu, sont loin d’être inexistantes et tournent habituellement autour de la culture, de l’éducation, de la recherche et de l’industrie des transports. Au niveau de l’Amérique latine, la France est d’ailleurs loin d’être inactive, son action se développant notamment via une implantation croissante de l’Agence française de développement (AFD). Pour autant, on ne peut pas dire que la France dispose d’une doctrine vis-à-vis de l’Amérique latine. Interviewé sur RFI à la veille du sommet Celac (Communauté d’États latino-américains et caraïbes)-UE 2023, Kevin Parthenay, professeur de science politique à l’université de Tours, évoque la frustration sud-américaine face à l’indifférence française27« Amérique latine, un potentiel incroyable », RFI, 16 juillet 2023..
Or, la définition d’une diplomatie construite par des biais idéologiques, du moins intellectuels, et pas seulement commerciaux s’institue en colonne vertébrale d’une relation politique à proprement parler. Toutefois, l’attachement à une posture diplomatique construite ne semble pas être l’apanage d’Emmanuel Macron. « La diplomatie, c’est lui tout seul ou presque », lui tout seul et le Quai d’Orsay de façon étroite, commente Nicolas Normand, ancien diplomate28« Nicolas Normand: “Macron a cru que l’intelligence pouvait remplacer l’expérience et la connaissance” », RFI, 7 janvier 2025.. Donner un nouveau souffle aux relations diplomatiques avec l’Amérique du Sud, c’est peut-être le nouvel agenda du président français, c’est en tout cas l’agenda européen depuis 2015. Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (OPALC) de Sciences Po Paris, mentionne un « angle mort » latino-américain de la politique étrangère française, comme l’ont identifié plus tôt Maurice Vaïsse et Christian Lequesne29« Amérique latine, un potentiel incroyable », RFI, 16 juillet 2023.. Le seul président français à avoir investi sérieusement une relation bilatérale est François Hollande qui avait, lors de son quinquennat, visité non seulement le Brésil, le Mexique et le Chili, des pays traditionnellement visités, mais également le Pérou et Cuba.
Le président français choisit donc de se rapprocher du Chili dans un contexte inhabituel pour l’Amérique du Sud, dans lequel les pays du sous-continent établissent des positionnements internationaux à l’encontre de l’intégration régionale. Le rapprochement bilatéral permet, entre autres, de désengager l’alignement chilien au Brésil, à la Chine et à la Russie. Au-delà de ce principe de précaution, il est difficile de définir la nature « politique » de la relation, et son énonciation n’a pas véritablement d’effet performatif.
Emmanuel Macron se positionne commercialement vis-à-vis du Chili, en contournant avec habilité le désavantage politique français du Mercosur. L’entretien de cette relation diplomatique bilatérale lui permet à la fois de garantir les intérêts français en termes de commerce aéronaval et de transport, en termes énergétiques, et lui permet également de se garantir le soutien d’un pays montant de l’Amérique du Sud, aux affinités historiques, qui ne soit ni aligné sur les positions étasuniennes (Argentine et Équateur), ni russe (Venezuela), ni en accord commercial avec la Chine (Brésil et Uruguay). Enfin, cette distinction vis-à-vis de l’accord UE-Mercosur permet de tamponner les différents accords avec le Chili ( lithium comme BBNJ) du sceau vert de la transition décarbonée, quand bien même le président français est loin de mener une politique environnementale irréprochable. Sur le sol français, le ménagement des agriculteurs français dans le cadre de l’accord avec le Mercosur pourrait d’ailleurs s’accompagner d’un recul sur les seuils d’utilisation de pesticides, au bénéfice de la FNSEA et de la Confédération des jeunes agriculteurs.
Reprenant au discours de François Hollande la chaleureuse compétition viticole franco-chilienne, Emmanuel Macron déclarait « avec beaucoup de force » au Congrès qu’il ne croyait pas à l’opposition entre la lutte écologique et le développement économique : « En France, depuis maintenant sept ans, nous croyons à l’en même temps ». À l’écouter, on serait tentés de croire que cela fait sept ans que la France est convaincue de sa marque de fabrique. On met difficilement le doigt sur un engagement franco-chilien qui soit politique, au sens d’un « retour », quand les intérêts partagés respectivement s’accommodent avec aisance du manque d’affinités politiques. On sourit à l’adresse du président chilien du Sénat, présentant les deux pays comme « modèles de défense de la démocratie, promoteurs de la paix, de la liberté et de la justice sociale » [traduction de l’autrice]. Quand aucun Français ne semble plus capable de vous qualifier de rempart face aux tentations autoritaires, qu’il est bon de se l’entendre dire de l’autre côté de l’Atlantique.
- 1L’accord devait se faire à l’unanimité. Le 6 décembre 2024, à l’occasion du sommet du Mercosur à Montevideo, se sont exprimés en faveur les présidents Luis Lacalle Pou (Uruguay), Javier Milei (Argentine), Lula (Brésil) et Santiago Peña (Paraguay).
- 2Le chef de la diplomatie russe était présent au sommet du G20 au titre de sa participation au sein de l’Alliance contre la faim, rassemblant 82 pays, combat à la tête duquel Lula s’affiche en leader. Une présence jugée par certains observateurs comme un subterfuge de la part du président brésilien pour faire s’asseoir la Russie à la table. Philippe Ricard et Bruno Meyerfeld, « Au G20 de Rio, la grande mésentente entre les Occidentaux et les États émergents du Sud », Le Monde, 20 novembre.
- 3« Déplacement en Amérique latine : la déclaration du Président Emmanuel Macron depuis Buenos Aires », Élysée, 17 novembre 2024.
- 4Lors de sa campagne présidentielle, le président élu a annoncé une hausse des droits de douane entre 10% et 20% pour le monde entier, et de 60% pour la Chine.
- 5Alan Hervé, « Accord UE-Mercosur : et maintenant ? », Le Club des juristes, 15 janvier 2025.
- 615 États sur 27.
- 7À l’Assemblée nationale : 484 voix pour la position du gouvernement rejetant l’accord, 70 voix contre ; au Sénat : 338 voix pour, 1 voix contre.
- 8Les filières européennes de bœuf, de volaille et de sucre sont susceptibles d’être fortement impactées, quand les filières du fromage et du vin, et plus largement pharmaceutique, automobile, machine et textile, pourraient bénéficier de l’accord.
- 9Marie Krpata et Ana Helena Palermo, « L’accord UE-Mercosur : un trilemme insoluble ? Entre règles de la concurrence, ambitions normatives et diversification des approvisionnements », IFRI, 3 octobre 2024, pp. 4-5.
- 10« À Valparaíso, discours du Président Emmanuel Macron devant le Congrès national du Chili », Élysée, 21 novembre 2024.
- 11« Au Chili, la coalition du président Boric “fracturée” par la crise vénézuélienne », Courrier international, 27 août 2024.
- 12« G20: Presidente Gabriel Boric sostiene reuniones bilaterales con el Primer Ministro de Reino Unido y la India », site du gouvernement chilien, 19 novembre 2024 [trad. de l’autrice].
- 13« Gabriel Boric revient sur deux ans du gouvernement et les perspectives avant la fin de son mandat en 2026 », El Pais repris par Espaces latinos, 16 mars 2024.
- 14Louis de Catheu et Florent Zemmouche, « Lithium chilien : comprendre la stratégie de Boric », Le Grand Continent, 10 janvier 2024.
- 15Ibid.
- 16Cristián Gazmuri Riveros, « Le Chili et l’influence de la culture française (1818-1848) », Raison présente, n°93, 1990, p. 61.
- 17Idem, « Julio Heisse cité par Hernan Godoy : La cultura chilena, p. 256 » (p. 68).
- 18Jean-Jacques Kourliandsky, « Les paradoxes électoraux de l’Amérique latine », Nouveaux Espaces latinos, avril-août 2024.
- 19Avant la construction du canal de Panama, permettant aux chercheurs d’or d’éviter le gigantesque détour par le Cap Horn pour rejoindre la Californie, Valparaíso était le troisième port de l’Amérique du Sud. L’existence du Canal en a précipité le déclin économique.
- 20Enrique Fernández-Domingo, « Chapitre 3. La colonie et la culture française comme instruments de pénétration de France au Chili », dans Le négoce français au Chili, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006.
- 21Nathalie Jammet-Arias, « Radiografia del exilio chileno en Francia a traves de los archivos administrativoss de la oficina francesa para los refugiados y apatridas », Revista de Historia Social y de las Mentalidades de la USACH, 2018.
- 22Cette expression qualifie la nature de la transition de régime politique, qui s’est effectué à partir de 1987, par l’intermédiaire de négociations entre les responsables de la Junte et les représentants de l’opposition. Augusto Pinochet et ses subordonnés ont, entre autres nombreuses mesures, négocié l’immunité des responsables des crimes commis pendant les seize années de dictature.
- 23Selon les termes de l’ex-président Sebastian Piñera. Voir Juan-Pablo Pallamar, Chili : la révolution des débiteurs, Fondation Jean-Jaurès, 29 septembre 2020.
- 24La délégation française accompagnant Jacques Chirac comprend alors cinq ministres (affaires étrangères, défense, économie, éducation, industrie) et une vingtaine de grands patrons, notamment ceux d’Alstom, Saint-Gobain, Areva, Suez, Thales.
- 25Un déplacement fait de signatures de coopération bilatérale dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la recherche, de la visite du parc solaire EDF dans le désert d’Atacama et de la visite du Musée de la mémoire et des droits humains. Achim Lippold, « L’Histoire au cœur de la visite de François Hollande au Chili », RFI, 22 janvier 2017.
- 26Visites présidentielles en France : mai 2009, présidente Bachelet ; octobre 2010, président Piñera ; 8-9 juin 2015, présidente Bachelet ; 8 octobre 2018, président Piñera ; 24-26 août 2019 (G7), président Piñera ; 6 septembre 2021, président Piñera ; 19-23 juillet 2023 : Gabriel Boric.
- 27« Amérique latine, un potentiel incroyable », RFI, 16 juillet 2023.
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- 29« Amérique latine, un potentiel incroyable », RFI, 16 juillet 2023.