À l’occasion de la campagne électorale présidentielle, mais également dans le contexte d’après le scrutin, Slaviana Nze, membre du collectif Gabon Démocratie, met en avant l’opportunité et la nécessité de proposer aux Français une autre vision des relations entre la France, l’Europe et l’Afrique.
La non-campagne présidentielle qui s’étire depuis des semaines semble faire fi du rôle apparemment de moins en moins prépondérant de la France dans ses rapports de force internationaux. Les interrogations que soulèvent les possibles conséquences sur une éventuelle perte d’influence de l’Hexagone auraient dû amener les candidats à se prononcer clairement sur la direction qu’ils entendaient donner à la politique étrangère française, laquelle doit assurément être « dépoussiérée ». Les récents camouflets de notre diplomatie en sont une manifestation criante. Gesticulations infructueuses de la France au Liban, crise des sous-marins australiens, déstabilisation de la France au Sahel, autant de signes qu’il faut évaluer avec inquiétude et modernité pour le prochain locataire de l’Élysée. Même la dernière invasion de l’Ukraine par la Russie, derrière les considérations de souveraineté étatique et de respect des frontières, laisse deviner un combat de fond en lien avec le sujet qui nous occupe, à savoir réorienter les relations entre la France, l’Europe et l’Afrique.
Dans ce sens, on peut ainsi se demander si le dramatique théâtre ukrainien, pour la démocratie et pour le monde moderne, peut être distingué des dernières déconvenues de la France en Afrique. Cette question se pose légitimement. Et pour cause…
Le retrait en rase campagne du Mali de la France, et les psychodrames qui l’ont précédé, sont symptomatiques d’un changement de paradigme dans la question africaine, que la France et l’Europe feignent encore d’ignorer. Or la Chine, l’Inde et la Russie notamment semblent l’avoir intégré depuis longtemps, voire anticipé. Mais la France et l’Europe, comme souvent sur ces questions de politiques africaines, paraissent encore à la traîne.
Redimensionner et redéfinir les relations entre l’Afrique, la France et l’Europe, à l’heure où la prédation énergétique est exacerbée par les conséquences du réchauffement climatique, est plus que jamais une urgence. Les prétendants déclarés à la captation des ressources naturelles, de plus en plus nombreux et offensifs, n’hésitent même plus à se mêler de la politique intérieure de leurs « proies africaines », dans ce que l’on appelait malheureusement le pré carré français.
Le Mali et la République centrafricaine, désormais sous influence russe, en sont des exemples récents et inquiétants.
Dans ce tumulte silencieux, l’inaction d’organisations telle que la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) est vécue par les Africains comme un scandale. Ils perçoivent en effet, dans ce tournant décisif, et à juste titre peut-on le penser, l’opportunité espérée pour l’Afrique, consciente de ses atouts majeurs en ces temps de troubles actuels et à venir, de peser désormais de tout son poids dans les futurs accords internationaux et régionaux sur le sujet.
Aussi la ou le prochain président français devra-t-il absolument prendre en compte cette donnée. Les nouvelles relations France-Afrique-Europe devront enfin faire la part belle aux conventions et autres traités, fixant la primauté intangible du respect des valeurs et droits fondamentaux sur lesquels sont fondés les États parties. Le schisme subi par les populations locales entre « l’utopie conventionnelle » et la réalité sanglante sur le terrain n’est plus acceptable, car désormais les Africains savent. Constitution, conventions internationales ou droits de l’homme, autant de secrets de fabrication des « États voyous », se retrouvent discutés de plus en plus par l’Africain lambda.
Ainsi, les Africains savent dorénavant que la démocratie, le bien être et le développement sont des droits essentiels et non des récompenses, distribuées au compte-goutte par des régimes capricieux. Ils savent que ces droits sont garantis par des textes, dont leurs États sont parties, et dont ils peuvent se revendiquer. Ils s’appuient dorénavant sur leurs diasporas qui les informent, notamment via les réseaux sociaux et Internet, pour réclamer, en Europe, le respect de leurs droits. C’est une donne nouvelle et critique dans ce tournant que nous vivons. Car derrière l’absence de réponse, notamment des pouvoirs publics français dits « soutiens » des dictatures qui ne devraient plus exister au regard des conventions liant les deux continents (tel que l’accord de Cotonou), se cachent les vêpres du panafricanisme. Un concept aujourd’hui détourné pour répondre au désarroi, à la colère de populations se sentant trahies par l’Europe et surtout par la France.
La désinformation, le sentiment anti-français de ces diasporas sur le territoire hexagonal qui s’estiment malmenées, méprisées et chassées par des politiques dits opportunistes et hypocrites sont une arme que d’aucuns auraient tort de mésestimer. La puissance des réseaux sociaux et des médias alternatifs entre les mains de personnes prônant la haine sera, à coup sûr et à moyen terme, une problématique insoluble entre la France et particulièrement l’Afrique centrale.
Aussi, les attentes de ces diasporas concernent tant l’essor démocratique et économique de leurs contrées d’origine que leur « rêve américain » hexagonal, avec la nouvelle et impérieuse nécessité et possibilité de se construire, de contribuer et d’impacter des deux côtés de l’Atlantique. Les nouveaux enjeux de l’élection présidentielle française sont ceux-là aussi, à savoir proposer le cap d’un changement radical dans l’appréhension des relations entre la France, l’Europe et l’Afrique, et ainsi réintégrer dans notre roman national ces Français d’origine africaine.
Dans ce contexte, le crépuscule de régimes « monarchiques, autoritaires et sanglants », tels qu’au Gabon, Cameroun, Congo, Guinée équatoriale, peut être vu comme une « main tendue inespérée du destin ». La ou le prochain président, pétri des valeurs fondamentales que la France et l’Europe défendent aujourd’hui encore en Ukraine, doit réorienter les relations entre la France, l’Europe et l’Afrique, car c’est désormais la seule dimension utile et efficace pour un avenir en commun.