En partenariat avec Ipsos, Sopra Steria, Le Monde, l’Institut Montaigne et le Cevipof, la Fondation Jean-Jaurès publie la neuvième vague de l’enquête « Fractures françaises ». Elle offre une vitrine toujours précieuse des ressentis de l’opinion publique et de ses préoccupations. Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation, développe ici la thématique de l’environnement toujours perçue comme une préoccupation majeure mais à une moindre proportion cette année.
Découvrez les résultats complets de l’enquête « Fractures françaises »
L’environnement s’installe comme un enjeu majeur, tel est, en cette pré-campagne présidentielle, l’un des enseignements principaux de la neuvième vague des Fractures françaises. Interrogés à choisir, parmi neuf propositions différentes, l’enjeu qui les préoccupent le plus à titre personnel, les Français placent l’environnement dans le tiercé de tête (41%), 1 point seulement derrière la délinquance, 5 points derrière l’avenir du système social mais 7 points devant l’immigration. Plus encore, lorsque cette même question est posée en ajoutant dans la liste des propositions l’épidémie de Covid-19, on mesure l’intensité de la préoccupation environnementale : elle n’est en effet quasiment pas affectée par ce réagencement des priorités et devient alors le deuxième enjeu, juste devant le Covid-19, alors que, pour ne prendre qu’un seul exemple, la délinquance perd 9 points.
Cette situation nouvelle, si on la compare à celle qui prévalait à la même période en 2016, s’explique par la conjonction de deux éléments.
Le premier est la conscience de la réalité de la situation. Dans un pays où la science est objet de controverse, le changement climatique est objet de consensus. Après le dernier rapport du GIEC et un été marqué par des événements extrêmes dans le sud de l’Europe comme aux États-Unis, ce consensus est massif sur l’existence du changement climatique (88%) mais il est aussi notable sur ses causes : 68% des Français estiment qu’il est « principalement dû à l’activité humaine » contre 18% « principalement dû à un phénomène naturel ».
Le second élément est le sentiment d’urgence : les Français sont disponibles pour une action en profondeur, notamment sur leur mode de vie. Ils sont 55% à considérer que telle est la voie pour lutter contre le changement climatique contre 21% qui privilégient le progrès technique et les innovations scientifiques. Ils sont même 82% – 5 points de plus qu’en 2020 – à approuver l’idée qu’il faut « que le gouvernement prenne des mesures rapides et énergiques », quitte à « modifier en profondeur leur mode de vie ». En bref, les Français ne veulent pas renvoyer l’action à des découvertes incertaines ou à des lendemains indéfinis.
Et pourtant, rien n’est acquis.
Rien n’est acquis en premier lieu pour la campagne elle-même car nul ne peut dire quelle place réelle l’environnement occupera : il s’agit en effet d’une priorité concurrencée. Si l’on regarde la moyenne des Français, aucune priorité n’écrase les autres ; mais, si l’on regarde les priorités par électorat, on voit que l’environnement occupe la première ou la deuxième place chez les sympathisants EELV, LFI, PS et LREM mais la sixième place seulement chez les sympathisants LR (31 points derrière la délinquance) et RN (47 points derrière l’immigration). Autrement dit, la bataille pour imposer un enjeu à l’agenda politique et médiatique est plus que jamais ouverte.
Rien n’est acquis en deuxième lieu après l’élection car, pour passer du discours à la pratique, il faudra aller plus loin et comprendre sur quoi les Français sont réellement prêts à modifier leur mode de vie et il faudra également penser l’accompagnement social : si le changement devait en effet signifier « des sacrifices financiers pour les entreprises et les Français », on voit que 45% des retraités et 43% des catégories moyennes et modestes s’y opposeraient – ce n’est pas rien.
Rien n’est acquis en troisième lieu car, au-delà des clivages traditionnels sur cette question – une moindre sensibilité relative de la droite et de l’extrême-droite –, on voit que l’identification à l’écologie reste faible. Interrogés sur le qualificatif qui les qualifient le mieux, les Français ne sont en effet que 7% à répondre « écologiste », loin derrière « un homme ou une femme du peuple » (28%), « de droite » (19%), « de gauche » (14%) ou « centriste » (10%). Pour être plus précis, l’écologie reste aujourd’hui une identification de complément : les Français sont en quelque sorte des écologistes « en second lieu ». Lorsqu’ils se définissent non plus avec un mais avec plusieurs adjectifs, 22% des Français se disent alors « écologistes » – 27% se disant « de droite » et 21% « de gauche ».
Dans ce moment politique marqué par une préoccupation environnementale intense mais concurrencée et par une identification à l’écologique de complément, tout va dépendre en définitive de la capacité des acteurs à installer la question climatique au cœur de la campagne en proposant une vision de la société ou des mesures concrètes qui suscitent des débats. Jamais en tout cas la possibilité de faire de l’environnement l’un des déterminants du vote n’aura été aussi forte.