Éric Zemmour, une percée et des limites

Quelle opinion ont les Français d’Éric Zemmour ? Gilles Finchelstein et Brice Teinturier analysent les ressorts de la percée sondagière du – presque – candidat, à partir des résultats de la vague 2 du panel électoral 2021-2022 réalisée par Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et Le Monde.

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Éric Zemmour, avant même qu’il ait déclaré sa candidature à l’élection présidentielle, réalise une percée inédite par sa rapidité et par son ampleur : obtenant selon les hypothèses entre 16% et 16,5% des intentions de vote, il se trouve en capacité de se qualifier pour le second tour. Grâce à la taille de l’échantillon et à la diversité des questions, l’analyse des plus de 1400 électeurs d’Éric Zemmour permet de mieux cerner le phénomène… et ses limites.

Première caractéristique, l’électorat d’Éric Zemmour est idéologiquement très marqué. Ses électeurs se positionnent eux-mêmes à 65% comme « radicaux » ou « très radicaux » contre 31% des Français. Ils n’ont pour préoccupation que l’immigration (75%) et la délinquance (51%) – respectivement 46 points et 24 points au-dessus de la moyenne – inversement, ils n’accordent guère d’importance à l’environnement (12%) ou aux inégalités sociales (7%). Ils estiment à 96% que l’islam est une menace pour la République et à 98% qu’il faut fermer davantage la France sur le plan migratoire. Ils sont inquiets (21%), révoltés (10%) ou en colère (9%) – ces sentiments se situent au total 17 points au-dessus de la moyenne des Français.

Deuxième caractéristique, une partie de son électorat est solidement arrimée. Grâce au panel Ipsos, on peut déterminer ce que ses électeurs déclaraient vouloir voter en avril dernier : 9 de ses 16 points d’intentions de vote proviennent d’électeurs de M Le Pen, 2 de X Bertrand, 1 de N Dupont-Aignan, 1 d’E Macron et 2, enfin, d’électeurs qui n’avaient pas l’intention d’aller voter ou n’exprimaient pas d’intentions de vote. Une partie peut demain se retirer mais le phénomène dépasse la « bulle médiatique ». 57% de ses électeurs pensent en effet qu’il sera qualifié pour le second tour et élu. 83% d’entre eux estiment qu’il a l’étoffe d’un président de la République.

Troisième caractéristique, l’électorat d’Éric Zemmour est sociologiquement assez équilibré – et c’est une force si on le compare aux électorats de Marine Le Pen ou de Xavier Bertrand. Il réalise en effet des scores relativement proches quel que soit l’âge des électeurs, de 13% chez les moins de 35 ans à 17% chez les plus de 60 ans – cet écart de 4 points entre les plus jeunes et les plus âgés étant de 13 points pour Xavier Bertrand. Il réalise des scores relativement proches également entre les principales professions, de 14% chez les CSP+ à 16% chez les CSP- – cet écart de 2 points culminant à 18 points pour Marine Le Pen. A l’inverse, et c’est une faiblesse très importante, il est de tous les candidats celui qui connaît relativement la plus forte désaffection du vote des femmes. Peu à peu, Marine Le Pen a réduit ce que les politologues appellent le gender gap et, dans cette vague, les hommes et les femmes votent en sa faveur dans les mêmes proportions. Éric Zemmour, à l’inverse, affiche un écart de six points entre les hommes et les femmes – l’écart montant même à treize points entre les femmes de moins de 35 ans (8%) et les hommes de plus de 60 ans (21%).

Au-delà, la percée d’Éric Zemmour se heurte au premier tour à la résistance de Marine Le Pen – au même niveau que lui dans les intentions de vote – et, notamment, à deux différences majeures entre ces électorats.

La première différence porte sur le social : à 57% les électeurs de Marine Le Pen approuvent l’idée que « pour établir la justice sociale, il faut prendre aux riches pour donner aux pauvres » – exactement dans les mêmes proportions, les électeurs d’Éric Zemmour pensent le contraire. On voit ainsi réapparaître la fracture ancienne entre un Front national social et un Front national libéral.

La seconde différence tient à l’attachement des électeurs de Marine Le Pen à leur candidate : ils sont 90% à penser qu’elle a « l’étoffe d’une présidente de la République » contre 26% seulement pour Éric Zemmour ; ils sont 59% à penser qu’elle sera qualifiée au second tour et élue contre 11% seulement pour Éric Zemmour.

En d’autres termes, la deuxième phase du siphonnage des électeurs de Marine Le Pen par Éric Zemmour sera infiniment plus difficile que la première.

Mais ce n’est pas tout. L’enquête révèle d’autres limites plus profondes, a fortiori dans l’hypothèse où Éric Zemmour se qualifierait pour le second tour.

D’une part, les Français positionnent Éric Zemmour exactement au même point que l’ancienne présidente du Rassemblement national, c’est-à-dire à l’extrême-droite. Sur une échelle de 0 à 10, 0 signifiant très à gauche et 10 très à droite, les Français les positionnent en moyenne l’un et l’autre à 8,8 – 65% d’entre eux positionnant Éric Zemmour sur les cases 9 et 10 alors que 11% seulement des Français se positionnent dans cet espace-là.

D’autre part, et peut-être surtout, ses traits d’image sont mauvais. 70% des Français répondent qu’il n’a pas l’étoffe d’un Président de la République – il est sur cette question 37 points derrière Emmanuel Macron et même 10 points derrière Marine Le Pen. 57% des Français disent qu’Éric Zemmour les inquiète et 71% qu’il ne donne pas une bonne image de la France à l’international – sur ces deux questions il est celui, de tous les candidats, qui réalise les pires performances.

C L’Hebdo, 23 octobre 2021, France 5

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