Mihaela M. Similie, maître de conférences à l’université Paris 8.
Le processus d’intégration européenne repose sur quelques compétences exclusives (telles les règles de concurrence, l’union douanière, la politique commerciale) et, dans un nombre croissant de domaines, sur la compétence partagée entre l’Union européenne et ses États membres. Ce processus implique l’action des autorités publiques à différents niveaux. En affirmant les principes de subsidiarité et de proportionnalité, le traité de Maastricht a permis, dans les domaines qui font l’objet d’une compétence partagée entre l’UE et les États membres, la prise de décisions au niveau jugé le plus approprié : européen, national ou local. Par la création du Comité des régions, le traité de Maastricht a également reconnu le rôle des autorités régionales et locales pendant que, dans les années 1980 et 1990, les États européens ont initié et/ou développé des processus de décentralisation et d’autonomie locale[1].
L’article 4 du traité de Lisbonne sur l’Union européenne dispose que « l’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale ». Le protocole n° 26 annexé au traité reconnaît « le rôle essentiel et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales » pour fournir, faire exécuter et organiser les services d’intérêt économique général, ainsi que « la diversité […] et les disparités qui peuvent exister au niveau des besoins et des préférences des utilisateurs en raison de situations géographiques, sociales ou culturelles différentes ». En effet, tout en constituant l’espace d’exercice des libertés fondamentales et l’espace du marché unique européen, les territoires se singularisent par leur situation et caractéristiques, l’organisation de leurs institutions, les relations et les échanges avec les autres territoires.
Par ailleurs, le traité de Lisbonne confère un rôle spécifique aux parlements nationaux pour assurer le respect des principes de subsidiarité, et ainsi renforcer la légitimité démocratique de l’UE.
Apparu initialement dans le cadre de la politique de cohésion, le concept de « gouvernance multiniveaux » s’affirme particulièrement dans la conjugaison des compétences partagées entre l’Union et ses États membres pour concilier les facteurs d’unité européenne et les diversités territoriales – nationales, régionales et locales. Cette gouvernance multiniveaux prend des formes et adopte des approches différentes selon les caractéristiques de chaque secteur, et en fonction des histoires et traditions nationales.
Pour le Comité des régions, la gouvernance multiniveaux dans la formulation des politiques et de la législation communautaires représente « l’action coordonnée », « fondée sur le partenariat », suscitant par « une approche intégrée la coparticipation[2] ». Elle serait limitée à l’Union, les États membres et les autorités régionales et locales. Il s’agirait donc d’une approche participative plus modeste que celle définie dans le cadre de la mise en œuvre de la politique européenne de cohésion.
Plus généralement, la gouvernance multiniveaux ne repose pas sur la concurrence entre régions ni entre acteurs. Elle cherche plutôt à développer des mécanismes de coopération et de solidarité en liant les niveaux et les projets. Cela exige la participation de toutes les parties prenantes, et implique de leur permettre d’exprimer leurs attentes et leurs besoins, d’assurer des débats publics ouverts et de proposer des solutions, stratégies et choix alternatifs. À cet égard, les autorités publiques ont des responsabilités essentielles dans la prise de décision, l’établissement des priorités et les arbitrages[3].
[1]. Dans le cadre extra-communautaire, la Charte européenne de l’autonomie locale a été adoptée par le Conseil de l’Europe le 15 octobre 1985, et ratifiée ensuite par tous les États membres de l’UE.
[2]. Comité des régions, projet d’avis sur « La décentralisation dans l’Union européenne et la place de l’autonomie locale et régionale dans l’élaboration des politiques de l’UE et leur mise en œuvre », 100e session plénière, 11-12 avril 2013. Rapporteur : professeur Franz Schausberger (Land de Salzbourg, Autriche) ; Comité des régions, « Bâtir une culture européenne de la gouvernance à multiniveaux : le suivi du Livre blanc du Comité des régions », p. 7.
[3]. Pierre Bauby et Mihaela M. Similie, « La gouvernance des services public locaux », chapitre « Europe » in collectif, L’Accès aux services publics et l’urbanisation du monde, Bruxelles, Bruylant, 2014.