Ethnographie des Montpelliérains

Quelles sont les valeurs des Montpelliérains ? Quels mots caractérisent leur état d’esprit ? Quelle est la hiérarchie de leurs préoccupations ? Quel jugement portent-ils sur les premiers mois de leur équipe municipale ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles l’enquête de la Fondation Jean-Jaurès réalisée par l’Ifop1Enquête réalisée du 30 août au 6 septembre 2021 auprès d’un échantillon de 1 002 personnes représentatif de la population de Montpellier âgée de 18 ans et plus. apporte des éléments de réponses – en comparant aussi souvent que possible ces résultats avec ceux de l’opinion publique en général.

D’emblée, le regard extérieur est frappé par deux fortes spécificités dans la structuration démographique et politique de la population de Montpellier.

La première est la jeunesse de cette population : 44% a moins de trente-quatre ans, c’est 19 points de plus que la population française dans son ensemble – pour faire image, la population de Montpellier ressemble, du point de vue démographique, à la France d’avant le papy-boom, à la France des années 1980.

La deuxième spécificité tient à son orientation politique : il est frappant de voir à quel point la ville penche à gauche – davantage encore que la plupart des grandes métropoles dans lesquelles la gauche s’est implantée ces dernières décennies. Si l’on prend comme point de repère l’élection présidentielle de 2017, on voit que le pourcentage total des voix qui se sont portées sur Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon s’élève à plus de 40% – soit 14 points au-dessus de la moyenne nationale – et que, à l’inverse, le pourcentage total des voix qui se sont portées sur François Fillon, Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen atteint seulement 30% – soit 18 points de moins que la moyenne nationale.

Les valeurs des Montpelliérains : comparaisons nationales

Pour pouvoir mettre en perspective et interpréter aussi finement que possible les résultats, nous avons posé aux Montpelliérains des questions qui l’avaient déjà été aux Français dans leur ensemble lors de précédentes enquêtes afin de disposer d’éléments de comparaison.

L’autopositionnement

Nous n’avons pas interrogé les Montpelliérains sur leur autopositionnement politique – sur un axe gauche-droite – mais sur leur autopositionnement idéologique – en les invitant à choisir, dans une liste de treize qualificatifs, celui puis ceux qui les caractérisaient le mieux.

Invités à ne donner qu’une réponse, ils choisissent comme trio de tête « écologiste », « homme ou femme du peuple » et « de gauche » – les deux qualificatifs suivants étant un duo « patriote » et « de droite ».

Invités à donner plusieurs réponses, l’ordonnancement général n’est pas substantiellement modifié – il faut juste souligner que le qualificatif « écologiste » connaît la progression la plus spectaculaire – 36%, soit +17 points –, l’écologie apparaissant ainsi comme une préférence, mais surtout comme une idéologie de complément.

Lorsque l’on compare les résultats donnés par la dernière enquête nationale à cette même question, on constate, d’une part, que les Montpelliérains sont moins nombreux à choisir « du peuple » (-16 points), « de droite » (-12 points), « centriste » (-6 points) ou « nationaliste » (-5 points) et, d’autre part, qu’ils sont plus nombreux à privilégier « écologiste » (+14 points) et dans une moindre mesure « révolutionnaire » (+7 points). Il y a de ce fait une correspondance entre les spécificités du vote et l’autopositionnement idéologique.

Le rapport à l’altérité

On le sait, au-delà de ce qui persiste du clivage gauche-droite, la science politique a mis en exergue depuis plusieurs décennies le clivage « ouvert-fermé » et une tendance au repli sur soi.

Une manifestation de ce clivage, parmi bien d’autres, se trouve dans la réponse à la question de savoir si on considère qu’aujourd’hui « on ne se sent plus chez soi comme avant ». De ce point de vue, Montpellier offre une image exactement inversée de la moyenne nationale : au pourcentage près – 62% –, les premiers répondent « non » et les seconds répondent « oui ».

Une autre manifestation de ce clivage réside dans le rapport à la mondialisation : est-ce une « opportunité » ou une « menace » pour la France ? Là encore, le décalage entre les Montpelliérains et les Français est spectaculaire : 63% des premiers y voient une opportunité, 58% des seconds une menace.

Montpellier est une ville ouverte – et, cette fois, la structure démographique vient renforcer l’orientation idéologique pour expliquer la singularité de ces résultats.

La préoccupation environnementale

Le changement climatique est désormais une préoccupation majeure pour les Français. Ils estiment très massivement que le changement climatique est une réalité et très majoritairement que c’est l’activité humaine qui en porte la principale responsabilité. Ils placent l’environnement parmi leurs toutes premières préoccupations – c’est un changement par rapport aux précédentes campagnes présidentielles. Et ils appellent à des « mesures rapides et énergiques », quitte, pour 82% d’entre eux, à « modifier en profondeur leur mode de vie », voire, pour 62% d’entre eux, à « demander aux Français et aux entreprises des sacrifices financiers ».

Sur ce sujet-là, les Montpelliérains ne se distinguent qu’à la marge des Français. Ils sont davantage ouverts à des modifications en profondeur de leur mode de vie – ils sont 43% à être « tout à fait d’accord », soit 10 points de plus que les Français. Ils sont surtout plus nombreux à se dire prêts à des sacrifices financiers – 12 points de plus que la moyenne des Français.

La préoccupation sociale

La question selon laquelle pour « établir la justice sociale », il faudrait « prendre aux riches pour donner aux pauvres » est classiquement posée dans les enquêtes nationales et internationales.

Au niveau national, il y a une majorité de 60% pour partager cette affirmation – majorité élevée, mais dont il faut noter qu’elle est stable depuis le début du quinquennat, en dépit de la politique fiscale conduite depuis 2017 et du procès en « président des riches » intenté contre Emmanuel Macron.

À Montpellier, les chiffres sont rigoureusement identiques – alors même que, on l’a souligné, la ville est plus jeune et plus à gauche. Sans doute faut-il y voir une preuve supplémentaire qu’il est erroné de réduire le combat pour la justice à une seule volonté de redistribution – vaste débat !

L’état d’esprit

Il est de plus en plus important d’essayer de comprendre les émotions des citoyens pour approfondir l’analyse de l’opinion, de ses évolutions, de ses potentialités. C’est la raison pour laquelle la Fondation Jean-Jaurès a lancé un « Baromètre des émotions » en partenariat avec Le Point et qu’elle pose régulièrement des questions sur l’état d’esprit des Français dans ses enquêtes.

Interrogés sur les qualificatifs qui caractérisent le mieux leur état d’esprit actuel – à choisir entre méfiance, lassitude, confiance, sérénité, peur, bien-être, enthousiasme et morosité –, les Montpelliérains se distinguent encore partiellement des Français.

Lassitude, morosité, confiance, telles étaient en janvier 2021 les trois réponses privilégiées par les Français2Interrogés plus récemment, en octobre 2021, pour le panel électoral Fondation Jean-Jaurès, Cevipof, Le Monde, Ipsos, mais avec une liste légèrement différente, ils avaient placé en tête la fatigue, l’inquiétude et l’incertitude.. Les Montpelliérains sont à la fois plus positifs et plus négatifs que les Français. Plus positifs en ce qu’ils sont plus nombreux à répondre confiance (+5 points), sérénité (+4 points) ou enthousiasme (+7 points). Plus négatifs en ce qu’ils sont plus nombreux, dans le même temps, à choisir méfiance (+15 points) et peur (+8 points) – ces scores étant plus élevés encore chez les femmes et dans les catégories populaires.

Les préoccupations locales des Montpelliérains

Les attentes

Quelles sont les préoccupations des Montpelliérains ? Il ne leur a pas été demandé de hiérarchiser directement les quatorze politiques publiques sur lesquelles ils ont été interrogés mais, à la lecture de ce qu’ils considèrent « prioritaire », une hiérarchie indirecte se dessine clairement. Au-dessus de 70%, et au même niveau, il y a l’emploi et la sécurité. Entre 50% et 70%, il y a, en dégradé, les jeunes, la propreté, le logement, l’action sociale, la circulation, les transports et les personnes âgées. En dessous de 50%, il y a les crèches, le stationnement, les commerces, les impôts locaux et les activités culturelles.

Sur ces différents domaines, et sur quelques autres3Il n’y a pas de correspondance totale entre les items proposés pour les priorités et les items proposés pour le jugement sur le travail de l’équipe municipale. À titre d’exemple, la culture est dans le premier et pas dans le second et c’est l’inverse pour la vie associative., quel est le jugement porté sur le travail accompli par l’équipe municipale depuis juin 2020 ? En premier lieu, on voit que le niveau de satisfaction est globalement élevé, voire très élevé : supérieur à 50% pour la quasi-totalité des sujets, et même entre 70% et plus de 80% pour l’action sociale, la vie associative, les parcs, jardins et espaces verts et pour les transports en commun. En deuxième lieu, on voit que deux passent sous le seuil de 50% de satisfaction : le stationnement et la circulation.

Pour bien interpréter ces résultats, il est utile de croiser – autant que faire se peut – les réponses aux deux questions. Les transports en commun et les politiques de solidarité constituent alors un point fort, affichant à la fois une priorité élevée et une satisfaction élevée. La sécurité et la circulation apparaissent comme des points de vigilance, avec un niveau de priorité supérieur au niveau de satisfaction – jusqu’à 20 points pour la sécurité.

L’action municipale

Le jugement porté par les Montpelliérains sur la politique municipale est extrêmement encourageant pour l’équipe municipale.

Alors que les Français considèrent généralement que les responsables politiques ne tiennent pas leurs engagements et alors que l’équipe municipale a été élue en juin dernier seulement, 75% des Montpelliérains estiment que, dans l’ensemble, les engagements ont été tenus. Ce chiffre est nettement supérieur – de l’ordre de 20 points – à ce que l’on observe traditionnellement dans les agglomérations de taille comparable. Mais si les Montpelliérains reconnaissent à leur maire de « faire ce qu’il a dit », cela ne veut pas nécessairement dire qu’ils approuvent ce qui est fait.

Or, lorsque l’on interroge les Montpelliérains sur le « sens du changement » depuis juin 2021, on voit que, là encore, les résultats sont bons. 21% seulement estiment qu’il n’y a pas de changement et, surtout, 57% estiment que la commune a changé « plutôt en bien » – le chiffre montant même à 63% chez les jeunes.

Enfin, sur un autre sujet sur lequel les Français sont généralement insatisfaits – la gestion de l’argent public –, on voit que, là aussi, le jugement des Montpelliérains est très majoritairement positif : 67% estiment que la municipalité utilise bien l’argent public.

Engagements tenus à 75%. Changement dans le bon sens à 57%. Bonne utilisation de l’argent public à 67%. Voilà trois chiffres encourageants pour une équipe municipale élue avec une majorité relative en juin 2020.

Le maire

Restent deux dernières questions concernant Michaël Delafosse, le maire de Montpellier, pour lequel les réponses sont également extrêmement encourageantes.

La première porte sur sa notoriété en ce début de mandat. Non seulement 83% des Montpelliérains savent qu’il est maire de Montpellier mais, plus intéressant, 60% d’entre eux citent spontanément son nom.

Notoriété n’étant pas nécessairement équivalent à popularité, la seconde question porte sur la satisfaction à l’égard du maire. Avec 75% de satisfaits et seulement 25% de mécontents, les résultats sont une nouvelle fois spectaculaires. Sociologiquement, ils sont, de surcroit, très équilibrés : le niveau de satisfaction est quasiment identique dans les catégories populaires (77%), chez les cadres et professions intellectuelles (77%) et les retraités (73%). Politiquement, la satisfaction est massive sur un large spectre politique : sur un espace allant des électeurs de Jean-Luc Mélenchon jusqu’aux électeurs d’Emmanuel Macron (du premier tour de l’élection présidentielle de 2017), la satisfaction est supérieure à 80% – et plus à droite, elle reste supérieure à 50%, tant pour les électeurs de François Fillon que pour ceux de Marine Le Pen.

Il existe donc une forme de bienveillance envers la nouvelle équipe. Un lien a été créé – et même un espoir de changement. Il demeure qu’il y a des questions sur lesquelles la vigilance reste de mise, que l’état d’esprit des habitants est marqué par de la méfiance et de la peur, que la vie politique est partout dominée par la volatilité. En d’autres termes, l’enjeu est de savoir comment ce lien va être nourri et maintenu dans la durée.

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    Enquête réalisée du 30 août au 6 septembre 2021 auprès d’un échantillon de 1 002 personnes représentatif de la population de Montpellier âgée de 18 ans et plus.
  • 2
    Interrogés plus récemment, en octobre 2021, pour le panel électoral Fondation Jean-Jaurès, Cevipof, Le Monde, Ipsos, mais avec une liste légèrement différente, ils avaient placé en tête la fatigue, l’inquiétude et l’incertitude.
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    Il n’y a pas de correspondance totale entre les items proposés pour les priorités et les items proposés pour le jugement sur le travail de l’équipe municipale. À titre d’exemple, la culture est dans le premier et pas dans le second et c’est l’inverse pour la vie associative.

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